Avis sur la saisine n° 23-023

Adopté en réunion plénière du 9 mai 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 16 mars 2023, M. Johann Decottignies, agissant au nom de la société Ozalentour en qualité de président, a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 10 février 2023 sur le site Warning Trading et titré « Ozalentour.com placé sur liste noire, des salariés évoquent des problèmes ». M. Johann Decottignies formule deux griefs : le non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits, et l’utilisation de méthodes d’enquête déloyales.

Il affirme avoir été contacté par un journaliste de Warning Trading qui utilisait « une fausse identité et une photo de profil captée sur le web ». Il estime que l’article en cause « reprend une mise sous liste noire et mise en garde de notre start-up sans s’intéresser aux échanges entre nous (dont mon avocat) et l’AMF ». Il ajoute que « ce “journaliste” ne cherche pas du tout à élucider notre concept, mais se lance en croisade contre moi et notre entreprise non pas sur des faits, mais sur des “on-dit” pour nuire ». M. Decottignies cite comme “on-dit” des accusations « de harcèlements sexuels, consommation de drogue, mauvaise gestion, recueil de données personnelles concernant les salariés », qui sont évoquées dans l’article, dans le paragraphe de l’article qui suit l’intertitre « De graves problèmes racontés par d’anciens salariés ».

Il joint à sa saisine la copie d’une lettre adressée le 28 février 2023 par son avocat à M. Sébastien Borgeaud, journaliste à Warning Trading, identifié par cet avocat comme étant l’auteur de l’article en cause. der

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « n’utilisera pas de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des images, des documents et des données. Il/elle fera toujours état de sa qualité de journaliste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, article 4, 2019).

Réponse du média mis en cause

Le 11 avril 2023, le CDJM a adressé à M. Nicolas Gaiardi, rédacteur en chef de Warning Trading, avec copie à M. Sébastien Borgeaud, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 12 avril, M. Borgeaud a répondu par courriel au CDJM. Il explique être l’auteur de l’article et travailler sous le pseudonyme de Philippe Miller. Il dit s’être présenté sous ce nom comme journaliste à M. Decottignies, dont il a « reproduit dans l’article la réaction » à la décision de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de « placer Ozalentour sur sa liste noire […], information importante qui méritait selon nous un article ». M. Borgeaud récuse le terme de « on-dit » utilisé par le requérant à propos de faits survenus dans l’entreprise Ozalentour. Il affirme que les faits ont été « recoupés et documentés » mais qu’il ne peut « trahir [ses] sources pour achever de convaincre M. Decottignies du sérieux de [son] enquête ».

Analyse du CDJM

➔ Le site Warning Trading se présente comme un « service de presse en ligne spécialisé dans l’actualité des escroqueries financières sur internet ». L’article en cause rend compte de l’inscription de la société Ozalentour sur une liste noire de l’AMF le 31 janvier 2023. Il cite son président, qui affirme que cette inscription est « en cours de résolution » et que c’est parce qu’il n’a pas répondu à un courriel de l’AMF « tombé en spam » que sa société a été « automatiquement [mise] sous liste noire ».

L’avant-dernier paragraphe de l’article, sous l’intertitre « De graves problèmes racontés par des anciens salariés », évoque des « témoignages concordants » qui mettent en cause le comportement de M. Decottignies au sein de son entreprise. La réponse de celui-ci est reprise dans ce passage : « Johan Decottignies nie ces faits. Il annonce porter plainte pour diffamation à l’encontre de la personne qu’il suppose nous avoir renseignés. »

➔ Cet article est signé Philippe Miller. Dans sa saisine du CDJM, M. Johann Decottignies reproche au journaliste de Warning Trading d’utiliser « une fausse identité et une photo de profil captée sur le web ». Le CDJM rappelle que l’utilisation d’un pseudonyme est une pratique courante dans les médias. Elle n’est pas réglementée. Elle ne relève pas d’une faute déontologique. M. Borgeaud, sous le pseudonyme de Philippe Miller qu’il utilise pour signer ses articles, s’est présenté comme journaliste à M. Decottignies. Il n’y a pas de dissimulation de sa profession par le journaliste, comme le démontrent les échanges entre lui et le requérant qui sont rapportés dans l’article et confirmés par le texte de la saisine.

Le conseil de M. Decottignies l’indique également quand il écrit, dans une lettre adressée au journaliste que le requérant a transmise au CDJM, à « Sébastien Borgeaud, Web Journaliste, carte de presse n° 115 527 ». Ce numéro figure en signature des articles signés Philippe Miller et des courriels envoyés par le journaliste sous son nom, Sébastien Borgeaud, donc au journal ou à son avocat. Ce dernier précise dans un courrier adressé au journaliste: « Cet article, signé sous le pseudonyme “Philippe Miller” semble en réalité avoir été écrit par vous-même. »

L’utilisation d’une photo d’un tiers sur la page de présentation des journalistes du site Warning Trading relève de l’usage d’un avatar pour s’identifier dans l’univers numérique. M. Borgeaud explique au CDJM qu’il a « choisi [comme pseudonyme] Philippe Miller en [s]’inspirant d’un personnage de fiction issu d’une série télévisée qui s’appelle The Last Man on Earth. J’avais initialement mis une photo de ce personnage de fiction. Nous avons récemment rénové tout notre site internet et à cette occasion, j’ai mis une photo de moi ». Le CDJM a constaté, via le site ​​Wayback Machine, que cette photo du comédien M. Will Forte était encore utilisée le 25 mars 2023, une semaine après la publication de l’article en cause. Il rappelle que l’exigence d’exactitude s’applique aussi aux informations biographiques des journalistes publiées par le média concerné. Si le journaliste voulait écarter le risque d’être reconnu, il pouvait simplement ne pas mettre de photo.

➔ Le requérant invoque deux inexactitudes dans l’article de Warning Trading. Il reproche au journaliste de ne pas « s’intéresser aux échanges » que lui-même et son avocat ont eus avec l’AMF. Autrement dit, de ne pas prendre en compte les arguments pro domo de la société Ozalentour. Le CDJM constate que le point de vue du requérant sur cette inscription de sa société sur liste noire est cité dans l’article. Le journaliste écrit ainsi :

« “C’est en cours de résolution”, nous a-t-il indiqué. “Ils sont justement en train d’étudier notre concept […] Connaissant parfaitement l’écosystème blockchain ainsi que nos droits et les régulations PSAN/PSP [prestataire de services sur actifs numériques/prestataires de services de paiement, ndlr] je suis confiant.” » Le journaliste ajoute après cette citation : « Une enquête serait donc en cours, sans que nous ayons pu le vérifier. Johan Decottignies a refusé de détailler ce qui a justifié le placement de son site sur la liste noire. » Il n’y a pas d’inexactitude factuelle et l’offre de réplique a bien été faite.

Le CDJM note que le site de l’AMF ne donne pas davantage de précisions sur les raisons qui ont conduit cette instance à mettre le site Ozalentour sur sa liste noire. L’avocat du requérant prend d’ailleurs acte dans le courrier adressé au journaliste le 28 février : « Bien entendu, il n’y a rien à redire sur les termes de votre article concernant cet élément factuel indiscutable. »

➔ L’autre grief d’inexactitude porte sur les accusations de dysfonctionnements présumés au sein de l’entreprise de M. Decottignies. Le requérant ne démontre pas que ces allégations sont infondées, indiquant simplement au CDJM qu’il « possède l’intégralité des preuves prouvant que ce journaliste s’appuie uniquement sur des témoignages d’anciens collaborateurs licenciés pour vols et abandon de poste (déloyauté) ». M. Borgeaud explique au CDJM avoir recueilli des témoignages qui ont été « recoupés et documentés » et que « bien évidemment, ces personnes n’ont accepté de partager leur témoignage qu’à la condition que nous protégions leur anonymat » et qu’il ne « peu[t] trahir [s]es sources pour achever de convaincre Monsieur Decottignies du sérieux de [s]on enquête ».

Le CDJM constate que les deux parties prétendent « détenir des preuves » allant dans leur sens, sans vouloir (ou pouvoir) en faire état, le journaliste invoquant la protection des sources. Il souligne que dans l’article, les accusations de dysfonctionnements supposés sont rapportées au conditionnel et mis dans la bouche de tiers. Cet article reproduit également les dénégations du patron de la société Ozalentour. L’offre de réplique est faite.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 9 mai 2023 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de véracité, et d’offre de réplique, n’ont pas été enfreintes.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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