Avis sur la saisine n° 23-018

Adopté en réunion plénière le 9 mai 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 27 février 2023, M. Émile Kowalski a saisi le CDJM à propos du contenu d’une séquence intitulée « L’Espagne dépénalise la bestialité », diffusée le même jour par CNews dans l’émission « L’heure des pros », à 10 h 13.

M. Kowalski formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits. Selon lui, lorsque « le journaliste Pascal Praud affirme que l’Espagne viendrait de dépénaliser la zoophilie dans le cadre de sa nouvelle loi sur le bien-être animal », il n’a pas fait le « travail de vérification des sources que doit en principe réaliser un journaliste ».

Il argumente ainsi : « La loi [en débat en Espagne, ndlr] modifie la législation antérieure sur la maltraitance animale, qui ne prévoyait qu’une amende en cas de maltraitance, en créant deux types d’infractions : une infraction criminelle lorsque l’animal a dû faire l’objet de soins vétérinaires suite aux sévices (dans ce cas, la maltraitance est passible d’une peine d’emprisonnement) et une peine contraventionnelle, dans le cas où l’animal ne nécessiterait pas de soins suite aux sévices. Cette dernière est bien maintenue, et aucune dépénalisation n’est prévue. Certains experts ont mis en avant une imprécision dans la loi, qui doit encore passer au Sénat, mais en tout état de cause, le gouvernement n’a jamais souhaité dépénaliser la zoophilie par cette loi, bien au contraire. M. Praud a ainsi clairement manqué à son devoir de présentation exacte et véridique des faits. »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • « Le/la journaliste défendra, en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables. Il/elle veillera à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique » selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 3 mars 2023, le CDJM a adressé à M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews, avec copie à M. Pascal Praud, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 9 mai 2023, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ La séquence en cause est introduite par le journaliste, M. Pascal Praud, animateur et rédacteur en chef de l’émission « L’heure des pros » sur CNews. Il indique : « Nous faisons un tour d’horizon comme vous le savez chaque matin de tous les sujets… » Avant d’ajouter :

« Ce sujet me paraît fou. L’Espagne – entendez bien ce que je vais vous dire, parce que je l’ai lu et vu nulle part ce week-end. L’Espagne dépénalise les actes sexuels avec les animaux. [Il lit un texte posé devant lui] et… heu… c’est une loi… Cette mesure établie par le ministre Ione Belatra [sic] qui a été approuvée au Congrès le 9 février dernier… donc c’est quasiment hier. Donc si vous avez un… une relation sexuelle avec vos animaux, et si cet animal n’est pas blessé… ben… heu… [M. Praud lève la tête de son papier et s’adresse aux personnes en plateau] Non, mais ça vous fait sourire mais… je trouve ça… On se dit parfois qu’on va tous terminer dans un hôpital psychiatrique ! »

Le journaliste poursuit ainsi : « Alors j’ai demandé à Henry-Jean Servat le pourquoi du comment de cette loi… qui me paraît unique au monde. » À ce moment, apparaît en bas de l’écran un bandeau indiquant : « L’Espagne dépénalise la bestialité. » Il restera durant toute la durée de la séquence (6 min 10 s).

M. Praud présente alors son interlocuteur, M. Henry-Jean Servat, qui est notamment élu municipal à Nice, délégué à la condition animale. Puis il lui donne la parole en disant : « Expliquez-moi cette loi qui me paraît folle. »

M. Servat intervient pendant deux minutes pour affirmer que « la loi est entrée en pratique il y a maintenant trois semaines et [qu’] on peut sexuellement s’amuser avec son animal en Espagne effectivement ». L’échange se poursuit M. Servat illustrant son propos d’exemples : “Allez vous amuser, enfin vous n’irez pas mais j’y suis allé, quitte à en vomir […] des forums de zoophiles sur internet se réjouissent et disent qu’ils vont aller passer leurs vacances en Espagne maintenant […] la loi est actuellement en vigueur […]

M. Praud reprend la parole pour préciser : « Je voulais avoir votre avis et vous l’avez dit avec des mots justes. » L’émission se poursuit ensuite sur d’autres sujets pendant 2 min 48 s, le bandeau « L’Espagne dépénalise la bestialité » restant visible pendant ce temps.

➔ Le CDJM rappelle l’état de ce projet de loi à la date du 27 février 2023, jour de l’émission en cause. Le 9 février 2023, le Congrès des députés, chambre basse du Parlement espagnol, a voté deux projets de loi concernant, pour l’un, le « bien-être animal » et, pour l’autre, une modification du code pénal. Ces textes n’ont pas été encore débattus au Sénat espagnol. On ne peut donc affirmer, comme le font M. Praud et M. Servat et avec eux le bandeau à l’écran, que « l’Espagne dépénalise la bestialité ». L’utilisation de l’indicatif signifie que la décision est prise. Or, à cette date, il n’en est rien : il faut un vote conforme des deux chambres pour passer du projet de loi à la loi. L’affirmation utilisée par M. Praud, puis par son interlocuteur qu’il ne corrige pas, est une inexactitude factuelle.

De même, quand M. Praud affirme que « la mesure a été approuvée au Congrès le 9 février dernier », il laisse entendre que ce texte s’applique, en jouant – volontairement ou par ignorance – sur la compréhension du mot « Congrès ». En effet, ce terme est utilisé couramment pour qualifier les deux chambres du parlement américain, la Chambre des représentants et le Sénat. Quand on parle alors d’un texte « approuvé par le Congrès », il a force de loi. En Espagne, le Congrès (des députés) n’est qu’une des deux composantes du parlement bicaméral, les Cortes Generales. Un texte approuvé par le Congrès doit encore être débattu au Sénat et n’est pas applicable.

L’expression ambiguë utilisée par le journaliste conduit donc le téléspectateur à comprendre que, comme aux Etats-Unis, un texte passé devant le « Congrès » a force de loi..

➔ Le CDJM constate que M. Praud semble découvrir à l’antenne les détails du sujet qu’il a choisi de traiter : il commet par exemple une autre erreur dès ses premiers mots, sur le nom de l’auteur de la loi espagnole évoquée. Il s’agit non d’un « ministre, Ione Belatra », mais de la ministre des Droits sociaux, Mme Ione Belarra. Il laisse M. Servat dérouler son argumentaire sans lui poser aucune autre question pour l’amener à préciser ou à nuancer ses affirmations.

➔ Sur le fond, le CDJM considère que la présentation du projet de loi, tant par M. Servat que par le résumé qui en est fait par M. Praud et le bandeau à l’écran, ne correspond pas aux faits.

D’une part, ce n’est pas le projet de loi sur le bien-être animal qui évoque les relations sexuelles avec des animaux, contrairement à ce que dit M. Henry Jean-Servat à M. Praud, mais le projet de modification du code pénal qui en découle. La réforme s’accompagne en effet de la suppression de l’article 337 du code pénal espagnol, qui prévoyait des peines « de trois mois et un jour à un an de prison [et d’autres peines annexes] pour ceux qui, par quelque moyen ou procédé que ce soit, maltraitent les animaux de manière injustifiée, causant des blessures qui altèrent gravement leur santé ou les soumettant à l’exploitation sexuelle ».

La proposition de loi débattue début 2023 au Parlement espagnol crée, à la place, un article 340 bis dans le code pénal espagnol. Son premier alinéa dispose que « sera puni d’un emprisonnement de trois à dix-huit mois [et d’autres peines annexes] ceux qui, en dehors des activités légalement réglementées et par tout moyen ou procédé, y compris les actes à caractère sexuel, causent à un animal domestiqué, apprivoisé, domestiqué ou vivant temporairement ou définitivement sous contrôle humain une blessure nécessitant un traitement vétérinaire pour le rétablissement de sa santé ».

Le cinquième alinéa de cet article ajoute que « si les blessures produites ne nécessitent pas de soins vétérinaires ou si l’animal a été gravement maltraité sans causer de blessure, une amende d’un à deux mois ou des travaux au profit de la communauté d’un à trente jours seront prononcés. De même, la peine d’interdiction spéciale de trois mois à un an sera prononcée pour l’exercice d’une profession, d’un métier ou d’un commerce se rapportant aux animaux et pour la possession d’animaux ».

Le CDJM constate que si les peines prévues varient selon que l’animal a été blessé ou pas, la commission d’actes à caractère sexuel sur des animaux est dans tous les cas punie. On ne peut donc pas parler de “dépénalisation de la bestialité”.

Conclusion

Le CDJM réuni le 9 mai 2023 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité des faits n’a pas été respectée par CNews.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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