Avis sur la saisine n° 23-012

Adopté en réunion plénière du 14 mars 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 29 janvier 2023, M. Mathieu Hutin, journaliste à la radio H2O, a saisi le CDJM à propos d’un article titré « Doussard : la scission se confirme au sein du conseil municipal », publié en ligne par le quotidien Le Dauphiné libéré le 28 janvier 2023 et dans la version papier de l’édition « Annecy » le lendemain.

M. Hutin reproche au Dauphiné libéré d’avoir publié, sans citer son média, une information qu’il avait révélée auparavant, le 29 décembre 2022, dans un article intitulé « Le maire Michel Coutin poussé à la démission par les siens » et consacré aux tensions au sein du conseil municipal de la commune de Doussard (Haute-Savoie). Le requérant, qui insiste sur le caractère professionnel de sa radio, reproche au quotidien d’avoir évoqué cette information « exclusive » comme ayant été puisée « sur les réseaux sociaux », alors que H2O est un média.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 8).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Il « fera preuve de confraternité et de solidarité à l’égard de ses consœurs et de ses confrères, sans renoncer pour la cause à sa liberté d’investigation, d’information, de critique, de commentaire, de satire et de choix éditorial », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 12).

Réponse du média mis en cause

Le 3 février 2023, le CDJM a adressé à M. Guy Abonnenc, rédacteur en chef du Dauphiné libéré, avec copies à M. Julien Estrangin, directeur des éditions de la Savoie, de la Haute-Savoie et de l’Ain, et à Mme Marie Berton, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.

À la date du 14 mars 2023, aucune réponse du Dauphiné libéré n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article du Dauphiné libéré mis en cause est consacré au compte-rendu du conseil municipal de Doussard (Haute-Savoie) du 25 janvier 2023. Il comporte deux parties : la première, sur la défiance d’une partie des colistiers du maire à son égard, que celui-ci aurait « eu la surprise de découvrir sur les réseaux sociaux » et qui a été répétée au cours de ce conseil municipal ; la seconde, sur un projet lié au patrimoine immobilier de la commune qui a fait l’objet d’un vote négatif. C’est dans le cadre de la première partie que la rédactrice de l’article indique que « fin décembre, le maire a eu la surprise de découvrir sur les réseaux sociaux qu’une dizaine de conseillers issus de la majorité demandaient sa démission ».

➔ Pour soutenir le grief de reprise d’une information sans mention de son origine, le requérant indique qu’il a publié lui-même sur le site de la radio H2O une information, le 29 décembre 2022, titrée « Le maire Michel Coutin poussé à la démission par les siens ». Il y évoquait les récentes décisions du maire, l’opposition d’une partie de sa majorité, et concluait l’article mis en ligne par cette phrase : « La situation en est explosive au conseil municipal de Doussard et selon plusieurs de ses membres, une dizaine d’élus du groupe majoritaire demandent la démission du maire Michel Coutin. » Cette information a été postée par la radio le même jour sur sa page du réseau social Facebook.

➔ Le CDJM constate que rien ne permet d’affirmer que la rédactrice du Dauphiné libéré écrit à partir d’une source unique, qui serait la radio H2O, que « fin décembre, le maire a eu la surprise de découvrir sur les réseaux sociaux qu’une dizaine de conseillers issus de la majorité demandaient sa démission ». La seule indication factuelle qui incline à penser en ce sens est la mention de la date à laquelle le maire apprend la nouvelle, « fin décembre ». Mais la journaliste a pu avoir d’autres sources. Surtout, il est possible qu’il y ait eu des mentions de cette affaire dans des posts sur des réseaux sociaux personnels de membres du conseil municipal. Le requérant lui-même en convient. Il affirme dans sa saisine que la formule « le maire a eu la surprise de découvrir sur les réseaux sociaux » sert à nier le plagiat d’« une information révélée par mes soins, fruit d’un long et fastidieux travail d’investigation », mais ajoute aussitôt « sauf erreur et [à ce] qu’un post sur les réseaux ne nous ait échappé ».

➔ Il est compréhensible que le requérant, qui semble très impliqué dans la recherche d’informations, puisse penser que Le Dauphiné libéré s’appuie pour partie sur son travail d’enquête. Le CDJM considère, cependant, qu’il est impossible de savoir si la rédactrice s’est appuyée sur l’information publiée fin décembre par la radio H2O pour cet article un mois plus tard. Ou si elle l’ignorait. Ou encore si c’est le maire lui-même qui a fait l’amalgame, dans une allusion aux réseaux sociaux, entre la page Facebook d’un média et le média lui-même. Il remarque que Le Dauphiné libéré ne s’est pas emparé de l’information de H2O pour la reprendre à son compte, puisque le premier papier qui évoque le sujet est édité un mois plus tard, à l’occasion d’un conseil municipal ultérieur et d’une prise de position désormais ouverte des conseillers majoritaires sécessionnistes.

➔ Le CDJM estime que la nécessité déontologique de citer un autre média utilisé comme source peut se traduire par un questionnement : « Grâce à qui ai-je pu faire cet article ? » Si la réponse est : « Grâce à tel média », il importe de citer celui-ci. Dans le cas du Dauphiné libéré, journal signataire de la charte de l’Alliance de presse d’information générale pour la traçabilité de l’information, comme il en a informé ses lecteurs le 17 septembre 2020, il apparaît que ce compte rendu de conseil municipal a pu avoir été écrit sans utiliser, ni même avoir connaissance, de l’article de H2O un mois plus tôt. Quoiqu’il en soit, le requérant n’en apporte pas la preuve, malgré son intime conviction.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 mars 2023 en séance plénière, estime qu’on ne peut affirmer que Le Dauphiné libéré a délibérément voulu occulter l’origine d’une information et que l’obligation déontologique de citer les confrères dont on reprend le travail n’a pas été enfreinte.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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