Avis sur la saisine n° 23-002

Adopté en réunion plénière du 14 mars 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 10 janvier 2023, M. Mehmet Ciftci a saisi le CDJM à propos d’une émission diffusée le 17 décembre 2022 par la chaîne HugoDécrypte sur YouTube et titrée « La fascinante histoire des 2 Corées, en une vidéo ». M. Ciftci estime que « le journaliste Hugo Travers a pratiqué des activités qui semblent être publicitaires ». Il remarque que M. Travers « se présente comme journaliste » et « qu’il fait des partenariats dans ses vidéos, qu’il présente » et « suppose qu’il écrit lui-même ». Selon M. Ciftci, cette présentation des partenariats est une confusion entre publicité et information puisque, écrit-il, « les journalistes ne [doivent pas] prête[r] leur concours à des activités de publicité ou de communication non journalistique ».

Recevabilité

Le CDJM est « une instance de dialogue et de médiation entre les journalistes, les médias et agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique dont elle est saisie » (article 1 de ses statuts). Il peut être saisi à propos d’un « acte journalistique » comme le précise son règlement intérieur.

Le CDJM observe que M. Travers revendique la qualité de journaliste. Ainsi, cité dans un article de MediaConnect publié en janvier 2023, il explique : « Certes, je n’ai pas fait d’école de journalisme, je n’ai pas de carte de presse. Et oui, j’ai plusieurs casquettes, notamment entrepreneuriales, car je suis à la tête de mon média. Mais au sein de ce média, j’effectue bien un travail journalistique au quotidien, entouré de journalistes à temps-plein. » La possession de la carte de presse n’est pas obligatoire pour être journaliste, comme le rappelle par exemple une enquête de l’AFP publiée en avril 2019.

En outre, l’entreprise de M. Travers, Hdmedia, se présente sur son site comme « un média en ligne dont la mission consiste à vulgariser l’actualité et les grands enjeux contemporains pour les rendre accessibles à une jeune audience ». Elle est inscrite auprès du greffe du tribunal de commerce de Paris sous le code de la Nomenclature d’activité française (NAF) dans la section « Information et communication », et plus précisément dans la sous-section regroupant les entreprises qui produisent des films et programmes pour la télévision ou des films et contenus vidéo en téléchargement, notamment des reportages, documentaires, ou des journaux d’information.

La vidéo éditée sur YouTube par M. Travers relève d’un acte journalistique. À ce titre, elle entre dans le champ du CDJM qui se prononce sur le respect de la déontologie du journalisme.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
  • Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).

Réponse du média mis en cause

Le 13 janvier 2023, le CDJM a adressé à M. Hugo Travers, président de Hdmedia, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.

À la date du 14 mars 2023 aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ La vidéo en cause, d’une durée de 22 mn 30 s, commence par un exposé de M. Hugo Travers d’un peu plus d’une minute. Il présente succinctement la péninsule et les deux États coréens et indique le sujet de la vidéo du jour : « Pourquoi y a-t-il deux Corées ? »

Puis, sans aucune transition, il dit :

« Mais avant de commencer, rapidement, je tiens à remercier NordVPN qui nous soutient une nouvelle fois sur cette nouvelle vidéo. Vous le savez, NordVPN vous permet de changer d’emplacement virtuel un petit peu partout dans le monde parmi 59 pays disponibles. C’est très pratique si vous voyagez par exemple pour vos études, votre travail ou encore pour le plaisir, en vacances. C’est pratique déjà parce que vous allez pouvoir faire des économies sur vos réservations, que ce soit sur les vols, les hôtels ou encore les locations de voitures en localisant votre connexion Internet dans votre pays de destination où les prix sont souvent plus avantageux.

« Par ailleurs, c’est pratique parce que vous allez pouvoir continuer d’avoir accès à vos contenus préférés à l’étranger, des contenus qui peuvent parfois être géo-bloqués, en vous géo-localisant donc toujours en France. Et puis vous allez pouvoir protéger davantage vos données où que vous soyez en un clic grâce au chiffrement de votre connexion Internet et grâce à leur protection anti-menaces qui permet de lutter contre les virus et les logiciels malveillants.

« Bref, encore un grand merci à NordVPN pour leur soutien. N’hésitez pas à checker le lien qui s’affiche à l’écran actuellement et que je vous mets aussi en description. Il vous permet de bénéficier de quatre mois gratuits sur tout abonnement de 2 ans, en plus d’une remise exclusive. Et c’est satisfait ou remboursé durant les 30 premiers jours. Voilà, vous savez tout. On est parti désormais avec la vidéo. »

Au début de cette annonce d’une minute quinze secondes, le logo de NordVPN apparaît quelques secondes à l’image à côté de M. Travers. Puis des séquences en animation illustrent ce qu’il dit sur l’intérêt et le fonctionnement de NordVPN. Une saisie d’écran des tarifs d’abonnement de l’annonceur est montrée sous les deux dernières phrases d’Hugo Travers.

➔ Le CDJM considère que le parrainage est un mode de financement des médias qui en lui-même ne pose pas de problème déontologique, dans la mesure où le sponsoring est clairement identifié, et où l’entreprise qui finance l’émission n’a pas de lien avec le sujet évoqué ni n’intervient dans son choix ou dans son traitement. C’est le cas ici : NordVPN est bien identifié comme partenaire (« NordVPN nous soutient ») et ce service de réseau privé virtuel n’a pas de rapport avec la géopolitique de la péninsule coréenne.

➔ Le CDJM rappelle que les textes déontologiques insistent pour que les journalistes veillent à ne « jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire » et à « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ». Lire ou dire une publicité est faire un travail de publicitaire. Les médias privés confient généralement cette tâche dans les émissions d’information à une tierce personne, pour bien distinguer ce qui est information de ce qui est annonce commerciale.

Or, M. Travers reprend à son compte des arguments qui relèvent du « témoignage utilisateur » propre à la publicité, comme « c’est très pratique si vous voyagez par exemple pour vos études, votre travail ou encore pour le plaisir, en vacances » ou « vous allez pouvoir continuer d’avoir accès à vos contenus préférés à l’étranger ». Il met lui-même en avant les conditions d’achat du service et incite à l’acheter lorsqu’il dit : « N’hésitez pas à “checker” le lien qui s’affiche à l’écran actuellement et que je vous mets aussi en description. »

Ces pratiques relèvent de l’univers des influenceurs rémunérés, pas du journalisme. En faisant lui-même ces recommandations pour NordVPN, M. Hugo Travers sème la confusion entre information et promotion chez des spectateurs non avertis. Les éléments présentant le sponsor de l’émission devraient être nettement distingués de l’intervention du journaliste, par exemple présentés par un tiers et différenciés à l’image des contenus d’information.

Conclusion

Le CDJM réuni le 14 mars 2023 en séance plénière estime que l’obligation déontologique de distinction entre information et publicité n’a pas été respectée par la chaîne vidéo HugoDécrypte.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

Au moment de la publication de l’avis, le nom du requérant a été mal orthographié. 

Le nom a été corrigé le 12 mai.

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