Avis sur la saisine n° 22-093

Adopté en réunion plénière du 14 mars 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 6 novembre 2022, M. Simon Rötig a saisi le CDJM à propos d’un article publié en ligne le 3 novembre 2022 par le quotidien La Montagne sous le titre « Un goût de scandale dans les eaux minérales du bassin de Vichy (Allier) et de Châteldon (Puy-de-Dôme) ». Il est accompagné d’un second article titré « Pratiques illégales dans les usines des eaux de Châteldon et de Saint-Yorre : ancien employé, le lanceur d’alerte témoigne ». Ces deux textes ont été publiés ensemble dans l’édition de l’Allier de La Montagne le 4 novembre 2022 sous le titre « La goutte d’eau gazeuse qui fait déborder le vase ».

M. Rötig formule le grief de plagiat. Il cite un article du site Mediacités Lyon, « Soupçons de fraude: St-Yorre, Vichy Célestins et Châteldon en eaux troubles » mis en ligne le 1er novembre 2022 à 20 h 34, et affirme que « sans cet article, La Montagne n’aurait pas été en mesure de publier » sa propre investigation. Il ajoute que « dans l’article de La Montagne, qui compte dix paragraphes, l’article de Mediacités n’est mentionné qu’au huitième paragraphe, et de telle façon que le lecteur qui n’a pas entendu parler de l’article du 1er novembre peut croire que les révélations sur la Châteldon viennent de La Montagne » et que « les deux journalistes du quotidien régional réduisent le champ des révélations de Mediacités au sulfate de fer heptahydraté utilisé dans les eaux de Saint-Yorre et Vichy Célestins ».

Recevabilité de la saisine

Lors de la saisie en ligne de sa requête, M. Rötig a coché « plagiat » dans la liste des règles déontologiques non respectées proposées sur le site du CDJM. La case « reprise d’une information exclusive sans mention du média à l’origine de cette information », désormais ajoutée, n’existait alors pas sur le formulaire proposé.

Or, le requérant écrit au CDJM qu’il est « choqué » que La Montagne « se soit accaparé les révélations sur l’adjonction de gaz carbonique dans l’eau de Châteldon (groupe Alma) sorties trois jours plus tôt » par Mediacités Lyon, et que « sans cet article, La Montagne n’aurait pas été en mesure de publier dans son édition papier du 4 novembre l’article visé par cette saisine ». Cette formulation décrit davantage ce qui relève de la non-citation d’un confrère que du plagiat, qui est défini par exemple par l’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle comme une « reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste : 

  • Il « cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information » selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 14 novembre 2022, le CDJM a adressé à M. Stéphane Vergeade, directeur éditorial de La Montagne, avec copies à MM. Pierre Géraudie et Denis Lorut, journalistes à l’agence de Vichy de ce quotidien, un courrier les informant de cette saisine et les invitant, comme le prévoit le règlement du CDJM, à faire connaître leurs observations.

Le 20 décembre 2022, M. Thibaud Vuitton, directeur éditorial du groupe Centre France, a répondu au CDJM. Il expose que le 11 décembre 2020, l’agence de Vichy de La Montagne « a révélé des perquisitions menées par L’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique dans les usines d’embouteillage de Châteldon (Puy-de-Dôme) et de Saint-Yorre (Allier) ».

Il assure que cette rédaction a « notamment relevé le changement de mentions sur les étiquettes, [et a] également creusé le processus de gazéification additionnelle, au cœur de la procédure ». Pour publier un article, explique-t-il, « en l’absence de juridicisation de la procédure, il nous manquait l’état actuel du dossier ». Cet élément a été « révélé [par] le site d’information Mediacités, dans sa publication du 1er novembre 2022 ». « Au vu de cette publication, qui nous informait des éléments manquants, nous avons décidé [de donner] les informations en notre possession sur les sept premiers paragraphes de notre article, et en avons ensuite repris de Mediacités sur un paragraphe. »

M. Vuitton ajoute en « preuve de notre bonne foi, si besoin en était, [que] le lanceur d’alerte n’est cité, dans la publication de Mediacités, que via le procès-verbal de son audition [alors que] dans nos colonnes, il s’agit d’une interview puisque nous étions parvenus, encore une fois très en amont, à nous procurer ses coordonnées ». Il affirme « qu’il n’a jamais été question de s’approprier des informations que nous n’avons pas recueillies, et encore moins de plagier quiconque ».

M. Vuitton précise qu’un échange a eu lieu entre La Montagne et « Jacques Trentesaux, éditeur de Mediacités, qui convenait que nous l’avions correctement cité mais qu’il aurait préféré que ces liens interviennent plus tôt dans l’article ».

Enfin, le directeur éditorial du groupe Centre France déplore que « malgré de nombreuses relances », La Montagne n’ait pu contacter le requérant, ce qui « am[ène] à douter de la bonne foi de sa démarche et de sa motivation sincère à obtenir des explications ». Il évoque un « passif qui existe entre M. Rötig et le journal » et « la violence et de l’acharnement dont il fait preuve à l’encontre de l’agence de Vichy et de ses membres sur les réseaux sociaux ».

Analyse du CDJM

➔ Le CDJM rappelle qu’il se prononce sur le seul respect des bonnes pratiques professionnelles du journalisme dans le cadre d’un acte journalistique précis. Ainsi, il ne prend pas en compte les relations passées entre le média et le requérant.

➔ Dans ses deux versions, l’article de La Montagne, publié en ligne le 3 novembre 2022 et sur papier le lendemain, expose les pratiques de la société d’embouteillage appartenant au groupe Alma, la société commerciale d’eaux minérales du bassin de Vichy (SCBV). Son rédacteur relate d’abord le changement discret des mentions portées sur les étiquettes d’eau de Châteldon, distribuée par le groupe Alma, passées entre 2020 et 2021 de « eau minérale naturelle, naturellement gazeuse » à « eau finement naturelle ».

Il rapproche cette modification de la perquisition opérée le 10 décembre 2020 dans les locaux dans les sites d’embouteillages de cette société. Il ajoute que d’autres productions de la SCBV sont « mises à mal » et écrit :

« Le journal en ligne Mediacités Lyon a eu accès à des documents de l’antenne lyonnaise de Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui enquête sur trois eaux de la SCBV qui embouteille les eaux de Châteldon, Saint-Yorre et Vichy Célestins. Pour ces deux dernières, selon Mediacités, la DGCCRF enquête sur l’utilisation de sulfate de fer heptahydraté pour leur traitement, une procédure contraire à la réglementation. »

L’article se termine par la précision que ni le procureur de la République ni le service de communication du groupe Alma n’ont voulu faire de déclaration. Il est accompagné d’une interview d’un ancien employé du groupe Alma présenté comme le lanceur d’alerte à l’origine de l’enquête en 2019.

➔ L’article publié le 1er novembre 2022 par Mediacités Lyon, sous le titre « Soupçons de fraude : St-Yorre, Vichy Célestins et Châteldon en eaux troubles » revient sur la perquisition effectuée en 2020 et sur ses suites en ces termes :

« Selon les informations de Mediacités, l’antenne lyonnaise de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête depuis 2020 sur les eaux auvergnates Châteldon, St-Yorre et Vichy Célestins. Ses inspecteurs s’intéressent notamment à l’adjonction de gaz carbonique dans l’eau de Châteldon et à l’emploi de sulfate de fer heptahydraté dans le traitement des eaux de Vichy Célestins et de St-Yorre, une substance interdite pour cet usage. »

L’article évoque ensuite « Anthony D. technicien à la centrale de filtration pour les sites de St-Yorre et Châteldon » qui a dénoncé en 2019 « par écrit aux autorités des “manquements” de la part de son employeur » et cite longuement le procès-verbal de son audition. Mediacités Lyon précise que les perquisitions intervenues en décembre 2020 après cette dénonciation avaient été « révélé[es] » par « le quotidien La Montagne ».

➔ Le CDJM constate que l’article de Mediacités Lyon apporte deux informations inédites sur l’enquête concernant trois marques du groupe Alma (St-Yorre, Vichy Célestins, Châteldon). D’une part, le fait que ces investigations soient conduites par l’antenne lyonnaise de la DGCCRF. D’autre part, que celle-ci enquête sur l’adjonction de gaz carbonique dans l’eau de Châteldon et sur l’emploi de sulfate de fer heptahydraté pour les sources Vichy Célestins et St-Yorre, alors que cette substance n’est pas autorisée dans le traitement des eaux de table.

Ce sont ces éléments nouveaux qui justifient la publication d’un article par La Montagne, deux jours après celui de Mediacités Lyon, comme le reconnaît M. Thibaud Vuitton, directeur éditorial du groupe Centre France. Ces informations nouvelles sont clairement attribuées à Mediacités Lyon, dans l’article du quotidien régional. Un hyperlien inséré dans l’expression « Le journal en ligne Mediacités » dans la version numérique renvoie vers l’article de Mediacités Lyon. En tout, le média est cité trois fois. La Montagne écrit ainsi : « Le journal en ligne Mediacités a eu accès à des documents… », puis « selon Mediacités » et enfin « l’ARS Rhône-Alpes a répondu à Mediacités que […] ».

Le CDJM considère qu’il n’y a pas, de la part de La Montagne, de volonté de s’attribuer des informations d’abord publiées par un confrère.

➔ Dans sa réponse au CDJM, M. Thibaud Vuitton précise que le « Groupe Centre France est très attaché à la traçabilité de l’information et au respect du droit de citation, pour être victime régulièrement de reprises intégrales par d’autres éditeurs. À ce titre nous sommes des membres actifs et engagés des groupes de travail de l’Alliance sur ces thématiques ».

Le CDJM observe que la « Charte de la traçabilité de l’information » adoptée par l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), ratifiée en septembre 2020 par 30 signataires représentant 60 titres de presse, dont le groupe Centre France et La Montagne, indique comme premier engagement des signataires celui de « sourcer explicitement et assez haut dans l’article le média à l’origine de l’information exclusive (enquête, investigation) qui a été reprise ». Le CDJM déplore ainsi que la construction de l’article ne place que dans le troisième tiers de l’article, dans un huitième paragraphe, les informations nouvelles qui le justifient, révélées par Mediacités Lyon deux jours plus tôt.

Conclusion

Le CDJM réuni le 14 mars 2023 en séance plénière estime que l’obligation déontologique de citer les confrères dont le travail est utilisé a été respectée.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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