Avis sur la saisine n° 22-084

Adopté en réunion plénière du 13 décembre 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 30 octobre 2022, M. Émile Kowalski a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 25 octobre 2022 sur le site du quotidien Le Figaro et titré « Feux brûlés, conduite dangereuse, piétons malmenés : les vélos ont-ils tous les droits ? ». M. Kowalski formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits. Il estime que cet article est « un réquisitoire anti-vélo » qui présente tous les « cyclistes comme des chauffards, ne respectant ni les piétons, ni la police » et affirme « que les associations de cyclistes “imposent aujourd’hui leurs vues dans les plus grandes agglomérations de France comme Paris, Lyon ou Montpellier” ».

Il développe plus particulièrement ses accusations à propos d’un passage consacré à la voie réservée aux vélos rue de Rivoli à Paris, jugeant « clairement erronée » la phrase « les autobus qui empruntent [cet axe, où a été implanté une large piste cyclable, en lieu et place d’un couloir de bus, ndlr] transportent chaque jour 250 000 passagers » car, écrit-il, les lignes de bus qui empruntent cette artère transportent chaque jour au plus « 125 720 passagers ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

Réponse du média mis en cause

Le 7 novembre 2022, le CDJM a adressé à M. Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, avec copie à M. François Deletraz, journaliste auteur de l’article en cause, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 5 décembre 2022, Mme Bénédicte Wautelet, directrice juridique de la Société du Figaro a répondu au CDJ. Elle y expose que selon la Société du Figaro, cette saisine « constitue en réalité une demande de droit de réponse à l’article visé, laquelle est donc mal adressée, puisque le CDJM n’est en rien compétent à s’en rendre destinataire. En effet, conformément à la loi du 29 juillet 1881, toute demande de droit de réponse doit être adressée à la publication […]. À cet égard, il appartient à l’éditeur de presse d’apprécier la recevabilité d’une demande de droit de réponse, raison pour laquelle, eu égard notamment à ce qui précède, nous considérons que le CDJM n’aurait pas dû considérer cette saisine comme recevable. Considérant cela, nous n’entendons pas donner davantage suite à votre envoi qui ne parvient à qualifier aucune faute déontologique qui serait imputable à notre journaliste ou à notre publication ».

Analyse du CDJM

➔ En préambule, le CDJM rappelle que le droit de réponse défini dans l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 est ouvert à « toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien ». Cette approche a été étendue à l’audiovisuel par l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 qui indique que « toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans le cas où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle ».

Ce droit est donc clairement ouvert aux seules personnes physiques ou morales nommées ou désignées dans les médias. En s’adressant au CDJM, le requérant, qui n’est pas cité ou désigné par l’article en cause, n’exerce pas ce droit.

➔ L’article publié par Le Figaro le 5 octobre 2022 et titré « Feux brûlés, conduite dangereuse, piétons malmenés : les vélos ont-ils tous les droits ? », s’ouvre sur une interrogation : « Et si le vélo n’était pas la fameuse “circulation douce” que promeuvent les politiques pour justifier le basculement des villes vers le tout cyclable ? » Il affirme ensuite que les « métropoles où le vélo a pris son essor sont devenues un enfer… pour les piétons ».

L’auteur, M. François Delétraz met en scène une proximité complice avec son lecteur, qu’il invite à partager ses expériences et ses indignations : « Choqué, vous interpellez le malappris et protestez… », « On vous fait un bras d’honneur », « Savez-vous que l’association Paris en selle… », « Vous avez dit… “circulation douce” ? ». Derrière ce procédé stylistique, il met en place un argumentaire dénonçant la politique du vélo, et affirme que « la conception abracadabrante de ces aménagements cyclables est en partie responsable de cette situation », particulièrement à Paris, qui serait soumise au « véritable lobby » des associations de cyclistes – et notamment de l’association Paris en selle.

Le ton est bien, comme le dit le requérant, celui d’un « réquisitoire ». Le CDJM considère qu’il s’agit d’un choix rédactionnel qui relève de la politique éditoriale du Figaro.

➔ À l’appui de cette dénonciation du « lobby cycliste », l’article développe l’exemple de la rue de Rivoli, « l’un des axes les plus importants du centre de Paris ». Il affirme que « les autobus qui l’empruntent transportent chaque jour 250 000 passagers alors que n’y circulent que 12 000 cyclistes les jours de beau temps. On a pourtant jugé bon de supprimer le couloir réservé aux bus au profit d’une piste cyclable ». La source de ces données n’est pas indiquée.

Le requérant indique que ces chiffres ne correspondent pas aux statistiques publiées par l’Observatoire parisien des mobilités, éditées par la direction de la voirie et des déplacements de la ville de Paris. En se référant à cette publication, M. Kowalski démontre en effet que la RATP ne transporte dans les autobus circulant sur cette artère que 125 720 passagers par jour au plus. Cette différence ne rend pas caduque le raisonnement du journaliste, mais un des chiffres qui est avancé dans sa comparaison entre usagers du bus et cyclistes est erroné.

➔ Le Figaro affirme également que la maire de Paris « donne toujours raison » à une association pro-vélo, Paris en selle. Factuellement, cette affirmation est fausse : le site comme le compte Twitter de l’association publient des notes critiques sur les décisions de la ville de Paris. En voulant renforcer sa critique des relations entre la mairie et les associations, le journaliste commet une erreur facilement évitable.

➔ Le Figaro présente l’article de M. Delétraz comme une « analyse ». Cette pratique journalistique consiste à mettre en perspective des faits pour éclairer le lecteur. Le rédacteur n’y donne pas son point de vue personnel. Dans tous les cas, cela ne l’exempte pas du devoir d’exactitude des faits cités. Le CDJM considère qu’en l’occurrence, cette exigence de vérification n’a pas été suffisamment respectée.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 décembre en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité des faits n’a pas été respectée dans plusieurs passages de l’article du Figaro.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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