Adopté en réunion plénière du 14 mars 2023 (version PDF)
Description de la saisine
Le 19 octobre 2022, Mme Nathalie Will, agissant au nom de l’École internationale Antonia en qualité de présidente et directrice de cette institution basée à Montpellier, a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 18 septembre 2022 par Midi libre et titré « Montpellier : l’école internationale Antonia dans le viseur de ses anciens salariés ».
Mme Will formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits et d’absence d’offre de réplique. Pour elle, « quasiment chaque ligne de cet article comporte une affirmation erronée, chaque paragraphe sème le doute par amalgame ». Elle ajoute qu’« à aucun moment Guy Trubuil [l’auteur de l’article, ndlr] ne pondère et ne contextualise les témoignages qu’il a recueillis ».
Elle cite huit éléments de l’article, dans son titre, son intertitre et le corps de l’article, qui comportent à son avis « d’importantes erreurs ».
Elle reconnaît qu’elle a eu un entretien téléphonique avec M. Guy Trubuil « quelques jours avant la parution de son article ». Elle précise qu’elle a « répondu à ses questions centrées sur mon ressenti ainsi que sur celui de notre directrice administrative et financière », que « très peu de questions factuelles de vérification » lui ont été posées et que cela ne lui a « pas permis de répondre point par point aux différentes allégations ». Elle ajoute que le journaliste, « invité à venir à l’école afin de rencontrer les membres de l’équipe (direction, RP et salariés) », a refusé.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
- Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 3).
Réponse du média mis en cause
Le 27 octobre 2022, le CDJM a adressé à M. Olivier Biscaye, directeur de la rédaction de Midi libre et à M. Guy Trubuil, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM, . Le CDJM a relancé à plusieurs reprises depuis, sans succès, l’auteur de l’article. À la date du 14 mars, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article en cause publié dans les colonnes du Midi libre et sur son site le 18 septembre 2022 est composé d’un texte principal titré « Montpellier : l’école internationale Antonia dans le viseur de ses anciens salariés » et d’un encadré dont le titre reprend une appréciation de Mme Nathalie Will « “Une manœuvre, injuste et déloyale” ». L’école Antonia est une école bilingue français/anglais de maternelle et internationale, aux niveaux primaire et secondaire. C’est un établissement « hors contrat » : il n’a pas signé d’accord avec l’État et est financé uniquement sur fonds privés.
➔ La requérante affirme en premier lieu que le titre de l’article donne une information fausse car il sous-entend, écrit-elle, que « tous les anciens salariés attaquent l’école ». Elle affirme que ce sont « certains de ses anciens salariés » qui sont allés en justice et donc que le titre est erroné.
Le CDJM rappelle qu’un article est un tout : chacune de ses composantes, titres, intertitres, illustrations, doit respecter les règles déontologiques. En outre, certains lecteurs, et notamment sur les réseaux sociaux sur lesquels les articles sont de plus en plus diffusés, ne lisent que le titre d’un article. Celui-ci doit donc résumer le contenu de l’article avec précision.
En l’occurrence, écrire « ses » anciens salariés à propos de l’école Antonia signifie que tous les anciens salariés sont en conflit avec cette école. C’est en contradiction avec ce qui est écrit dans le corps de l’article, que le titre aurait exactement reflété avec l’emploi de l’article « des » ou de l’adjectif « certains » devant le mot « salariés ».
➔ Mme Will conteste la phrase « l’école Antonia est hors contrat sans lien avec l’Éducation nationale ». Elle écrit au CDJM que son « école a de nombreux liens avec l’Éducation nationale », est « régulièrement contrôlée par le rectorat de Montpellier, qui y a déjà délégué ses inspecteurs », qu’elle « justifie chaque année auprès de l’académie la situation administrative de ses enseignants (diplômes, papiers d’identité, casiers judiciaires) ».
La formule « sans lien avec l’Éducation nationale » utilisée dans l’article est excessive. En effet, si un établissement scolaire privé « hors contrat » est libre de ses recrutements, de sa pédagogie et de ses programmes, il doit déclarer son ouverture au recteur de l’académie où il s’installe, et peut être contrôlé par le rectorat qui s’assure notamment que les enseignements permettent aux enfants d’acquérir les connaissances du socle commun de compétence, comme le précise le ministère de l’Intérieur sur son site consacré aux démarches administratives. Il n’y a pas de dépendance financière et pédagogique vis-à-vis de l’Éducation nationale, mais écrire « sans lien » sans préciser « financier » ou « pédagogique » est inexact.
➔ La requérante conteste également l’intertitre « refus d’élections professionnelles ». Comme indiqué plus haut, un intertitre doit respecter les règles déontologiques. Le « refus d’élections professionnelles » est une affirmation des salariés rencontrés par le journaliste du Midi libre. La requérante affirme dans sa saisine que « l’école a organisé des élections en 2022, elle dispose de quatre représentants des salariés ». Le rôle du CDJM n’est pas de refaire l’enquête. Mais il considère que soit le journaliste du Midi libre n’a pas interrogé Mme Will sur ce point lors de l’entretien qu’il rapporte en encadré, soit l’affirmation d’un « refus d’élections professionnelles » aurait dû être attribuée aux salariés. Dans les deux cas, l’information rapportée dans l’intertitre est inexacte.
➔ Mme Nathalie Will considère ensuite que la phrase suivante de l’article comporte deux erreurs : « La situation s’est dégradée en février 2022, quand au cours d’une réunion mensuelle, l’idée a été émise d’organiser des élections du personnel au sein d’un établissement qui emploie un peu moins de 50 salariés. »
D’une part, affirme-t-elle, « l’effectif de l’école est de 39 salariés, pas d’“un peu moins de 50” ». Le CDJM considère que cette imprécision est regrettable, mais ne gêne pas la compréhension de ce que l’article rapporte. D’autre part, la requérante décrit ainsi cette réunion de février 2022 :
« L’idée [d’élections] n’a pas été émise par certains salariés de façon inattendue, comme le fait croire l’article. La direction a mis les élections professionnelles à l’ordre du jour de la réunion mensuelle de tous les salariés de février. Par ailleurs, la situation était déjà particulièrement dégradée par l’attitude de deux salariés. À la surprise générale, l’une d’elle avait d’ailleurs préparé des bulletins de vote pour cette réunion. Elle a voulu faire voter immédiatement les salariés présents. Salariés et direction ont refusé et dénoncé le procédé. »
Selon la requérante, la phrase concernée de l’article (« Face à ces difficultés, l’administration du travail est saisie et des élections sont bien organisées en mai dernier ») est un « amalgame ». Cela laisse entendre, écrit-elle, « que l’école a organisé les élections suite à l’intervention de l’administration du travail ». Mme Will affirme dans sa saisine : « L’établissement n’a reçu aucune remarque ou courrier de la part de l’administration du travail sur ce point. »
Le CDJM constate que ces versions de la réunion de février des personnels de l’école Antonia et du contexte de l’organisation des élections professionnelles n’ont pas été recueillies auprès de Mme Will, ou que si elles l’ont été, elles n’ont pas été portées à la connaissance des lecteurs.
➔ Mme Will juge ensuite que concernant une association constituée par quinze anciens salariés de l’école, une phrase de l’article (« ces derniers ont décidé de se rassembler au sein d’une association et, individuellement, ont engagé plusieurs recours, devant le conseil de prud’hommes de Montpellier et par le biais de deux dépôts de plainte pour harcèlement et discrimination supposés ») signifie qu’il y a « quinze, voire plus, recours contre l’école ». Elle écrit dans sa saisine qu’il y a deux recours devant les prud’hommes par deux salariés licenciés, et que « l’école n’a licencié aucune personne pour son intérêt pour les élections professionnelles ». Elle affirme qu’aucune salariée n’a « engagé une procédure aux prud’hommes pour discrimination, en lien avec son état de grossesse », comme écrit dans l’article.
Le CDJM observe que l’expression « plusieurs recours » signifie qu’il y en a plus d’un, et qu’on ne peut conclure de la lecture de l’article qu’il y en aurait « quinze, voire plus » comme l’affirme la requérante. Là encore, il constate que la version de la directrice de l’école Antonia sur les recours introduits par des salariés n’a pas été recueillie, ou que si elle l’a été, elle n’a pas été portée à la connaissance des lecteurs.
➔ Mme Will reproche in fine au journaliste du Midi libre de ne pas avoir fait « de vérifications factuelles, de croisement des propos [d’anciens salariés] avec ceux des 39 salariés de l’école, de leurs représentants légitimement élus, des parents d’élèves, voire du conseil d’administration » et de s’être « contenté de nous questionner sur notre ressenti ». Elle ajoute : « Il ne nous a pas interrogés sur les faits. »
Le CDJM rappelle qu’un article ne peut aborder tous les aspects d’une question. Son contenu est fonction de l’actualité et le choix des interlocuteurs relève de la liberté éditoriale d’un journaliste. En l’espèce, l’angle de l’article est la création récente d’une association d’anciens salariés et des reproches qu’ils formulent. Il est logique de restituer en priorité leur parole.
Le CDJM note que l’article indique que « la rentrée scolaire s’est déroulée sans encombre à l’école Antonia » et que « son développement témoigne d’une vraie réussite concrétisée par l’ouverture d’une classe de seconde cette année ». Surtout, un point de vue différent de celui des anciens salariés de l’école Antonia est rapporté. L’article est suivi d’un encadré intitulé « “Une manœuvre injuste et déloyale” », phrase qui est une citation de Mme Will. Cet encadré reprend longuement des citations de la directrice et de sa directrice administrative. Il débute par le constat que les deux femmes « déplorent et contestent les affirmations apportées par les anciens salariés ». Elles dénoncent une « manœuvre » et de « la malveillance » pour « salir la réputation de l’école ». Le seul point factuel évoqué est la création d’une association d’anciens salariés, dont « les deux responsables indiquent ne pas être au courant ». Celles-ci disent, selon le journaliste, avoir « tous les éléments pour nous défendre ». Le CDJM remarque que l’attention du lecteur est attirée vers cet encadré par un filet gris épais dans la version en ligne, et annoncé dans la version imprimée sous un intertitre en plus gros caractères que les autres intertitres.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 14 mars 2023 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude n’est pas respectée dans trois éléments de l’article en cause mais que celle d’offre de réplique n’a pas été enfreinte.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cette décision a été prise par consensus.