Adopté en réunion plénière du 10 janvier 2023 (version PDF)
Description de la saisine
Le 1er octobre 2022, M. Fabien Ferasson a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 30 septembre 2022 par La Lettre A et titré « Christophe-André Frassa fait condamner son opposant chez les expatriés LR ». M. Ferasson précise au CDJM qu’il est journaliste, et affirme avoir « constaté des infractions à notre déontologie » dans l’article de La Lettre A. Il formule trois griefs : non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits, absence d’offre de réplique, non-signature de l’article.
M. Ferasson affirme qu’il est inexact d’écrire, comme le fait La Lettre A, que « son casier judiciaire fait état de neuf condamnations entre 2004 et 2019 » et que « la justice belge l’avait condamné en 2017 à six mois d’emprisonnement avec sursis pour harcèlement moral ». M. Ferasson s’inscrit également en faux sur l’affirmation que les propos qu’il a tenus entre 2016 et 2017 sur M. Christophe-André Frassa, sénateur, visaient « à nuire à la réputation du parlementaire, voire le contraindre à renoncer à toute ambition politique ».
Le requérant ajoute que « ces informations auraient pu être pondérées et surtout [auraient] reflété la réalité si le journaliste avait pris contact avec moi ». Enfin, il estime que le fait que « l’article [ne soit soit] pas signé [est] une faute au regard de notre déontologie ! ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent » selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne pas supprimera les informations essentielles et n’altèrera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3)
- Il prend soin que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
- Il « prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
Réponse du média mis en cause
Le 7 octobre 2022, le CDJM a adressé à M. Octave Bonnaud, rédacteur en chef de La Lettre A, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.
À la réception d’éléments complémentaires adressés par le requérant, le CDJM a sollicité à nouveau La Lettre A, et M. Quentin Botbol, directeur général de la société Indigo Publications, éditrice de La Lettre A, a répondu le 29 décembre 2022. Il explique que « les informations contestées figurent en toutes lettres dans le jugement du tribunal correctionnel de Paris », dont il adresse une copie au CDJM.
Il indique que dans un courriel de M. Fabien Ferasson adressé le 30 septembre à La Lettre A, celui-ci « n’avait rien à redire sur l’exactitude de l’article qui le concerne mais contestait simplement le jugement et sa condamnation » et « assortissait également son message de propos attentatoires à la vie privée » de M. Christophe-André Frassa. M. Botbol joint copie de ce courriel à sa réponse au CDJM, et précise que ce « courrier [de M. Ferasson] n’avait rien d’un droit de réponse formalisé ».
Analyse du CDJM
➔ L’article publié par La Lettre A traite d’une décision de justice concernant une plainte pour envoi répété de messages malveillants au sénateur des Français de l’étranger M. Christophe-André Frassa, et condamnant M. Fabien Ferasson à quatre mois de prison ferme. Il rappelle l’origine de l’affaire en 2016 et 2017, et précise que M. Ferasson est journaliste pour le site LesFrançais.press.
Le dernier paragraphe est un rappel des condamnations du requérant :
« Fabien Ferrasson est un habitué des tribunaux : son casier judiciaire fait état de neuf condamnations entre 2004 et 2019, notamment pour des faits de conduite en état d’alcoolémie ou de harcèlement. La justice belge l’avait condamné en 2017 à six mois d’emprisonnement avec sursis pour harcèlement moral. »
➔ M. Ferasson a fourni au CDJM un extrait de son casier judiciaire. Il s’agit d’un bulletin no 3 délivré le 19 décembre 2022, qui ne porte mention d’aucune condamnation, comme l’affirme le requérant dans sa saisine. De son côté, le jugement du tribunal de Paris du 9 septembre 2022 fait état « de 9 condamnations entre 2004 et 2019, [… les] deux dernières condamnations du 17 mai 2017 et du 25 septembre 2019, portant toutes les deux sur des faits de 2017 et concernant des faits de harcèlement, dénonciation calomnieuse, infraction en matière de télécommunication et coups et blessures avec vol ».
Le CDJM rappelle que la législation en vigueur prévoit que le bulletin no 3 comporte uniquement les condamnations pour crimes et délits à des peines supérieures à deux ans d’emprisonnement – « les condamnations pour crimes et délits inférieures à deux ans d’emprisonnement sans sursis » ne sont mentionnées que « si le tribunal en a ordonné la mention », alors que les magistrats ont accès au bulletin no 1, qui présente l’ensemble des condamnations judiciaires et des décisions de justice. Les intéressés ne peuvent pas obtenir de copie de leurs bulletins no 1 et no 2, qui sont réservés aux magistrats et aux agents de l’administration pénitentiaire (bulletin no 1) ou aux services publics et à certains employeurs privés (bulletin no 2, moins complet).
La différence entre le contenu de l’extrait de casier judiciaire no 3 adressé au CDJM par M. Ferasson et le rappel de ses condamnations dans le jugement du tribunal de Paris peut s’expliquer par ces dispositions, le magistrat ayant accès au bulletin no 1 contenant l’ensemble des condamnations judiciaires et décisions de justice, y compris celles prononcées par une juridiction étrangère (si la France a signé un accord avec ledit pays).
Le CDJM constate que La Lettre A, en écrivant que le casier judiciaire de M. Fabien Ferasson « fait état de neuf condamnations entre 2004 et 2019 », reprend les informations précises mentionnées par le tribunal correctionnel de Paris lors de la lecture du délibéré.
➔ M. Ferasson écrit au CDJM que contrairement à ce qu’écrit La Lettre A, « [sa] dispute avec Christophe Frassa est liée à une affaire privée », et ne visaient pas « à nuire à la réputation du parlementaire, voire le contraindre à renoncer à toute ambition politique ». Sans se prononcer sur les allégations des parties, le CDJM note que le juge parisien, dans sa décision, argue que « s’agissant de l’élément intentionnel, il n’est pas sérieusement contestable que Fabien Ferasson avait conscience du caractère malveillant de ses messages, l’objectif de ceux-ci ayant été, en pleine campagne électorale, de déstabiliser et décourager le plaignant de toute ambition politique en essayant de nuire à sa réputation ».
➔ Le requérant écrit qu’indiquer, comme le fait La Lettre A, qu’il est « condamné pour harcèlement en Belgique [est] encore une information fausse, car cette décision a été cassée en appel ». La phrase de l’article est : « La justice belge l’avait condamné en 2017 à six mois d’emprisonnement avec sursis pour harcèlement moral. »
L’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, que M. Ferasson a communiqué au CDJM, ne « casse » pas la décision du juge de belge de première instance. Elle porte en page de garde la mention manuscrite « incompétence », et la cour a reçu l’appel de M. Ferasson, qui estimait que les faits qui lui étaient reprochés constituaient des délits de presse relevant en droit belge de la compétence de la cour d’assises. Cet arrêt ne se prononce pas sur le fond.
Le jugement du tribunal de Paris souligne qu’« il ressort des éléments d’enquête et du casier judiciaire de Fabien Ferasson que ce dernier a déjà été jugé par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles à la peine de six mois d’emprisonnement assortis du sursis simple pour harcèlement moral, calomnie [et] diffamation ». Le CDJM note que le tribunal n’écrit pas que M. Ferrason a été condamné en Belgique, mais « Fabien Ferasson a été jugé ». Ce jugement a été annulé pour incompétence, mais les faits sont bien qu’un tribunal de première instance avait condamné M. Ferasson. La Lettre A, en écrivant qu’il avait été « condamné en 2017 », reprend la logique du tribunal de Paris, dont la décision ne mentionne pas l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles. Le CDJM rappelle que M. Ferasson pouvait solliciter un droit de réponse pour cette imprécision.
Le CDJM constate que le requérant n’est pas en mesure de fournir des éléments concrets prouvant que les informations données dans le jugement du tribunal de Paris et reprises dans l’article de La Lettre A sont fausses.
➔ M. Ferasson déplore que l’auteur de l’article n’ait pas pris contact avec lui pour « pondérer » ses informations et « refléter la réalité ». Le CDJM note cependant que dans un courriel adressé le jour de parution de l’article à la rédaction de La Lettre A, que celle-ci lui a transmis, le requérant évoque « de nombreux éléments à préciser » sans dire lesquels ni contester expressément aucune des informations de l’article.
Le CDJM estime que la reprise des éléments figurant dans une décision de justice, par nature contradictoire, n’impose pas de faire absolument une offre de réplique aux citations du contenu de ce jugement. En l’occurrence, les faits rapportés par La Lettre A sont appuyés sur une source crédible, qu’il aurait été bienvenu que l’article mentionne explicitement.
➔ Le requérant conclut sa saisine en indiquant : « Si je parle de journaliste sans le nommer c’est que l’article n’est pas signé. Impossible de connaître la personne à l’origine de ces propos orientés. Une faute au regard de notre déontologie ! »
Le CDJM rappelle que l’obligation déontologique d’un journaliste est de « prend[re] la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes » : les règles professionnelles n’imposent pas de signer toute publication. La publication d’articles non signés est une pratique courante du journalisme. Un tel texte engage déontologiquement l’encadrement de la rédaction qui le publie autant que l’auteur de l’article, et, pénalement, le directeur de la publication, au terme de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881.
En l’occurrence, la rédaction en chef de La Lettre A est comptable du respect des bonnes pratiques professionnelles de l’ensemble des articles dont elle assume la publication. Le CDJM note que les coordonnées complètes du rédacteur en chef et de son adjointe figurent sur le site du média et qu’à défaut de « connaître la personne à l’origine [des] propos » qu’il contestait, le requérant pouvait s’adresser à ces journalistes. Ce qu’il a d’ailleurs fait, comme l’atteste le courriel qu’il a envoyé à La Lettre A le 30 septembre.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 10 janvier 2023 en séance plénière, estime que les règles déontologiques d’exactitude et de véracité et d’offre de réplique, n’ont pas été enfreintes.
La saisine est déclarée non-fondée.
Cette décision a été prise par consensus.