Avis sur la saisine n° 22-075

Adopté en réunion plénière du 8 novembre 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 10 septembre 2022, M. Christophe Tonnaire a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 17 août 2022 sur le site de la radio locale Canal FM et titré « Fourmies : baignade interdite, mais les pédalos et la pratique de la pêche restent autorisés aux étangs des moines ».

M. Christophe Tonnaire formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits. Il estime que dans cet article consacré à la présence de cyanobactéries dans des étangs, le journaliste « altern[e] les recommandations de l’ARS [agence régionale de santé, ndlr] et des commentaires mensongers ». Il considère comme des erreurs le fait d’écrire que « le taux [de cyanobactéries] n’est que légèrement supérieur au seuil de 0.02 % », l’affirmation que « la présence de cyanobactéries [dans l’eau des étangs] est extrêmement faible » et le fait de « laisser entendre, contradictoirement à l’ARS, que l’eau n’est pas dangereuse à ce stade des analyses [et] qu’elle le serait si le taux était élevé ».

M. Tonnaire estime en conclusion que cette présentation des données de l’ARS et de ses conséquences vise « à minimiser le phénomène en excluant l’enjeu de santé publique réel avec la correspondance effective de la création des seuils d’alerte ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • il doit « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 9).

Réponse du média mis en cause

Le 16 septembre 2022, le CDJM a adressé à Mme Delphine Hernu, rédactrice en chef de Canal FM, avec copie à M. Paul Schuler, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Mme Hernu a répondu le 22 septembre qu’elle n’était pas « rédactrice en Chef au sein de notre radio mais Coordinatrice de la Rédaction » [sic] et a invité le CDJM à écrire sa « Direction pour la poursuite de la démarche que vous avez engagée auprès de nous ».

Un deuxième courrier a donc été envoyé le jour même à Mme Perrine Pages, qui apparaît comme directrice de la publication sur le site de Canal FM.

À la date du 8 novembre 2022, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Les cyanobactéries sont des micro-organismes invisibles à l’œil nu. Leur présence dans l’eau conduit à la production de toxines ; au-delà d’une certaine concentration, ces toxines peuvent provoquer des troubles de santé chez l’homme et les animaux. Les agences régionales de santé (ARS) recommandent alors d’interdire la baignade et certaines activités nautiques.

➔ L’article en cause présente les analyses effectuées par l’ARS des Hauts-de-France sur la pollution par les cyanobactéries des quatre étangs des Moines à Fourmies (Nord), et détaille les interdictions prises sur certains plans d’eau de la base de loisirs.

Le premier paragraphe indique que « les dernières analyses effectuées par l’Agence régionale de santé ont indiqué que le taux de cyanobactérie était légèrement supérieur au seuil d’alerte réglementaire (0,32 % au-lieu de 0,30) » et détaille les interdictions prises sur certains plans d’eau de la base de loisirs.

➔ L’auteur écrit qu’il y a un dépassement du seuil d’alerte fixé par les textes règlementaires. Mais il se trompe en écrivant « 0,32 % au-lieu de 0,30 » : le CDJM a constaté, comme l’indique le requérant, que le seuil d’alerte s’exprime en microgrammes par litre (µg/L) et pas en pourcentage, et qu’il est fixé à 0,30 µg/L pour certaines toxines liées aux cyanobactéries. Par ailleurs, ce n’est pas « le taux de cyanobactérie » qui est pris en compte, mais la concentration des toxines émises par les cyanobactéries.

➔ M. Tonnaire reproche également au journaliste « d’affirme[r] clairement et contradictoirement à l’ARS, que l’eau n’est pas dangereuse à ce stade des analyses », ce qui serait un commentaire mensonger. Outre que l’expression « pas dangereuse à ce stade des analyses » ne figure pas dans l’article de Canal FM, le CDJM note que le fait de présenter les conséquences de la présence de cyanobactéries dans les étangs ne constitue pas une erreur. Il relève que le journaliste précise que « la baignade est interdite » dans deux des quatre étangs, mais pas « la pratique des pédalos, à condition de ne pas mettre les mains dans l’eau », que « la consommation de produits de la pêche est interdite » et précise enfin à ses lecteurs qu’« il faut absolument éviter que vos chiens se jettent à l’eau ».

➔ Le requérant affirme dans sa saisine que « le journaliste ment volontairement à ses lecteurs au profit des relations avec la commune et du tourisme », qu’il « tronqu[erait] l’information, à titre répétitif, aux fins de minimiser un phénomène de santé publique nuisible à l’activité économique », et minimiserait les conséquences de la présence de toxines dans l’eau « en excluant l’enjeu de santé publique réel avec la correspondance effective de la création des seuils d’alerte ». Il y aurait à ses yeux confusion entre journalisme et communication. 

Le CDJM rappelle qu’il se ne prononce pas sur l’intention d’un journaliste ou l’indépendance d’un journal, mais sur le respect des règles déontologiques dans l’élaboration de l’acte journalistique qui lui est soumis.

Il considère que cette mise en cause de l’indépendance du journaliste n’est pas étayée. D’une part, le journaliste ne ment pas intentionnellement, mais commet deux erreurs factuelles dans le seul exposé des données de la pollution transmises par l’ARS. D’autre part, il précise que « la baignade est interdite » dans deux des quatre étangs, mais pas « la pratique des pédalos, à condition de ne pas mettre les mains dans l’eau », que « la consommation de produits de la pêche est interdite » et avertit ses lecteurs qu’« il faut absolument éviter que vos chiens se jettent à l’eau ». Enfin, en écrivant que «  toutes les autres activités [que la baignade dans deux étangs] sont maintenues », ou que « les pluies de cette semaine permettront peut-être d’améliorer la qualité de l’eau des étangs », il fait des choix qui relèvent de sa liberté rédactionnelle.

Conclusion

Le CDJM réuni le 8 novembre 2022 en séance plénière estime que l’obligation d’exactitude et de véracité des faits a été enfreinte sur deux des quatre points soulevés par le requérant, mais que celle de distinction entre journalisme et communication ne l’a pas été.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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