Avis sur la saisine n° 22-072

Adopté en réunion plénière du 11 octobre 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 31 août 2022, M. Sven De Roeck a saisi le CDJM à propos d’un article publié par Le Parisien dans son édition du 29 juillet 2022 et titré « Je ne sais plus rien de mes enfants ». Cet article a également été mis en ligne le même jour sur le site du quotidien sous le titre « Enfants enlevés par leur mère en Roumanie : “J’ai l’impression d’être dans un mauvais thriller”, confie le père ».

M. De Roeck formule le grief de non-respect de l’offre de réplique. À l’appui, il affirme « connaître très bien l’affaire en question ainsi que la vraie victime », et défend dans la saisine adressée au CDJM une thèse inverse à celle exposée par le père de famille interrogé dans l’article en cause.

Il considère donc que « le journaliste aurait dû, au minimum, prendre le point de vue de cette femme – qui est tout autre que celui mis en avant par cet homme ». Il affirme qu’« elle n’a jamais été contactée avant la publication » et que « quand elle demande un droit de réponse, le journaliste ignore d’abord ses messages et puis lui dit de “prendre un avocat”… »

Recevabilité

Le 4 octobre, M. Xavier Genovesi, directeur juridique du groupe Les Échos-Le Parisien, a indiqué par courrier au CDJM que, d’après lui, cette saisine n’était pas recevable. M. Genovesi invoque à l’appui de cette affirmation l’article 1.4 du règlement intérieur du CDJM en écrivant que cet article « indique que le requérant doit être “concerné directement par l’acte journalistique en cause” ». Il en conclut que le requérant n’a pas qualité pour saisir le CDJM.

Or, l’article 1.4 du CDJM précise uniquement que « si le/la requérant·e est concerné·e directement par l’acte journalistique en cause, il/elle doit le préciser dans sa demande ».

L’objection de M. Genovisi est donc erronée, et cette saisine est recevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • « La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

Réponse du média mis en cause

Le 3 septembre 2022, le CDJM a adressé à M. Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions du Parisien, avec copie à M. Jean-Michel Décugis, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

M. Xavier Genovesi a répondu le 4 octobre 2022 au nom du groupe Les Échos-Le Parisien, dont il est le directeur juridique.

Il indique en premier lieu que « l’article a pour objet principal les difficultés rencontrées par les parents d’enfants binationaux à faire appliquer des décisions de justice relatives à leur garde dans un environnement international ». Il ajoute que « le témoignage de M. Loiry [le père des enfants, ndlr] a été recueilli aux fins d’illustrer ce sujet ».

Il précise également que le journaliste « n’a pu obtenir les coordonnées de l’ex-compagne de M. Loiry au moment de la rédaction de l’article » mais qu’« à la suite de la parution, Monsieur Décugis a été contacté par celle-ci et s’est entretenu avec elle pendant près d’une heure. Il lui a conseillé de rédiger un droit de réponse, tel que prévu par la loi du 18 juillet 1881 sur la liberté de la presse et de prendre attache avec un avocat à même de lui indiquer les exigences de forme et de fond à respecter ».

M. Genovesi ajoute que l’article de M. Décugis « porte sur une base factuelle suffisante et sérieuse », que M. Décugis s’est appuyé « sur de nombreuses décisions de justice par essence contradictoires rendues à l’issue d’une procédure judiciaire pendant laquelle l’ex-compagne de M. Loiry a pu librement faire valoir sa vision des faits et des arguments juridiques ».

Analyse du CDJM

➔ Les deux versions de l’article du Parisien, celle imprimée et celle en ligne, ne diffèrent que par leur titre. Le premier paragraphe, en forme d’introduction, expose la problématique générale des enfants de couples binationaux dont la séparation est difficile. Il se poursuit par l’évocation des décisions de justice qui ont « ordonné le retour des enfants de Cyril Loiry en France » et un commentaire de l’avocat de ce dernier.

L’essentiel de l’article – près de 90 % de son contenu – est le récit de M. Cyril Loiry, présenté dans la retranscription de ses réponses à six questions de M. Jean-Michel Décujis. M. Loiry raconte qu’il n’a plus vu ses enfants depuis deux ans, décrit ce qu’il sait de leur vie en Roumanie auprès de leurs grands-parents maternels et ses efforts pour les voir. Il revient aussi sur les procédures judiciaires qui l’opposent à son ex-épouse.

➔ Le CDJM constate donc que cet article se compose uniquement de l’interview d’une personne dont la situation illustre un fait d’intérêt général. La mention « Propos recueillis par Jean-Michel Décujis » qui figure immédiatement sous le titre et le sous-titre, ainsi que l’alternance des questions et des réponses dans des caractères différents – les questions sont en caractère gras – indiquent clairement cette nature de l’article.

Malgré le propos liminaire qui présente la situation de M. Loiry comme exemplaire de la complexité des affaires « où des enfants se retrouvent pris en otages après une séparation difficile », les lecteurs ne peuvent douter que cet acte journalistique se limite à exposer, de façon univoque, la situation telle que la personne interrogée affirme la vivre. Il ne s’agit pas d’une enquête ou d’un dossier qui aurait alors nécessité d’offrir la parole à tous les mis en cause.

➔ Le CDJM observe que l’ex-épouse de M. Loiry n’est désignée que par un prénom et une initiale, « Alexandra V. ». Il peut être regretté que le journaliste ne lui ait pas spontanément offert une réplique, ou n’ait pas eu les moyens de le faire. Mais la suggestion qui lui a été faite, après la publication d’une interview dont elle conteste le contenu, d’user de son droit de réponse dans les conditions prévues par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881, est conforme aux pratiques professionnelles.

Conclusion

Le CDJM réuni le 8 novembre 2022 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’offre de réplique n’a pas été enfreinte.

La saisine est déclarée non-fondée.

Cette décision a été prise à l’issue d’un vote par 10 voix pour, 3 contre et 4 abstentions.

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