Avis sur la saisine n° 22-069

Adopté en réunion plénière du 8 novembre 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 9 août 2022, M. Maxime Davoust a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 8 août 2022 par Les Nouvelles / L’Echo fléchois sur le site Actu.fr et titré « Un feu de forêt dans le Maine-et-Loire visible depuis La Flèche ». M. Maxime Davoust précise en préambule de sa saisine qu’il est « journaliste depuis près de dix ans pour la société Publihebdos » qui publie le site Actu.fr. Il formule le grief d’inexactitude par « utilisation abusive de photos d’illustration ».

Selon lui, la photo qui illustre l’article ne se rapporte pas aux faits décrits – un feu de forêt dans la commune de Baugé-en-Anjou –, mais est une photo d’archive « vieille de plusieurs années ». M Davoust adresse en outre au CDJM une liste de liens renvoyant vers des articles du groupe Publihebdos où figurent des photos d’illustration.

Recevabilité

Le règlement intérieur du CDJM stipule dans son article 1.1 que « les requérant·es sont des personnes physiques de 16 ans révolus ou des personnes morales ». Aucune autre restriction n’est posée. Le fait que le requérant soit salarié du groupe qui publie l’article en cause n’entraîne pas l’irrecevabilité de la saisine.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).

Réponse du média mis en cause

Le 3 septembre 2022, le CDJM a adressé à M. Francis Gaunand, directeur de la publication du groupe Publihebdo Actu.fr et à Mme ​​Julie Hurisse, rédactrice en chef de Actu.fr Pays-de-la-Loire / Les Nouvelles de Sablé – L’Echo Fléchois, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 13 septembre 2022, M. Francis Gaunand a répondu au CDJM. Il explique que « le sujet des photos d’illustration […] est un sujet d’attention pour [le groupe Publihebdos] ; nous avons eu de nombreux échanges – y compris avec Monsieur Maxime Davoust – pour sensibiliser tous nos journalistes ». Il cite la charte du groupe Publihebdos, « accessible sur le site », qui stipule que « les journalistes de Publihebdos veillent à la pertinence de l’illustration de manière à ne pas travestir la réalité pour ne pas induire le public en erreur ». Il ajoute qu’« une base de données de photos partagées a été mise en place pour éviter l’utilisation de photos trompeuses ».

Concernant l’article qui fait l’objet de la saisine, M. Gaunand explique qu’il a été produit par « une journaliste arrivée courant de l’été et qui n’est pas encore “rompue” à nos pratiques et exigences quant à l’utilisation des photos d’illustration ». Il reconnaît que « la photo utilisée est exagérée par rapport aux faits rapportés », mais souligne qu’« il n’y a pas eu volonté de tromper le lecteur puisqu’elle a bien pris la précaution d’indiquer dans la légende de la photo en question [la mention] “illustration”. »

Analyse du CDJM

➔ Le CDJM précise en préambule que son rôle consiste à analyser les éléments en sa possession et à indiquer si l’acte journalistique visé respecte les règles de déontologie dont la profession de journaliste s’est dotée. Il n’a procédé qu’à l’analyse du seul acte journalistique qui lui est soumis, sans examiner les autres exemples communiqués par le requérant, et sans intention de se prononcer sur l’importance, ou pas, de cette pratique au sein du titre et du groupe concerné.

➔ Le CDJM rappelle qu’au sein d’un article, le texte, les illustrations et les légendes de ces dernières forment un tout qui, dans chacune de ses composantes, doit respecter les règles déontologiques et notamment l’exactitude et la véracité des faits rapportés. Les « bonnes pratiques » journalistiques font par ailleurs la différence entre les photos d’actualité, relatives à un événement identifié, dûment signées et légendées, et les « illustrations » qui ont un rapport symbolique avec le sujet de l’article et apparaissent clairement en tant que telles.

➔ La saisine porte sur l’illustration de l’article « Un feu de forêt dans le Maine-et-Loire visible depuis La Flèche » consacré à un incendie qui ravage, au moment de la mise en ligne de l’article, une trentaine d’hectares dans la commune de Baugé-en-Anjou (Maine-et-Loire). Cet article comprend une photo représentant un véhicule des sapeurs-pompiers noyé dans la fumée et cerné par les flammes. La mention ​​« Le feu de forêt n’était pas fixé, à 15 h 30. ©Actu.fr, illustration » est portée en légende sous la photo.

➔ En l’occurrence, la photographie qu’a retenue le site n’est pas neutre. Elle fournit au lecteur des éléments (violence, sensation d’encerclement des pompiers) qui ne se retrouvent pas dans le texte de l’article. L’éditeur lui-même indique dans la réponse qu’il a adressée au CDJM que « la photo utilisée est exagérée par rapport aux faits rapportés ».

Le risque de tromper le lecteur est atténué par la mention « illustration » en fin de légende. Cependant, celui-ci demeure, en premier lieu du fait du choix de la photographie qui ne peut prétendre illustrer de manière générique un incendie de forêt alors qu’elle présente une situation particulière. En second lieu, la mention « illustration » accompagne une légende qui rapporte un élément d’information – « Le feu de forêt n’était pas fixé, à 15 h 30 » – ce qui invite le lecteur à considérer que la photographie et la légende forment un tout cohérent, apportant une information factuelle. Or les deux éléments ne sont pas de même nature informationnelle. La légende est factuelle alors que l’image est d’illustration, c’est-à-dire sans lien direct avec les faits rapportés. En outre, le rapprochement des deux éléments peut laisser à penser que le journaliste était sur place, ce qui n’était pas le cas.

​​➔ Pour le CDJM, le fait de mentionner « illustration » en fin de légende ne peut suffire à garantir que le lecteur ne sera pas induit en erreur sur la nature réelle de la photographie publiée. En outre, le CDJM observe que, s’agissant des publications numériques, la mention « illustration », de même que les légendes, ne sont pas reprises, dans de nombreux cas, par des systèmes de republication automatisés ou non, comme les réseaux sociaux. Tout ou partie de l’article se voit alors diffusé avec la photographie sans que le lecteur puisse avoir même la notion qu’il s’agit d’une illustration sans lien direct avec les faits relatés. C’est donc avec d’autant de plus de précaution que les illustrations doivent être choisies sur les publications numériques.

➔ Comme l’indique la charte du groupe Publihebdos, les journalistes doivent veiller « à la pertinence de l’illustration de manière à ne pas travestir la réalité pour ne pas induire le public en erreur ». En l’occurrence, le choix d’une photographie à vocation de simple illustration mais apportant des informations sans lien objectivé avec les faits décrits par le titre et le texte de l’article, ainsi que l’apposition d’une légende reprenant ces faits, sont de nature à donner une information inexacte au lecteur.

Le CDJM note également, alors même que l’éditeur a jugé lui-même que « la photo utilisée est exagérée par rapport aux faits rapportés », qu’il n’a été procédé, au jour de la publication du présent avis, à aucune rectification de l’illustration et/ou de sa légende sur l’article toujours disponible en ligne.

Conclusion

Le CDJM réuni le 8 novembre 2022 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité des faits n’a pas été respectée.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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