Avis sur la saisine n° 22-053

Adopté en réunion plénière du 13 décembre 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 6 juin 2022, M. Paul Leclercq a saisi le CDJM à propos de l’émission « Bercoff dans tous ses états » diffusée le 12 mai 2022 sur Sud Radio et titrée « Paradoxes de l’écologie punitive et de l’obscurantisme vert – Yves Roucaute ». Le requérant joint à sa saisine un lien sur YouTube, en indiquant le passage qui a retenu son attention.

Il formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits. Il estime que M. André Bercoff, qui interviewe le philosophe M. Yves Roucaute, « n’a jamais corrigé une faute scientifique » dans les propos de son invité, à savoir le passage où M. Roucaute dit que « l’Homme n’est “peut-être” pas responsable du réchauffement climatique ». M. Leclercq argumente ainsi son reproche : « Dans le rapport AR6 WGI*, on peut lire que l’homme est à 100% responsable du réchauffement climatique actuel. »

* La référence « AR6 WGI » renvoie à la contribution du groupe de travail I (Working Group I ou WGI) du sixième rapport du Giec consacrée aux sciences physiques du changement climatique et publié en août 2021. 

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon a Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

Réponse du média mis en cause

Le 17 juin 2022, le CDJM a adressé à M. Patrick Roger, directeur général de Sud Radio avec copie à M. André Bercoff, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM . À la date du 13 décembre 2022, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’émission en cause, intitulée « André Bercoff dans tous ses états », est un rendez-vous quotidien sur l’antenne de Sud Radio. Son invité du 12 mai 2022 est M. Yves Roucaute, à l’occasion de la publication de son livre L’Obscurantisme vert, La véritable histoire de la condition humaine, publié aux éditions du Cerf.

➔ Au début de l’émission, M. Bercoff présente M. Roucaute comme « agrégé de philosophie, conférencier, épistémologiste et brillant pamphlétaire et essayiste » et précise : « Vous travaillez à front renversé. » M. Roucaute résume ainsi son ouvrage :

« J’ai essayé de faire une réponse globale à une idéologie globale. C’est-à-dire qu’en fait, globalement, on a une vague obscurantiste monstrueuse qui conduit d’abord à une défaite de la pensée : c’est-à-dire qu’en réalité aujourd’hui, on fait comme si la planète était un être vivant, comme si elle existait. Il faudrait la sauver. C’est l’idolâtrie de la planète… la gauche, l’extrême gauche est emportée dans cette idolâtrie de la planète, oubliant qu’il faut sauver l’Humanité. »

➔ Au cours de cet entretien, M. Roucaute évoque l’histoire de la Terre sur des millions d’années. Le passage mis en cause par le requérant se situe au terme de cette description, à 16 min 48 s :

« Maintenant, on a à nouveau un petit réchauffement qui se produit, explique M. Roucaute. Combien de temps il va durer [sic] ? Personne ne le sait. Est-ce que c’est la faute des humains ? Moi je veux bien que les humains y contribuent.

– Est-ce que vraiment l’homme n’y est pour rien, relance M. Bercorff, quand même ? L’industrie, etc. etc.

– Mais peut-être que l’homme joue… peut-être que l’homme joue. Mais si vous voulez, encore une fois il faut bien comprendre ce que c’est que l’environnement. Et le problème c’est que les petits bonhommes verts, ils ont l’air de croire que ne compte comme environnement que ce qui permet de culpabiliser les humains. »

➔ M. Roucaute affirme en substance que le rôle des gaz à effet de serre est un phénomène ancien sur Terre et que les humains jouent peut-être un rôle dans le réchauffement observé depuis plusieurs décennies. Plus qu’exposer des faits, il exprime là une opinion dans la logique de la dénonciation politique de ceux qu’il appelle « les petits bonhommes verts » qui est au cœur de son livre et son interview. Le grief d’inexactitude n’est pas constitué.

➔ Le CDJM note que M. Bercoff introduit une nuance dans le raisonnement de son invité en le questionnant (« Est-ce que vraiment l’homme n’y est pour rien, quand même ? L’industrie, etc. etc. ») puis plus loin, à 34 min, laisse longuement la parole à un auditeur qui affirme que « les rapports du Giec, on peut quand même pas mettre ça sur le côté ! Le discours qui est produit là est une validation du climato-scepticisme à la Trump et compagnie ! »

➔ Le CDJM tient cependant à rappeler que les journalistes, lorsqu’ils abordent des questions scientifiques, y compris en donnant la parole à des personnes interviewées, doivent veiller à ne pas mettre sur le même plan ce qui fait consensus au sein de la communauté scientifique, ce qui doit être encore précisé, et démonstration minoritaire largement rejetée. A ce titre, il déplore que les auditeurs de Sud Radio n’aient pas été suffisamment avertis que la lecture du lien entre les activités humaines et l’effet de serre présentée par M. Roucaute est en contradiction avec le consensus scientifique sur ce point. Le sixième rapport du Giec est sans ambiguïté : « Les augmentations observées des concentrations de gaz à effet de serre (GES) depuis environ 1750 sont sans équivoque causées par les activités humaines »

Conclusion

Le CDJM réuni le 13 décembre 2022 en séance plénière estime que l’obligation d’exactitude n’a pas été enfreinte.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise à l’issue d’un vote par 8 voix contre 7.

Opinion minoritaire

En application de l’article 6 alinéa 4 du règlement intérieur du CDJM, 4 conseillers qui ont voté contre la décision du CDJM ont souhaité que cet avis minoritaire soit inséré :

« Avec cet entretien, Sud Radio choisit de donner la parole à un auteur qui remet en cause le poids de l’activité humaine dans le réchauffement climatique. Permettre à une personnalité qui n’est pas un spécialiste du climat d’exprimer une opinion à rebours du consensus scientifique peut être un exercice journalistique utile et pertinent.

Mais la responsabilité du journaliste est alors de rappeler, de façon explicite et sans ambiguïté pour les auditeurs, que les affirmations de M. Roucaute vont, comme le rappelle le requérant, à l’encontre des travaux scientifiques sérieux sur l’évolution du climat, qui expliquent la hausse rapide des températures depuis l’ère industrielle par le recours accru aux énergies fossiles.

Certes, rectifier en direct des propos inexacts tenus par un invité est un exercice difficile. Mais l’animateur M. Bercoff a pleinement l’occasion lors de cet entretien de rappeler à ses auditeurs l’état des connaissances scientifiques sur les sujets abordés, et de préciser que son invité n’est pas un spécialiste reconnu du climat.

Selon nous, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité aurait dû être retenu, et la saisine aurait dû être déclarée fondée. »

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