Avis sur la saisine n° 22-052

Adopté en réunion plénière du 13 décembre 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 5 juin 2022, M. Paul Leclercq a saisi le CDJM à propos d’un article publié sur le site du quotidien Le Figaro le 3 juin 2022 et titré « Yves Roucaute : “Sauver la planète de l’humanité est une galéjade” ». M. Leclercq formule les griefs d’inexactitude et de non-véracité des faits, de conflit d’intérêt et de confusion entre publicité et information.

Au titre de l’inexactitude, il note que, dans cette interview recueillie par Mme Marie-Laetitia Bonavita, journaliste, M. Yves Roucaute, auteur du livre  L’Obscurantisme vert, La véritable histoire de la condition humaine dit que « l’Homme “a un rôle dérisoire” sur le réchauffement climatique ». Le requérant affirme au contraire que « depuis le rapport du Giec AR6 WGI d’août 2021*, le consensus scientifique est formel, les activités humaines sont à la base du réchauffement climatique en cours ».

M. Leclercq ajoute que cela est dit « sans aucune vérification de la journaliste » ce qui, à ses yeux, relève de conflit d’intérêts et de confusion entre publicité et information.

* La référence « AR6 WGI » renvoie à la contribution du groupe de travail I (Working Group I ou WGI) du sixième rapport du Giec consacrée aux sciences physiques du changement climatique et publié en août 2021. 

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • « La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics », et il doit « éviter – ou mettre fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
  • Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).

Réponse du média mis en cause

Le 10 juin 2022, le CDJM a adressé à M. Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, avec copie à Mme Marie-Laetitia Bonavita, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 28 juillet 2022, Mme Bénédicte Wautelet, directrice juridique de la Société du Figaro, a répondu au CDJM par courrier recommandé avec accusé de réception. « Nous comprenons que le plaignant se limite à exposer une opinion différente de celle au cours de cette interview », écrit-elle. Mme Wautelet note que le grief de conflit d’intérêts n’est pas étayé, et répond à l’accusation du requérant de confusion entre publicité et information que « l’interview d’un auteur, à la sortie de son livre, est une pratique courante de la presse et des médias, qui ne saurait nullement constituer un manquement déontologique susceptible d’être stigmatisé par votre Conseil ».

Analyse du CDJM

➔ L’article objet de la saisine est une interview de M. Yves Roucaute ­à l’occasion de la publication de son livre L’Obscurantisme vert, La véritable histoire de la condition humaine paru début mai 2022 aux éditions du Cerf.

➔ Le requérant reproche à M. Roucaute d’avoir dit que « l’Homme “a un rôle dérisoire” sur le réchauffement climatique ». Le CDJM rappelle que M. Roucaute est libre d’exprimer cette opinion qui ne nie pas le rôle de l’humanité dans le réchauffement climatique, mais la minimise grandement. Il considère que lui donner la parole à l’occasion de la publication d’un livre est un choix éditorial du Figaro. Le texte introductif de l’interview, qui évoque « les idées fausses de l’écologie punitive » et les « petits bonshommes verts qui ne cessent de condamner l’humanité pour mieux idolâtrer la planète » traduit cette volonté de se placer sur le terrain politique. Il ne s’agit pas d’un article à prétention scientifique. Le grief d’inexactitude n’est pas constitué.

Le CDJM défend la liberté d’expression et la liberté éditoriale des médias, gage de diversité des opinions. Il tient cependant à rappeler que les journalistes, lorsqu’ils abordent des questions scientifiques, y compris en donnant la parole à des personnes interviewées, doivent veiller à ne pas mettre sur le même plan ce qui fait consensus au sein de la communauté scientifique, ce qui doit être encore précisé, et une démonstration minoritaire largement rejetée. À ce titre, il déplore que les lecteurs du Figaro ne soient pas suffisamment avertis que l’auteur n’est pas un spécialiste du climat et que sa lecture du lien entre les activités humaines et l’effet de serre est en contradiction avec le consensus scientifique sur ce point.

➔ Le requérant formule également les griefs de conflit d’intérêt et de confusion entre publicité et information. Le CDJM note que le groupe Le Figaro n’est pas l’éditeur du livre de M. Roucaute et n’a aucun intérêt dans sa commercialisation. Il rappelle qu’interroger l’auteur d’un ouvrage, qui plus est au moment de sa parution, relève du traitement de l’actualité et pas de la publicité. Ces griefs ne sont pas fondés.

Conclusion

Le CDJM réuni le 13 décembre 2022 en séance plénière estime que les obligations déontologiques concernant les trois griefs formulés (inexactitude et non véracité des faits, conflit d’intérêts et confusion entre publicité et information) n’ont pas été enfreintes.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise à l’issue d’un vote par 8 voix contre 7.

Opinion minoritaire

En application de l’article 6 alinéa 4 du règlement intérieur du CDJM, 4 conseillers qui ont voté contre la décision du CDJM ont souhaité que cet avis minoritaire soit inséré :

« Avec cet entretien, Le Figaro ouvre ses pages à un auteur qui remet en cause le poids de l’activité humaine dans le réchauffement climatique. Donner la parole à une personnalité qui n’est pas un spécialiste du climat et exprime une opinion à rebours du consensus scientifique peut être un exercice journalistique utile et pertinent.

Mais la responsabilité du journaliste et de son média est alors de rappeler que les affirmations de M. Roucaute vont, comme le rappelle le requérant, à l’encontre des travaux scientifiques sur l’évolution du climat, qui expliquent par le recours accru aux énergies fossiles la hausse rapide des températures enregistrée depuis l’ère industrielle.

Dans le cas d’une interview, le souci d’informer avec la plus grande exactitude aurait pu se traduire par exemple par l’ajout d’un texte additionnel dit « encadré » ou d’une simple « note de la rédaction », afin de rappeler de façon explicite pour le lecteur l’état des connaissances scientifiques sur les sujets abordés.

Selon nous, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité aurait dû être retenu, et la saisine aurait dû être déclarée partiellement fondée. »

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