Adopté en réunion plénière du 13 septembre 2022 (version PDF)
Description de la saisine
Le 10 mai 2022, M. Stéphane Le Masson de Vendeuvre a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 25 février 2022 par Ouest France et titré « Les élus de La Ville-ès-Nonais disent non au “Grand Saint-Malo” ». M. Le Masson de Vendeuvre formule trois griefs : inexactitude des faits rapportés, absence d’offre de réplique et non-rectification d’une erreur.
Il expose au CDJM qu’en tant qu’élu municipal « de la minorité » de la commune de La Ville-ès-Nonais, il est intervenu lors d’un conseil municipal à propos d’un contrat conclu par l’agglomération de communes de Saint-Malo, dont fait partie La Ville-ès-Nonais, avec une agence de communication. Il affirme que « des propos inexacts [lui] ont été attribués » dans l’article de Ouest France, sans « [qu’il ait] jamais été interrogé par le journaliste auteur de l’article et alors qu’aucun journaliste ni correspondant de presse n’était présent lors de ce conseil municipal ».
Il ajoute qu’il est « facilement identifiable, puisque nous ne sommes que deux élus de la minorité/opposition » et que « la conclusion de l’article tend à faire penser au lecteur que j’accusais “gratuitement” [le vice-président de l’agglomération en charge de l’attractivité du territoire et de la communication] ».
Il affirme avoir constaté qu’aucun correspondant local de presse ni aucun journaliste n’assistait à la réunion. Dès lors, il s’étonne que le compte-rendu publié par Ouest-France fasse état d’une intervention qu’il a prononcée au cours des débats, intervention rapportée selon lui de façon erronée, avec le risque d’induire les lecteurs en erreur sur le sens de ses propos.
M. Le Masson de Vendeuvre précise dans sa saisine avoir écrit par courrier électronique le 8 avril 2022 à l’auteur de l’article avec copie au rédacteur en chef délégué responsable de l’information locale et régionale de Ouest-France et n’avoir reçu aucune réponse « de l’auteur de l’article ni du journal ».
Recevabilité
M. Le Masson de Vendeuvre est membre du CDJM, et a été élu conseiller au titre du collège public en tant que président du Club de la presse de Bretagne. La recevabilité de cette saisine a été examinée par le bureau du CDJM le 18 mai 2022, selon les critères définis à l’article 3 de son règlement intérieur. Aucune disposition n’interdisant à un adhérent du CDJM de le saisir, et cette saisine répondant aux exigences du règlement intérieur, notamment ses articles 1 et 2, elle a été retenue.
Cette décision de recevabilité n’a pas été contestée lors de la session du CDJM du 14 juin 2022 au cours de laquelle cette saisine a été présentée aux conseillers. M. Le Masson de Vendeuvre, excusé, n’assistait pas à cette réunion.
Le 13 septembre 2022, lors de sa session mensuelle, après que M. Le Masson de Vendeuvre a été déconnecté de la réunion en visioconférence – conformément à l’article 5.6 du règlement intérieur du CDJM qui prévoit le déport d’un conseiller qui se trouve en situation de conflit d’intérêts pour quelque raison que ce soit, a fortiori lorsqu’il saisit le CDJM –, le CDJM a étudié au fond cette saisine et a rendu le présent avis.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, l’article 1).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
- Il « dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
Réponse du média mis en cause
Le 20 mai 2022, le CDJM a adressé à M. François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest-France, avec copies à MM. Sébastien Grosmaitre, rédacteur en chef délégué responsable de l’information locale et régionale et M. Nicolas Carnec, journaliste chef du bureau de Saint-Malo de Ouest-France, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
Par souci de transparence, Ouest-France a été informé que M. Le Masson de Vendeuvre est, au titre du Club de la presse de Bretagne, adhérent au CDJM, et un de ses conseillers élus.
Le CDJM a renvoyé ce courrier le 12 juillet 2022 par voie électronique à MM. Sébastien Grosmaitre et Nicolas Carnec, leur demandant en outre « de préciser les conditions dans lesquelles ont été réunies les informations nécessaires à ce compte rendu du conseil municipal » de La Ville-ès-Nonais.
À la date du 13 septembre 2022 , aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ En préambule, le CDJM observe que la pratique qui consiste à publier des comptes rendus de conseils municipaux auxquels aucun journaliste ni correspondant de presse n’a assisté est assez courante dans la presse régionale quotidienne et hebdomadaire. Il serait en effet impossible pour une rédaction locale de couvrir l’ensemble de ces réunions, dans des secteurs comptant généralement de très nombreuses communes.
Ces rédactions sont donc conduites à privilégier les conseils municipaux des plus importantes communes, ou de celles dont on sait qu’elles peuvent présenter des situations originales, en laissant le suivi des autres communes aux correspondants locaux. À défaut de la présence d’un journaliste ou d’un correspondant de presse, ces rédactions se contentent de se renseigner auprès du maire ou du secrétaire de mairie pour publier les décisions arrêtées par l’assemblée municipale.
Cette pratique ne présente pas de difficulté majeure tant qu’il s’agit de délivrer une sorte de relevé de décisions, même rédigé sous forme journalistique ou enrichi de notations utiles à la compréhension de ces dernières. Le CDJM considère cependant que l’origine de ces informations devrait être claire pour le lecteur, ce qui est loin d’être toujours le cas.
➔ Le point sur lequel porte le grief d’inexactitude formulé par M. Le Masson de Vendeuvre est l’évocation de propos qu’il a tenus lors d’un conseil municipal de La Ville-ès-Nonais. L’article de Ouest-France en cause les évoque en ces termes : « Par la voix de l’opposition, une question a également été soulevée sur les liens potentiels entre Dominique de La Portbarré, le vice-président de l’agglomération en charge de l’attractivité du territoire et de la communication, et Rivacom, l’agence qui a obtenu le marché du changement de nom. »
M. Le Masson de Vendeuvre explique dans sa saisine que lors du conseil municipal en question, il a interrogé le maire sur le nom de l’agence de communication chargée de la campagne pour le changement de nom de l’agglomération malouine, dont fait partie La Ville-ès-Nonais.
Il ajoute avoir « précisé que l’agence en question, Rivacom, avait acquis quelques années plus tôt la société Phares et balises, dont le fondateur (et cédant), Dominique de La Portbarré, est aujourd’hui vice-président de Saint-Malo agglomération ».
Le CDJM considère que la restitution des propos de M. Le Masson de Vendeuvre par Ouest-France ne contrevient pas à l’obligation d’exactitude et de véracité.
➔ L’article ne se limite cependant pas à ce compte rendu. L’intervention de M. Le Masson de Vendeuvre en conseil municipal y est interprétée comme une mise en cause de M. De La Portbarré, comme l’indique un intertitre : « De La Portbarré répond. » Le journaliste a donc pris contact avec les personnes citées, et écrit que « joint par téléphone, jeudi, Dominique de La Portbarré, est totalement transparent. » Il cite l’élu qui explique qu’il a vendu sa société Phares et balises, en 2018, à Rivacom et n’a « plus ni intérêt, ni lien avec Rivacom ». Le journaliste M. Nicolas Carnec a également contacté cette agence de communication, et la cite, confirmant « n’avoir aucun lien avec M. de la Portbarré ». Il conclut son article par cette phrase : « Des propos infondés qui méritaient d’être précisés. »
M. Le Masson de Vendeuvre considère que cette phrase « tend à faire penser au lecteur que j’accusais “gratuitement” Dominique de La Portbarré » lors du conseil municipal.
Le CDJM estime que dès lors qu’un élu se voit attribuer des propos ou une position pouvant prêter à polémique, les journalistes doivent faire preuve de prudence et en vérifier, autant que possible, l’exactitude.
En l’espèce, le requérant affirme qu’il n’a jamais été contacté avant la parution de l’article incriminé. En l’absence de réponse de Ouest-France et/ou du journaliste, le CDJM considère que cette précaution aurait peut-être conduit la rédaction à ne pas reprendre à son compte l’affirmation selon laquelle les propos tenus par les élus de l’opposition étaient « infondés », ou au contraire à l’étayer sur une argumentation solide. Cela est d’autant plus regrettable que le journaliste a su contacter M. de La Portbarré et l’agence Rivacom pour les faire réagir.
➔ Le 8 avril 2022, M. Le Masson de Vendeuvre a adressé un courriel à M. Nicolas Carnec, en mettant en copie M. Sébastien Grosmaître, rédacteur en chef délégué, responsable de l’information locale et régionale de Ouest-France. Il y précise le sens de son intervention lors du conseil municipal et affirme que son « commentaire ne constituait donc en aucun cas une accusation, puisque [qu’il n’a] pas parlé de liens d’intérêt et [a] laissé le maire se prononcer », ajoutant : « Connaissant personnellement Dominique de La Portbarré, je me serais d’ailleurs bien gardé d’une telle accusation… »
Le contenu de ce courriel apportait un éclairage sur les faits qui aurait dû inciter Ouest-France, au nom du « droit de suite », qui est aussi un « devoir » évoqué par la Charte d’éthique professionnelle des journalistes, à porter à la connaissance du public la version du requérant.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 13 septembre 2022 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par Ouest-France, mais que celle d’offre de réplique n’a pas été respectée.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cette décision a été prise par consensus.