Avis sur la saisine n° 22-043

Adopté en réunion plénière du 12 juillet 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 12 mai 2022, M. Yann Castanier a saisi le CDJM à propos de la couverture de l’hebdomadaire Le Point n° 2596 daté du 12 mai 2022.

M. Yann Castanier, qui précise être le « photojournaliste qui a réalisé la photographie en couverture du magazine », formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits et d’altération d’un document (texte ou image).

Selon lui, « deux problèmes déontologiques se posent » :

  • « Le premier concerne le sous-titre “L’autre Le Pen”. En photojournalisme, le texte a valeur d’ancrage, c’est-à-dire qu’il doit rendre explicite l’information au travers des 5W [méthode qui consiste à répondre aux questions : What – Who – Where – When – Why, ndlr]. Il ne peut y avoir d’implicite. Or, le sous-titre “L’autre Le Pen” laisse penser que M. Mélenchon pourrait être de la famille de Mme Le Pen, ce qui n’est pas le cas, ou de la famille politique de Mme Le Pen, ce qui n’est pas le cas non plus. Ainsi, il y a une atteinte à la légende que j’ai écrite dans les champs IPTC qui accompagnaient cette photo par le détournement de l’image, en en changeant le contexte rédactionnel. »
  • « Deuxième problème : la photographie, prise sur fond blanc, et avec un léger espace noir, a été détourée sans mon autorisation, ce qui est une altération du document. »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon le devoir no 1 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon l’article 3 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).

Réponse du média mis en cause

Le 20 mai 2022, le CDJM a adressé à M. Étienne Gernelle, directeur de la publication de l’hebdomadaire Le Point, avec copie à M. Sébastien Le Fol, directeur de la rédaction, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 12 juillet 2022 aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Le CDJM souligne en préambule qu’il n’est pas compétent pour apprécier le respect des règles juridiques régissant le droit d’auteur, ou celui des termes du contrat passé entre une agence et/ou un photographe et un média. Ces questions relèvent des tribunaux compétents.

➔ La photo utilisée par Le Point pour la couverture de son numéro 2596 provient d’une agence, Hans Lucas, via l’Agence France Presse (AFP). Le document original, identifié comme 080_HL_YCASTANIER_1722541, porte la mention : « AFP Forum Yann Castanier / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP ». Elle représente M. Jean-Luc Mélenchon, sur un fond blanc barré d’une large ligne verticale noire.

Sur le grief d’altération d’un document

➔ L’image publiée en couverture du Point reproduit cette photo sur fond noir, en supprimant la ligne verticale noire. Ces modifications ont été faites, dit le requérant, « sans [son] autorisation ». Le CDJM constate que les « mentions légales, conditions d’utilisation et politique de confidentialité » publiées sur le site de l’agence Hans Lucas – posent, au chapitre « recadrage et manipulations d’images » qu’« Hans Lucas a été fondé autour du principe que les œuvres ne doivent pas être recadrées, manipulées ou altérées de quelconque manière sans l’autorisation préalable écrite d’Hans Lucas ou de son auteur. Si des modifications sont autorisées, il est nécessaire de soumettre une demande avant que l’œuvre ne soit reproduite ». Si tel est le cas en l’occurrence, il appartient au requérant ou à l’agence Hans Lucas de saisir les juridictions compétentes.

Pour le CDJM, le détourage auquel a procédé Le Point relève donc davantage du respect du droit moral de l’auteur et du respect des clauses contractuelles de cession des photos par l’agence Hans Lucas que de la déontologie de l’information. Il ne change ni le sens initial ni le contenu de l’image. On ne peut parler d’altération d’un document au sens déontologique, qui serait la suppression d’un élément essentiel à la compréhension des faits que le photojournaliste a voulu représenter, trompant le lecteur sur le contenu de la photo.

Le grief d’altération d’un document ne peut être retenu.

Sur le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits

➔ La couverture du no 2596 du Point datée du 12 mai porte comme titre principal en grands caractères blancs au-dessous de la photo du leader de La France insoumise « La vérité sur M. Mélenchon » ; dans le haut à gauche de la couverture sont imprimés en colonne les mots ou expressions « Europhobie », « nationalisme », « charlatanisme économique » et « goût pour les dictateurs… ». Ces six lignes sont écrites en blanc, avant qu’apparaisse, en jaune et dans un corps de caractère légèrement plus grand, l’expression « L’autre Le Pen ».

Le requérant appuie le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité sur son analyse de cette titraille. Il considère que « la photographie de M. Mélenchon a comme sous-titre “L’autre Le Pen” ». Le CDJM constate que l’organisation graphique de la couverture en cause relie davantage cette formule aux six lignes de mots et expressions listés en haut à gauche de la page qu’à la photo elle-même.

Pour le requérant, cette expression « l’autre Le Pen » est à comprendre comme affirmant que M. Mélenchon est membre de la famille Le Pen ou de sa famille politique. Il nie qu’il puisse y avoir une valeur « métaphorique via une analogie » dans cette expression, et développe plusieurs arguments tirés de son expérience de reporter pour affirmer que « tant la pratique, la manière d’être en contact avec les citoyens que les idées exprimées [de M. Mélenchon et de Mme Le Pen] ne se ressemblent pas ».

Le CDJM rappelle que les titres doivent exposer des faits mais peuvent aussi traduire des choix éditoriaux. Notamment, l’appareil de titraille d’une couverture d’un hebdomadaire d’information politique est souvent d’abord un choix éditorial. Il indique l’angle et le ton du sujet principal.

L’enquête du Point qui se développe sur quinze pages est une charge très critique contre M. Mélenchon et ses propositions politiques et économiques. Les mots et expressions employés sur la couverture de l’hebdomadaire sont en accord avec ce choix éditorial. Ils résument des faits soigneusement sélectionnés et éditorialisés, par exemple « charlatanisme économique » ou « goût pour les dictateurs », et l’expression « l’autre Le Pen » souligne l’analyse que fait Le Point, assimilant les méthodes et les propositions de M. Mélenchon à celles de Mme Le Pen. Le requérant, qui cite dans sa saisine des différences qu’il a notées entre les deux personnalités au cours de ses reportages, toujours à l’avantage de M. Mélenchon, fait lui aussi un choix éditorial.

La mise en cause de cette titraille relève, pour le CDJM, de la contestation d’un choix éditorial, et non d’un manquement à l’obligation déontologique de respect de l’exactitude et de la véracité des faits.

Le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits ne peut être retenu.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 12 juillet 2022 en séance plénière, estime que les règles déontologiques d’exactitude et de véracité des faits et de non-altération d’un document, n’ont pas été enfreintes.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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