Avis sur la saisine n° 22-032

Adopté en réunion plénière du 14 juin 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le CDJM a été saisi à deux reprises, le 3 avril 2022 par M. Romain Pinoteau et le 4 avril 2022 par M. Ulysse Lledo, à propos d’une chronique de Mme Olivia Billamy, journaliste qui tient le podcast  « Maintenant Vous Savez Santé » produit par l’agence Bababam. L’épisode concerné a été publié le 1er avril 2022 et est titré « Les laits végétaux sont-ils vraiment meilleurs pour la santé ? ». Les deux requérants estiment que l’obligation déontologique de respect de l’exactitude et de la véracité des faits n’y est pas respectée.

  • M. Pinoteau note que « la journaliste explique que le soja utilisé en France pour la fabrication de laits végétaux participe à la déforestation amazonienne ». Il affirme que « cet élément est faux, le soja amazonien étant interdit à la consommation humaine en Europe et servant principalement à l’alimentation animale ». M. Lledo reprend cet argument et ajoute que « ce serait donc plutôt le “lait animal” qui est responsable de la déforestation ».
  • Pour M. Pinoteau, Mme Villamy dit « que le lait végétal ne doit pas être donné aux nourrissons, sans préciser que le lait animal ne doit pas non plus l’être » car, dit-il, « il convient en effet d’utiliser à cet égard du lait maternisé, animal ou végétal ».
  • M. Lledo juge « tendancieuse » une autre affirmation de Mme Villamy : à la phrase de la journaliste « les boissons vendues dans le commerce sont souvent très sucrées. Boire du lait végétal revient alors à consommer un soda ou un jus industriel », il objecte qu’« en réalité aucun “lait végétal” nature ne contient plus de sucres que le “lait animal” (a priori de vache). Et certainement pas dans des proportions proches “du soda” ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon le devoir no 1 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon l’article 3 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).

Réponse du média mis en cause

Le 7 avril 2022, le CDJM a adressé à M. Pierre Orlac’h, directeur de la publication de Bababam, avec copie à Mme Olivia Villamy, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 14 avril 2022, Mme Olivia Villamy a répondu au CDJM dans un long courrier pour présenter ses arguments en réponse aux griefs formulés. Elle indique avoir « essayé de montrer avec nuances et précision les avantages et les inconvénients qui peuvent découler de la consommation de boissons végétales » et à « relativiser certaines idées reçues sur leurs bienfaits » et répond à chacun des griefs formulés.

Sur celui relatif à la déforestation amazonienne, la journaliste explique au CDJM s’être appuyée sur des articles de la presse spécialisée, selon lesquels le soja « serait une cause majeure de déforestation dans certaines zones du monde », et reconnaît que « la majorité du soja importé en France est destiné au bétail et est censé être sans OGM, donc pas a priori issu des cultures OGM du Brésil. »

Concernant l’utilisation de lait végétal dans l’alimentation des nourrissons, Mme Villamy explique qu’elle s’est référée à un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) du 5 février 2013, lequel recommandait d’éviter de remplacer le lait maternel par des produits qui n’ont été fabriqués dans ce but.

Concernant le sucre contenu dans certains laits végétaux, Mme Villamy cite ses sources – notamment une nutritionniste –, et argumente sur la teneur en saccharose en « des boissons végétaux et des jus industriels et de sodas » pour expliquer qu’elle a voulu faire passer l’idée à ses auditeurs « que toutes les boissons végétales ne se valaient pas du point de vue nutritionnel ».

Analyse du CDJM

➔ La chronique audio concernée est un épisode du podcast « Maintenant Vous Savez Santé ». Destiné au grand public, ce podcast a l’ambition de vulgariser des questions liées à la santé, de « donner les clés essentielles pour comprendre le fonctionnement du corps, ses réactions, ses bobos ». Chaque enregistrement est construit sous forme de questions/réponses.

L’épisode du 1er avril 2022 consacré aux laits végétaux répond ainsi aux questions « Est-ce vraiment du lait ? », « Pourquoi ces boissons végétales plaisent autant ? », « Sont-elles vraiment plus intéressantes d’un point de vue nutritionnel ? » et « On dit aussi que les laits végétaux sont meilleurs pour la planète ? »

➔ Concernant la teneur en sucre de ces boissons, les requérants reprochent à Mme Olivia Villamy d’avoir dit en substance que « les laits végétaux, qui ne sont pas vraiment des laits, contiennent moins de protéines que le lait animal, mais beaucoup plus de sucres, se rapprochant plus du soda » – passage extrait de la saisine de M. Lledo, qui ajoute : « En réalité, aucun “lait végétal” nature contient plus de sucres que le “lait animal” (a priori de vache). Et certainement pas dans des proportions proches “du soda” ». M. Pinoteau estime lui que cette comparaison « vise à induire en erreur le consommateur ».

Les deux phrases prononcées par Mme Villamy à ce propos sont : « Les boissons vendues dans le commerce sont souvent très sucrées. Boire du lait végétal revient alors à consommer un soda ou un jus industriel. »

Dans sa réponse au CDJM, la journaliste justifie cette affirmation par « la présence dans les trois boissons [qu’elle prend en exemple] de saccharose, issue soit de la canne à sucre soit de la betterave sucrière, un sucre différent du lactose contenu dans les laits d’origine animale ». A l’appui de cette explication, elle reproduit trois étiquettes de boisson – celles d’un soda, d’un lait végétal et d’un jus de fruit –, dont les teneurs en glucides sont comparables. Elle cite également comme source l’interview d’une nutritionniste qui « alerte sur la présence de sucres dans certaines versions aromatisées des boissons végétales ».

Le CDJM considère que le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits n’est pas fondé sur ce point.

➔ Concernant le second grief, les requérants estiment être une « information tendancieuse » le rappel par Mme Villamy que « l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation déconseille d’ailleurs fortement sa consommation aux nourrissons ». M. Lledo déplore ainsi qu’il n’ait pas été dit également que « seul le lait maternisé (“végétal” ou “animal”, les deux existent) est conseillé pour les nourrissons ».

Le passage du podcast en cause est : « [Les laits végétaux] sont donc moins intéressants pour notre santé. Par exemple, dans un avis émis en 2013, l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation déconseille d’ailleurs fortement sa consommation aux nourrissons, aux femmes enceintes et aux personnes âgées. »

La journaliste répond au CDJM s’être « basée sur un avis de l’Anses relatif aux risques liés à l’utilisation de boissons autres que le lait maternel et les substituts du lait maternel dans l’alimentation des nourrissons qui note notamment que “les pédiatres ont […] signalé une augmentation des cas de malnutrition (pouvant être sévères) chez des enfants nourris de boissons végétales apparentées à des laits” », un passage figurant sur la deuxième page du document).

L’affirmation de la journaliste n’est donc ni fausse, ni tendancieuse. Le sujet de sa chronique n’était pas l’alimentation des nourrissons, mais les laits végétaux. Mettre en garde contre leur consommation par des bébés n’implique pas de rappeler ce qu’il convient de leur donner.

Le CDJM considère que le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits n’est pas fondé sur ce point.

➔ Le troisième passage relevé par les requérants concerne l’impact sur l’environnement de la culture des végétaux utilisés pour ces laits végétaux. Dans le podcast, Mme Villamy dit : « Ils restent une alternative très polluante. […] Le lait de soja n’est pas non plus exemplaire en matière d’écologie puisque la culture du soja contribue fortement à la déforestation de l’Amazonie. Il faut donc consommer des laits végétaux avec modération, pour la planète comme pour sa santé. »

Pour les requérants, il est faux de lier la déforestation amazonienne à la consommation de lait de soja car « le soja amazonien [est] interdit à la consommation humaine en Europe ».

Mme Olivia Villamy indique au CDJM que la source de son affirmation est une chronique d’un autre média généraliste qui, en 2018, affirmait, sans plus de précision, que la matière première des laits de soja « provient souvent de grands pays exportateurs de soja comme l’Argentine et le Brésil ». Elle indique une seconde référence, un article paru dans un média spécialiste de la grande consommation sur les laits végétaux où on lit sans plus de précisions : « En effet, le soja est dans la ligne de mire de certaines ONG, car il serait une cause majeure de déforestation dans certaines zones du monde. »

La journaliste reconnaît dans sa réponse au CDJM qu’il « est vrai que la majorité du soja importé en France est destiné à l’agriculture du bétail et que le soja à destination de la consommation en Europe est censé être sans OGM, donc a priori pas issu des cultures OGM du Brésil ». Elle ajoute que « ce n’est pas forcément le cas pour les boissons végétales, ou autres produits composés de soja, produites ailleurs dans le monde ».

Le CDJM constate que l’expression utilisée par la journaliste dans le podcast est beaucoup plus catégorique, liant clairement pour l’auditeur le lait de soja à la déforestation. Même si, pour diverses raisons, il n’y a pas de traçabilité exacte de l’origine du lait de soja consommé en France, le manque de précision et de nuances sur le lien entre déforestation et lait de soja dans la chronique en cause risque de fausser le jugement des auditeurs.

Le CDJM considère que le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits est fondé sur ce point.

➔ Le CDM observe enfin que la phrase d’introduction de ce podcast est excessivement accrocheuse au détriment des faits. L’épisode du 1er avril est présenté ainsi : « Les laits végétaux sont-ils vraiment meilleurs pour la santé ? Dans les rayons des supermarchés, ils sont en train de supplanter les briques de lait de vache. Les laits végétaux ont le vent en poupe depuis plusieurs années. En 2020, selon une étude de l’entreprise de Big Data Iri, 78 millions de bouteilles se sont écoulées dans l’hexagone, preuve de l’engouement des Français pour ces boissons. » Or selon Syndilait, l’organisation professionnelle qui regroupe les fabricants de laits de consommation liquides, la consommation de lait animal atteignait en 2020 près de trois milliards de litres, soit près de quarante fois plus.

➔ Le CDJM tient à souligner que Mme Villamy lui a longuement répondu en détaillant les sources sur lesquelles elle s’est appuyée, admet que « certaines formulations sont peut-être maladroites » et prend acte qu’elle le « regrette sincèrement ».

Conclusion

Le CDJM réuni le 14 juin 2022 en séance plénière estime que sur un seul des trois griefs formulés, l’obligation de respect de l’exactitude et de la véracité n’a été respectée.

La saisine est déclarée partiellement fondée

Cette décision a été prise à l’issue d’un vote par huit voix contre cinq.

close Soutenez le CDJM !