Adopté en réunion plénière du 14 juin 2022 (version PDF)
Description de la saisine
Le 7 mars 2022, M. Émile Kowalski a saisi le CDJM à propos d’une séquence de l’émission « Paris Week-end » diffusée par la chaîne locale BFM Paris Île-de-France le 26 février 2022, également disponible en ligne sous le titre « Paris : dans le XVIe arrondissement, des places pour vélos empêchent les policiers de se garer ».
M. Kowalski estime que cette séquence ne respecte pas l’exactitude et la véracité des faits. Selon lui, ce reportage, consacré à l’installation de plusieurs arceaux pour vélos devant le commissariat du XVIe arrondissement de Paris, est « émaillé d’approximations et d’affirmations non vérifiées, inexactes voire erronées ». Le reportage indique que les policiers n’ont « pas de places de remplacement » et sont « obligés de se garer sur la voie de bus ». Selon M. Kowalski, « les arceaux n’ont conduit qu’à la neutralisation d’une seule place de stationnement » et le stationnement des véhicules de la police sur la voie réservée aux bus « ne peut donc s’expliquer à lui seul par l’installation cyclable ».
Il conteste également que ces stationnements pour vélos « bloquent l’accès aux pompiers » comme il est indiqué dans le reportage. « La suppression d’une place de stationnement et son remplacement par des arceaux à vélos n’a pas rétréci le passage pour les pompiers mais l’a au contraire agrandi », affirme-t-il. Enfin, M. Kowalski déplore que « le reportage omet[te] également de mentionner qu’un parking souterrain de plus de 160 places se trouve à proximité immédiate du commissariat, permettant aux fonctionnaires souhaitant se rendre sur leur lieu de travail en voiture de se garer sans difficultés ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon le devoir no 1 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).
- Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon l’article 3 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).
Réponse du média mis en cause
Le 14 mars 2022, le CDJM a adressé à M. Philippe Antoine, directeur des rédactions de BFM Régions un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 14 juin 2022, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ Il convient de noter que le requérant, M. Émile Kowalski, reprend largement, dans ses arguments, les éléments d’une contre-enquête diffusée sur la chaîne YouYube d’Altis Play, un site consacré à la pratique du vélo dans la capitale. Son auteur se présente comme un « cycliste parisien passionné » qui partage des enquêtes vidéo sur la place du vélo à Paris en « recherch[ant] toujours à trouver des solutions pour qu’ensemble, on puisse faire bonne route ensemble ».
Le CDJM a visionné ce document d’une durée de 10 mn 20 s qui étudie les lieux et les installations contestées, et propose en images une comparaison avec la situation antérieure à l’installation des arceaux pour vélos grâce à l’exploitation de données stockées sur le service Google Street View.
➔ M. Kowalski estime que le reportage de BFM Paris a été réalisé « visiblement sur la base de l’alerte d’un policier membre du syndicat Alliance Police ». De fait, le sujet s’ouvre sur les déclarations du responsable départemental adjoint de ce syndicat : « Juste ici, vous aviez un emplacement “Police” pour stationner les véhicules administratifs du commissariat du XVIe arrondissement. On n’a même pas retiré la sérigraphie “Police”. On est juste venu planter quatre emplacements à vélo au milieu de notre place où on stationnait nos véhicules. » Le commentaire off de la journaliste reprend ensuite les accusations du policier de façon synthétique : « Ces policiers n’ont absolument pas été prévenus et n’ont pas de place de remplacement. Ils sont désormais obligés de se garer sur la voie de bus. »
Le reportage enchaîne sur les explications de « la mairie », et donne la parole au directeur de cabinet du maire du XVIe arrondissement de Paris. Celui-ci explique que l’aménagement contesté a été réalisé en application de la réglementation de la voirie : « … un aménagement qui est réalisé dans le cadre des sécurisations des traversées piétonnes pour s’assurer que ces espaces soient bien dégagés et pas occupés par des véhicules en stationnement, on y place des arceaux vélo. On traite tous les passages piétons de cette façon ».
Viennent ensuite deux interviews de riverains sous la forme d’un « micro-trottoir », l’un favorable à l’installation des arceaux pour vélos, l’autre y étant opposé. Le reportage aborde enfin un autre angle : cet aménagement « bloque l’accès des pompiers », affirme la journaliste, qui cite à nouveau le syndicat de policiers pour affirmer que « ces travaux ont été effectués malgré un avis défavorable des pompiers de Paris » et conclut en ajoutant que « la mairie dit de son côté n’avoir reçu aucun refus ».
Ce reportage est un acte journalistique courant en matière d’information de proximité. Il rapporte une polémique lancée par le syndicat de police Alliance, sans en masquer l’origine. Il reprend les affirmations de ce syndicat sans les corroborer ni les contester, donnant la parole de façon à peu près équilibrée au représentant des policiers et à la municipalité, de même qu’il prend soin de citer deux riverains dont les opinions sont contraires. Les faits sont rapportés de façon convenablement équitable.
➔ Le CDJM constate que la contre-enquête réalisée par Altis Play montre en revanche la grande faiblesse des arguments présentés par le syndicat Alliance Police : celui-ci exagère le tort qui serait causé aux policiers par les quatre arceaux pour vélos. Le site spécialisé rappelle, textes et plans à l’appui, que le stationnement en cause n’était de toute façon pas destiné aux voitures particulières des fonctionnaires, et démontre que l’accès des pompiers n’est pas touché par cet aménagement.
➔ On peut donc reprocher à la journaliste de BFM Paris de n’avoir pas mené elle-même la contre-enquête à laquelle s’est livré Altis Play, ce qui l’aurait conduite à se montrer beaucoup plus critique envers ses informateurs. Par exemple, à s’interroger sur le fait qu’une seule place de stationnement avait été neutralisée, alors que, comme le montrent les images de BFM Paris Île-de-France, trois voitures sérigraphiées sont garées dans le couloir de bus. Ou à signaler l’existence, à proximité, d’un parking pour les véhicules privés des policiers.
Le format relativement court de ce genre de reportage de proximité (1 mn 25 s) ne permet qu’une approche superficielle des faits, au risque d’omissions factuelles et donc d’imprécisions. Le CDJM note que BFM Paris Île-de-France a pris soin de rapporter des témoignages contradictoires, des acteurs de la polémique et des usagers, laissant le téléspectateur se forger sa propre conviction.
Le grief de relevant de « l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge » n’est pas fondé.
➔ Toutefois, les dernières secondes du reportage (à partir de 1 mn 12 s), consacrées à la question de l’accès des véhicules pompiers, ne respectent plus le fragile équilibre observé précédemment : la journaliste affirme sans autre explication que la citation du syndicat de policiers que « ces emplacements vélos bloquent l’accès aux pompiers ». Aucune prise de vues en plan plus large, qui aurait facilement permis de montrer que l’accès n’est pas bloqué, n’illustre cette affirmation. La contre-enquête d’Altis Play met en évidence qu’elle ne repose sur rien.
Sur ce point, faute de vérification de l’affirmation d’une des sources, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité est fondé.
Conclusion
Le CDJM réuni le 14 juin en séance plénière estime que, sur un point du reportage, l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cette décision a été prise par consensus.