Adopté en réunion plénière du 12 avril 2022 (version PDF)
Description de la saisine
Le 23 janvier 2022, M. Gilles Nougaret a saisi le CDJM à propos de l’émission Bourdin Direct diffusée le 24 décembre 2021 sur RMC et BFM TV, également disponible en ligne sous le titre « Gilles Pialoux face à Jean-Jacques Bourdin ». M. Nougaret reproche au journaliste, M. Jean-Jacques Bourdin, de ne pas respecter la règle d’exactitude des faits et d’avoir omis une information essentielle.
Selon lui, l’interview en cause pèche par « absence de demande de déclaration des liens d’intérêts ». Il estime en effet que « les liens d’intérêts de M. Pialoux avec l’industrie de la santé sont loin d’être négligeables, qu’il s’agisse d’avantages, de conventions ou de rémunérations ». Il s’appuie à cet égard sur le site « Transparence Santé » dans sa version du 31 octobre 2021, qui, écrit-il, « mentionnait 98 conventions conclues par l’intéressé avec l’industrie de la santé », dont il reprend plusieurs exemples.
Pour M. Nougaret, « il n’est pas douteux que la déclaration par les professionnels de santé de leurs liens d’intérêts, surtout en période d’épidémie exceptionnelle, constitue une information essentielle ». Il cite notamment, en appui de cette affirmation, un rapport publié en mai 2013 par la Haute Autorité de santé : « Bonnes pratiques et critères de qualité des revues et journaux de la presse médicale française ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon l’article 3 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).
- Il veille à « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents », selon le devoir no 3 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich 1971).
Réponse du média mis en cause
Le 3 février 2022, le CDJM a adressé à M. Emmanuel Renard, directeur de la rédaction de RMC, et à M. Jean-Jacques Bourdin, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM. À la date du 12 avril 2022, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
En préambule, le CDJM souligne que si les textes déontologiques en vigueur invitent les journalistes à « éviter – ou mettre fin à – toute situation pouvant le[s] conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de [leur] métier », il s’agit des conflits d’intérêts concernant personnellement les journalistes. En l’occurrence, c’est un conflit d’intérêts qui concernerait un invité qui motive la saisine du requérant. Pour celui-ci, les liens d’intérêts du professeur Pialoux, invité de RMC et de BFM TV le 24 décembre 2022, devaient être portés à la connaissance du public.
La question est donc de déterminer si le journaliste, M. Jean-Jacques Bourdin a supprimé une information essentielle à la compréhension des faits, comme l’estime le requérant, qui a pris soin de citer dans sa saisine le devoir no 3 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes et l’article 3 de la de la Charte d’éthique mondiale des journalistes.
Au début de l’émission, le professeur Pialoux est présenté par M. Bourdin comme « chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon à Paris, vice-président de la Société française de lutte contre le sida ». Une incrustation en bas à gauche de l’écran indique qu’il est « chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon ». Cette interview est justifiée ce 24 décembre 2021 par « l’épidémie en pleine accélération » de la Covid-19, pour reprendre l’expression utilisée par M. Bourdin, constatée avec l’apparition du variant Omicron du SARS-CoV-2. Il y est question de mesures « coercitives » prises et à prendre, de la politique de dépistage à l’école, « du risque sociétal et économique du mois de janvier », « du choix de société » que cela implique.
Il ne fait aucun doute à l’écoute de l’émission que le professeur Gilles Pialoux est favorable à la vaccination, et à celle des enfants, plus particulièrement en débat en cette fin d’année 2021. Il dit par exemple que « le rapport bénéfice-risque est totalement en faveur du vaccin », que « la ligne Maginot, c’est la troisième dose de rappel », il raconte que « sur treize lits Covid dans [s]on service, [il a] onze non-vaccinés dont deux seulement parce qu’ils sont contre le vaccin ».
Manque-t-il pour autant une information ? Au cas d’espèce, la déclaration d’intérêts du professeur Gilles Pialoux constitue-t-elle une information essentielle ? Aurait-elle permis de comprendre différemment ses propos ?
Comme le rappelle M. Nougaret, un rapport de la Haute autorité de santé de mai 2013 consacré aux « Bonnes pratiques et critères de qualité des revues et journaux de la presse médicale française » a invité la presse médicale à veiller à ce que « l’auteur écrive une déclaration d’intérêt ciblée sur le sujet abordé, en fin d’article, afin que le lecteur puisse en prendre connaissance en même temps que du contenu de l’article ». Cette recommandation concerne également les personnes interviewées par ces médias spécialisés. Dans le même esprit, l’article L4113-13 du Code de santé publique dispose que « les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et des établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de faire connaître ces liens au public lorsqu’ils s’expriment sur lesdits produits lors d’une manifestation publique, d’un enseignement universitaire ou d’une action de formation continue ou d’éducation thérapeutique, dans la presse écrite ou audiovisuelle ou par toute publication écrite ou en ligne ; le manquement aux règles mentionnées à l’alinéa ci-dessus est puni de sanctions prononcées par l’ordre professionnel compétent ».
Le CDJM souligne que ces règles participent d’une bonne information, d’une part des professionnels de santé par la presse médicale, d’autre part du public par les professionnels de santé, en particulier lorsqu’ils s’expriment sur des produits marchands. Le journaliste ne peut les méconnaître, et le CDJM approuve ceux qui ont fait le choix de demander à leurs interlocuteurs quels étaient leurs liens d’intérêts. Mais si les textes relatifs à la déontologie du journalisme conduisent le journaliste à s’assurer de l’exactitude de la qualité de son interlocuteur, aucun n’oblige formellement à demander à chaque interlocuteur ses prises d’intérêt éventuelles.
Le CDJM encourage les journalistes à inviter leurs interlocuteurs à signaler leurs prises d’intérêts, sans considérer pour autant qu’il s’agit toujours d’une information essentielle au regard du sujet traité. À tout le moins est-ce affaire de circonstances. L’interview du professeur Pialoux sur RMC et BFM TV se concentre sur des thèmes et des principes généraux, et le CDJM note qu’aucune marque de vaccin, de test, de gel hydroalcoolique, qu’aucun nom de laboratoire privé ne sont cités au cours de l’interview. Il considère que l’absence de déclaration d’intérêts du professeur Gilles Pialoux ne constitue pas, en l’espèce, une entorse aux règles déontologiques auxquelles se réfère la profession de journalisme. Il y a nécessité d’un choix, éditorial ou rédactionnel, car un journaliste n’a ni la place, ni le temps de tout dire. Il doit donc sélectionner. En l’espèce, ce « manque » de précision tenant à l’absence de déclaration préalable d’intérêt de l’interviewé ne nuit pas à l’exactitude et à la véracité de l’information.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 12 avril 2022 en séance plénière, estime que les règles déontologiques de respect de l’exactitude et de la véracité des faits ainsi que de non-suppression d’une information essentielle n’ont pas été enfreintes par RMC et BFM TV.
La saisine est déclarée non-fondée.
Cette décision a été prise par consensus.