Avis sur les saisines n° 21-176 et similaire

Adopté en réunion plénière du 11 janvier 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 7 novembre 2021, le CDJM a été saisi à deux reprises, par M. Émile Kowalski et par M. Jean Drané, à propos d’un tweet publié le 30 octobre 2021 sur le compte Twitter du magazine mensuel Causeur. Les requérants formulent à l’encontre de ce message le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité. M. Kowalski estime que Causeur a « créé une fausse citation de la militante écologiste Sandrine Rousseau » dans ce message, « sans que rien n’indique qu’elle a été inventée par eux ». M. Drané résume sa critique ainsi : « Fabrication d’une citation, faussement attribuée à une femme politique, dans un but soi-disant humoristique, mais qui induit les électeurs en erreur. »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; il tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971,  devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1)

Réponse du média mis en cause

Le 23 décembre 2021, le CDJM a adressé à Mme Élisabeth Lévy, directrice de la rédaction de Causeur, avec copie à M. Stéphane Germain, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 11 janvier 2022, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

Reproduit ci-contre, le message diffusé par Causeur sur son compte Twitter se compose d’un texte et d’un aperçu du contenu placé en lien. Ce dernier est lui-même composé d’une photo, d’un surtitre (le nom de domaine internet), du titre de l’article et d’un extrait de son texte introductif (son « chapô »).

Le texte est le suivant :

« La suppression de tous les noms de rue des hommes blancs offrira une intersectionnalité spatiale concrète à la topographie de nos villes… »

Dans l’aperçu de l’article, la photo est celle de Mme Sandrine Rousseau, militante d’Europe Écologie-Les Verts (EE-LV) et ex-candidate à la primaire organisée par ce parti. Le titre, « Pour une société vraiment inclusiv.e », est lisible, ainsi que les 156 premiers signes du chapô : « Le néoprogressisme woke se porte bien mais pourrait aller encore mieux. A l’approche de l’élection présidentielle, voici quelques suggestions pour les… »

En cliquant sur l’aperçu, l’internaute est renvoyé vers la page concernée du site de Causeur. On y lit, comme dans la version papier du numéro 94 du mensuel, publié le 5 octobre 2021, un article qui est clairement parodique. Cela est signalé au lecteur par plusieurs notations. Sous le titre « Pour une société vraiment inclusiv.e », un sous-titre précise :

« En dérapage contrôlé, l’auteur nous propose, sans fausse pudeur, un programme clé en main qu’un.e authentique candidat.e progressiste pourrait faire sien… »

Placé sous la photo, le chapô intégral est le suivant :

« Le néoprogressisme woke se porte bien mais pourrait aller encore mieux. A l’approche de l’élection présidentielle, voici quelques suggestions pour les candidats qui manqueraient de bonnes idées. C’est cadeau. »

Les expressions « dérapage contrôlé », « programme clé en main », « pourrait faire sien », et « c’est cadeau » indiquent bien que l’article est une parodie.

La publication d’un tweet annonçant un acte journalistique, article, photo ou vidéo, est en soi un autre acte journalistique, qui en diffère par exemple par le choix des éléments mis en avant. Il exige la même rigueur déontologique que la publication de l’article relayé par ce message.

En l’occurrence, le texte choisi pour le tweet n’est pas celui de l’article, mais un de ses intertitres. Le lecteur du mensuel et de Causeur.fr pouvait saisir, dans le contexte de l’article, le caractère de charge humoristique de cette phrase sur « la suppression des noms de rue des hommes blancs » qui « offrira[it] une intersectionnalité spatiale concrète à la topographie de nos villes ». Mais rien n’indique à l’utilisateur de Twitter qui découvre cette phrase comme titre d’un tweet de Causeur qu’elle est une parodie. Elle est présentée entre guillemets, ce qui en fait une citation, au-dessus de la photo de Mme Rousseau.

Le CDJM considère que ce dispositif, associant une pseudo citation à la militante d’EE-LV, revient à la lui attribuer. Rien ne permet au lecteur de ce tweet de comprendre que la personne qui est représentée n’a pas dit la phrase qui est entre guillemets. D’une parodie dans l’article originel, on est passé dans ce tweet à une inexactitude.

Le CDJM note que, malgré l’émotion provoquée par ce tweet pris au premier degré par de nombreux lecteurs, celui-ci n’a pas été rectifié.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 11 janvier 2022 en séance plénière, estime que le tweet publié par Causeur ne respecte pas l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité.

Les saisines sont déclarées fondées.

Cette décision a été prise par consensus.

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