Avis sur la saisine n° 21-155

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Adopté en réunion plénière du 14 décembre 2021

Description de la saisine

Le 23 septembre 2021, le CDJM a été saisi par M. Jean Lucet au sujet d’un article publié le 6 septembre 2021 par Détours, site d’information consacré à la mobilité édité par le groupe Canal +, sous le titre « Ils courent à 30 km/h dans Paris et se font flasher par des radars ».

M. Lucet formule trois griefs relatifs au respect de l’exactitude et la véracité des faits, à la distinction entre publicité et information, ainsi qu’à la non-rectification d’une erreur. Il affirme que cet article repose sur « une opération de communication au profit d’un magasin de chaussures de sport », et que l’événement relaté est une « mise en scène ».

Il cite pour étayer son accusation des experts affirmant qu’il est impossible « que des piétons puissent être flashés » par un radar automatique de contrôle de vitesse, et que les photos que prennent ces derniers « ne sont jamais transmises aux personnes flashées et ne sont jamais dans une si bonne résolution, ne visant qu’à identifier la plaque d’immatriculation du conducteur fautif ». M. Lucet note que si d’autres médias ont rectifié cette information, Détours ne l’a pas fait.

Recevabilité

Le site Détours se présente comme animé par « une rédac [sic] curieuse et avide de vous faire découvrir la mobilité sous un autre jour », ayant pour objet « d’informer » ses lecteurs, ou encore comme « une plateforme de contenus vidéo en ligne […] développée par Seat, l’agence de marketing Médicom et Canal + », chaîne de télévision produisant des contenus journalistiques. Il cite nommément dans sa page « Qui sommes-nous ? » un directeur de la publication, une rédaction en chef et une équipe de journalistes. L’article est ainsi un acte journalistique entrant dans le champ de compétence défini par les statuts du CDJM et l’article 1 de son règlement intérieur.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste. D’abord, concernant l’exactitude et la véracité des faits :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).

Ensuite, concernant la distinction entre publicité et information :

  • Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
  • Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, alinéa de l’article 13).

Enfin, concernant la rectification des erreurs :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Réponse du média mis en cause

Le 21 octobre 2021, le CDJM a adressé à M. Thomas Ducret, rédacteur en chef de Détours, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 14 décembre 2021, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

L’article qui fait l’objet de la saisine comprend une photo, une vidéo et un texte. La photo montre une athlète qui semble passer, de nuit, devant un radar. La vidéo, introduite par la mention « Outlaw runners » (« coureurs à pied hors-la-loi »), commence par un montage d’une durée d’1 mn 15 s composé d’extraits de journaux télévisés consacrés à la limitation de vitesse à 30 km/h à Paris. Puis vient, après la mention « Distance présente : Outlaw Runners », une alternance d’images de sportifs dans un magasin puis courant dans les rues, de radars et de flashs lumineux. Le texte, lui, évoque une manifestation d’automobilistes opposés à la limitation de la vitesse dans Paris à 30 km/h, puis interroge : « Mais au fait, cyclistes et joggeurs risquent-ils de se faire flasher ? », avant d’ajouter : « Pour en avoir le cœur net, un groupe de cinq coureurs s’est lancé dans un curieux marathon passant devant les cinq radars fixes de la municipalité en forçant le pouls. Verdict : ça a flashé. »

Le CDJM constate que la photo est clairement un montage qui illustre l’idée principale de l’article, en juxtaposant l’image en couleur d’un radar et celle en noir et blanc d’une athlète ; qu’à aucun moment on ne voit en même temps, dans cette vidéo, les coureurs et le radar qui est censé les flasher ; que l’article est catégorique (« ça a flashé ») ; que, s’il précise que « ce coup d’éclat, organisé par l’agence de pub BETC et la boutique de running Distance, a donné lieu à la vidéo ci-dessus », aucune distance n’est prise avec les faits rapportés par les producteurs de la vidéo.

Même si on considère que le véritable sujet de l’article est l’opération de marketing du magasin, il aurait fallu au minimum vérifier auprès de sources indépendantes l’affirmation « les coureurs sont flashés par le radar ». La reprise d’une vidéo promotionnelle en toute connaissance de cause ne dispense pas de vérifier l’exactitude et la véracité de ce qu’elle montre.

D’autres médias ont vérifié l’hypothèse d’un déclenchement du radar automatique de contrôle de vitesse par un coureur, fût-il un champion dépassant les 30 km/h. La Délégation à la sécurité routière a précisé que les radars flashent uniquement les objets comprenant des pièces métalliques, et que les photos prises cadrent les plaques d’immatriculation et ne sont pas transmises aux contrevenants.

Le CDJM note que parmi les médias qui avaient repris cette vidéo, plusieurs, comme Le Figaro, Le Progrès, le site Gentside ou la chaîne Cnews ont rectifié ensuite leur article à la lumière des précisions apportées par la Délégation à la sécurité routière. A la date du 14 décembre 2021, ce n’était pas le cas de Détours.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 décembre en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de respect de l’exactitude et la véracité des faits, de distinction entre publicité et information, et de rectification d’une erreur n’ont pas été respectées.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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