Avis sur la saisine n° 21-154

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Adopté en réunion plénière du 14 décembre 2021

Description de la saisine

Le 23 septembre 2021, le CDJM a été saisi par M. Jean Lucet au sujet d’un article publié le 7 septembre 2021 à 20 h 40 et mis à jour le 8 septembre 2021 à 0 h 27 sur le site Actu17, sous le titre « Paris : Des coureurs passent devant un radar pour se faire volontairement flasher ».

M. Lucet formule trois griefs relatifs au respect de l’exactitude et la véracité des faits, à la distinction entre publicité et information, et à la non-rectification d’une erreur. Il affirme que cet article repose sur « une opération de communication au profit d’un magasin de chaussures de sport », et que l’événement relaté est une « mise en scène ». Il cite, pour étayer son accusation, des experts affirmant qu’il est impossible « que des piétons, même courant vite, puissent être flashés » et que les photos prises par les radars automatiques de contrôle de vitesse « ne sont jamais transmises aux personnes flashées et ne sont jamais dans une si bonne résolution, ne visant qu’à identifier la plaque d’immatriculation du conducteur fautif ». M. Lucet conclut qu’il y a selon lui « confusion totale entre communication et journalisme » et note que si d’autres médias ont rectifié cette information, le site Actu17 ne l’a pas fait.

Recevabilité

Le site Actu17 est reconnu comme service de presse en ligne par la Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) qui l’a enregistré sous le numéro 0125W93850. L’article incriminé est un acte journalistique entrant dans le champ de compétence défini par les statuts du CDJM et l’article 1 de son règlement intérieur.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste. D’abord, concernant l’exactitude et la véracité des faits :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).

Ensuite, concernant la distinction entre publicité et information :

  • Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
  • Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, alinéa de l’article 13).

Enfin, concernant la rectification des erreurs :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).

Réponse du média mis en cause

Le 21 octobre 2021, le CDJM a adressé à M. Yves Cazaux, directeur de la publication d’Actu17, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. A la date du 14 décembre 2021, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

L’article du site Actu17 qui fait l’objet de la saisine comprend deux photos, une vidéo et un texte. Les photos montrent deux athlètes qui courent la nuit dans les rues de Paris. L’article est introduit ainsi : « Depuis quelques jours, la limitation de vitesse a été abaissée à 30 km/h dans de nombreuses voies de la capitale. Des coureurs se sont amusés à passer à pleine vitesse devant un radar automatique parisien pour les déclencher. » Il poursuit en indiquant que « les coureurs concernés ont récupéré les photos des radars » et que « les clichés sont utilisés par le magasin de running Distance pour sa promotion, notamment sur les réseaux sociaux. Un projet qui a été réalisé par l’agence de publicité française BETC ». La vidéo, introduite par la mention « Outlaw runners » (« coureurs à pied hors-la-loi »), commence par un montage d’une durée d’1 mn 15 s composé d’extraits de journaux télévisés consacrés à la limitation de vitesse à 30 km/h à Paris. Puis vient, après la mention « Distance présente : Outlaw Runners », une alternance d’images de sportifs dans un magasin puis courant dans les rues, de radars et de flashs lumineux.

Le CDJM constate qu’à aucun moment on ne voit en même temps, dans cette vidéo, les coureurs et le radar automatique de contrôle de vitesse qui est censé les flasher ; que s’il n’est pas affirmé dans le corps de l’article que les coureurs ont déclenché les radars par leur vitesse, son titre (« Paris : Des coureurs passent devant un radar pour se faire volontairement flasher ») et la phrase « Des coureurs se sont amusés à passer à pleine vitesse devant un radar automatique parisien pour le déclencher » entretiennent volontairement une ambigüité et crédibilisent le message porté par la vidéo.

Même si l’article d’Actu17 précise que « les clichés sont utilisés par le magasin de running Distance pour sa promotion » et que ce « projet […] a été réalisé par l’agence de publicité française BETC », le CDJM considère que la reprise d’une vidéo promotionnelle en toute connaissance de cause ne dispense pas de vérifier l’exactitude et la véracité de ce qu’elle montre.

D’autres médias ont vérifié l’hypothèse d’un déclenchement du radar automatique de contrôle de vitesse par un coureur, fût-il un champion dépassant les 30 km/h. La Délégation à la sécurité routière a précisé que les radars flashent uniquement les objets comprenant des pièces métalliques, et que les photos prises cadrent les plaques d’immatriculation et ne sont pas transmises aux contrevenants.

Le CDJM note que parmi les médias qui avaient repris cette vidéo, plusieurs, comme Le Figaro, Le Progrès, le site Gentside ou la chaîne Cnews ont rectifié ensuite leur article à la lumière des précisions apportées par la Délégation à la sécurité routière. A la date du 14 décembre 2021, ce n’était pas le cas du site Actu17.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 décembre en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de respect de l’exactitude et la véracité des faits, de distinction entre publicité et information, et de rectification d’une erreur n’ont pas été respectées par Actu17.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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