Avis sur la saisine n° 21-150

Adopté en réunion plénière du 8 février 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 10 septembre 2021, M. X a saisi le CDJM à propos de deux articles, l’un publié le 11 avril 2021 sur le site JeuxActu.com, l’autre publié le 9 septembre 2021 par le site Gameblog et titré « Affaire Quantic Dream : Le Monde condamné en diffamation, Mediapart relaxé ». Conformément à l’article 3 du règlement intérieur du CDJM, qui précise que « le requérant dispose d’un délai de trois mois pour saisir le CDJM, à compter de la date de parution, diffusion ou mise en ligne de l’acte journalistique incriminé », le premier article publié le 11 avril 2021 sur le site JeuxActu.com a été écarté. Le CDJM a informé ce média du classement sans suite de la saisine le concernant.

Seule la saisine portant sur l’article publié le 9 septembre 2021 par le site Gameblog et titré «Affaire Quantic Dream : Le Monde condamné en diffamation, Mediapart relaxé» a été retenue pour étude et avis.

L’article de Gameblog relate une décision de la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris à propos d’une plainte en diffamation de la société Quantic Dream contre deux journaux, Le Monde et Mediapart. Ces deux journaux avaient consacré en 2018 des articles à un contentieux opposant cette entreprise à certains de ses salariés.

M. X considère que l’article de Gameblog ne respecte pas l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité des faits, et constitue un conflit d’intérêts. Selon lui, son titre « induit le lecteur en erreur » car, écrit-il, « le groupe Mediapart a été intégralement relaxé des accusations de diffamation de la part de Quantic Dream ».

Il estime que cet article relaie de « fausses informations » puisque, « le journaliste ne respecte pas les écrits fournis par les juges dans les jugements rendus pourtant publiquement en 2019 et 2020 ». Il précise que ces décisions relatives à un « manquement à l’obligation de santé/sécurité reconnu à l’encontre de Quantic Dream en cour d’appel en septembre 2020 […] sont accessibles gratuitement en ligne (doctrine, lamyline). Imaginé ou fortement altéré, ce récit semble servir l’image de l’entreprise Quantic Dream ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).

Réponse du média mis en cause

Le 4 octobre 2021, le CDJM a adressé à M. Nourdine Nini, rédacteur en chef de Gameblog, avec copie à M. Thomas Pillon, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

M. Nourdine Nini a répondu au CDJM le 7 octobre 2021. Il estime que « les faits qui nous sont reprochés par M. X » sont « déconnectés du fond de l’article ».

S’agissant du titre choisi, M. Nini écrit qu’il n’y a « pas la moindre volonté d’induire nos lecteurs en erreur de quelque manière que ce soit » puisque la formule retenue est « explicite » et que « le fait de citer le nom du studio [Quantic Dream] ne laisse pas supposer une condamnation globale, mais fait référence à “l’affaire” qui le concerne, et nous avons ainsi pris le soin d’ajouter le terme au titre, afin d’éteindre définitivement le doute à ce sujet ».

S’agissant des griefs relatifs aux « fausses informations » portant sur « le manquement de Quantic Dream aux obligations de santé et de sécurité […] reconnu par la cour d’appel en septembre 2020 et en novembre 2019 en audience de départage », M. Nini indique qu’ils « concernent des faits antérieurs, que nous avions déjà traités en temps voulu, et dont il n’est plus question dans l’article incriminé ».

S’agissant de l’affaire judiciaire en diffamation, le rédacteur en chef de Gameblog considère que « en ce qui concerne la relaxe de Mediapart, l’ambiguïté ne saurait exister à la lecture de l’article, qui détaille bel et bien les condamnations pour chacune des parties ».

Analyse du CDJM

Le CDJM prend acte en préambule que l’article de Gameblog en cause s’inscrit dans un dossier déjà traité par ce site, celui du conflit opposant plusieurs salariés du studio Quantic Dream à la direction de cette entreprise. Il souligne cependant qu’il n’est saisi par le requérant que sur l’article du 19 septembre 2021. Il ne se prononce donc que sur le respect de la déontologie du journalisme dans cet acte journalistique.

À propos du titre de l’article

Concernant le titre de l’article, M. X affirme qu’il induirait le lecteur en erreur dès lors, écrit-il, que « le groupe Mediapart a été intégralement relaxé face aux accusations de diffamation de la part de Quantic Dream ». Le titre en question est : « Affaire Quantic Dream : Le Monde condamné en diffamation, Mediapart relaxé ». Le CDJM constate qu’il ne fait aucun doute à la lecture de ce titre que seul Le Monde a été condamné en diffamation alors que Mediapart a été relaxé.

De plus, le CDJM relève deux indications dans le corps du texte, dont l’une est même en caractère gras, qui viennent réaffirmer la relaxe de Mediapart, de sorte que le lecteur ne peut être induit en erreur :

  • « […] si Quantic Dream a été débouté de ses accusations en diffamation contre les deux journaux, Le Monde (et seulement lui) a été condamné pour le même grief envers les personnes de David Cage et Guillaume de Fondaumière. » (Ce passage est en gras dans l’article.)
  • « Le Monde ayant relayé des propos pour le moins désobligeants à l’encontre des deux dirigeants, Médiapart ayant choisi de son côté un ton différent. Le journaliste William Audureau, auteur de l’enquête, est d’ailleurs venu préciser la décision, avant de supprimer ses tweets. »

À propos du reste de l’article

Le requérant estime que l’article de Gameblog relaie de « fausses informations ». Le CDJM note que M. X se contente de procéder par affirmation sans indiquer en quoi les faits ne respecteraient pas les jugements et arrêts qu’il évoque et contiendraient de fausses informations, ni quelles seraient ces fausses informations.

Quoi qu’il en soit, le CDJM considère que les griefs relatifs aux autres procédures opposant Quantic Dream et ses anciens salariés sont hors de propos. En effet, seul est concerné par l’article en cause un jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris en matière de diffamation à l’encontre des journaux Le Monde et Mediapart.

Si le journaliste prend soin de rappeler le contentieux passé entre Quantic Dream et plusieurs de ses salariés, il précise, en gras dans le texte, qu’il s’agit d’« un second procès, en diffamation cette fois, [qui] devait se tenir cette même année » dont l’issue vient d’être connue.

S’agissant de la décision de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris sur les accusations de diffamation par Le Monde et Mediapart, aucune « fausse information » n’apparaît. Le CDJM prend acte que le journaliste a en outre à ce propos pris la précaution de faire cette précision : « Les attendus de la cour permettront une fois publiés de connaître le pourquoi du comment, mais une lecture des articles de 2018 permet sans doute de comprendre la décision, Le Monde ayant relayé des propos pour le moins désobligeants à l’encontre des deux dirigeants, Mediapart ayant choisi de son côté un ton différent. Le journaliste William Audureau, auteur de l’enquête, est d’ailleurs venu préciser la décision, avant de supprimer ses tweets. »

À propos du grief de conflit d’intérêts

Concernant le grief de conflit d’intérêts, appuyé par le requérant par l’expression « ce récit semble servir l’image de l’entreprise Quantic Dream », le CDJM constate que M. X n’apporte aucune précision sur les écrits qui constituent selon lui un conflit d’intérêts. Il n’y a pas non plus de confusion entre publicité et information, à laquelle pourrait renvoyer la formulation « servir l’image de » : citer une entreprise qui a introduit une action en justice et les résultats de cette action relève de l’information du public.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 8 février 2022 en séance plénière, estime que Gameblog n’a pas enfreint les règles déontologiques d’exactitude et de véracité, ni celle d’obligation d’éviter les conflits d’intérêts.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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