Avis sur la saisine n° 21-149

Adopté en réunion plénière du 8 mars 2022 (version PDF)

Description de la saisine

Le 10 août 2021, M. Pierre-Charles Boudot a saisi le CDJM à propos d’un reportage de l’émission Stade 2, diffusé le 16 mai 2021 sur France 3 sous le titre « Pierre-Charles Boudot, un jockey sur la sellette ».

M. Pierre-Charles Boudot est un jockey professionnel de renom, lauréat de trois Cravaches d’or. Le reportage est consacré à deux accusations de viol qui ont fait l’objet de plaintes contre lui.

Dans sa saisine, M. Boudot estime que le reportage « est de parti pris », ne repose ni « sur une enquête sérieuse » ni « sur une base factuelle suffisante » et qu’il le « présente comme un violeur récidiviste sans apporter la moindre preuve : le reportage ne fait que reprendre sans aucune réserve ou nuance les accusations fantaisistes de deux jeunes femmes avec lesquelles [il a] entretenu des relations sentimentales ».

Il affirme également que le journaliste auteur du reportage, M. Thierry Vildary, confond son travail avec celui du policier. Selon lui, le journaliste a « un rôle actif dans l’enquête préliminaire » car il « a été entendu comme témoin dans le dossier concernant la prénommée “Sophie” ». M. Boudot affirme également que « quelques semaines avant la diffusion du reportage litigieux, Thierry Vildary a transmis au procureur de la République de Senlis des photographies ainsi que des vidéos de la soirée du 17 février 2021, jour du prétendu viol de “Sophie”, un enregistrement d’une conversation entre “Sophie”, Jérémie Para [employeur de “Sophie” et proche de M. Boudot] et une tierce personne a également été communiqué ».

M. Pierre-Charles Boudot estime en outre qu’il y a altération d’un document présenté dans le reportage. Il écrit que « Thierry Vildary a fait le choix de diffuser de manière parcellaire l’enregistrement audio d’une conversation entre la prétendue victime “Sophie”, M. Jérémy Para et moi-même, au cours de laquelle, selon les dires du journaliste, j’aurais proposé à “Sophie” de “passer l’éponge” sur cette affaire ». Selon le requérant, « cet enregistrement audio a été délibérément tronqué et seules des parties de la discussion ont été diffusées, et ce sans replacer le contexte dans lesquelles elles se rapportent », ce qui « en a altéré le sens ».

M. Pierre-Charles Boudot informait par ailleurs le CDJM dans son courrier de saisine que la teneur générale du reportage l’avait conduit à engager « des poursuites pénales à l’encontre de Thierry Vildary et du directeur de publication de France Télévisions du chef de diffamation publique envers un particulier ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents » selon l’article 3 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019)
  • Il veille à « ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il « ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge », selon la Charte d’éthique des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011)
  • « Le/la journaliste s’interdira de se comporter en auxiliaire de police ou d’autres services de sécurité. Il/elle ne sera tenu de remettre à ces services que des éléments d’information rendus publics dans un média », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 11).

Recevabilité

La saisine est recevable selon les critères définis aux articles 1 et 2 du règlement intérieur du CDJM. Toutefois, M. Pierre-Charles Boudot ayant porté plainte devant tribunal pénal à l’encontre de M. Thierry Vildary et du directeur de la publication de France Télévisions du chef de diffamation publique envers un particulier et saisi la juridiction civile pour violation de la présomption d’innocence, le CDJM ne se prononcera pas sur ces griefs pour ne pas interférer avec les procédures en cours.

Réponse du média mis en cause

Le 4 octobre 2021, le CDJM a adressé à M. Laurent Guimier, directeur de l’information de France Télévisions, avec copie à M. Thierry Vildary, journaliste auteur du reportage incriminé, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 19 octobre 2021, M. Pascal Golomer, directeur délégué au sport à France Télévisions chargé de l’information, a répondu au CDJM. Selon lui, M. Thierry Vildary a « pris soin de ne pas prendre pour acquise la culpabilité de M. Pierre-Charles Boudot, en ne s’appropriant pas les propos des plaignantes, en intégrant des nuances et en rappelant à plusieurs reprises le principe de présomption d’innocence ». M. Golomer joint à son courrier « la réponse circonstanciée de M. Thierry Vildary ».

Dans ce texte, M. Vildary explique que le reportage diffusé le 16 mai 2021 « est le fruit d’une enquête de plusieurs mois ». Il précise être « entré en contact avec “Marie” puis avec “Sophie” [pseudos attribués aux deux plaignantes dans le reportage] postérieurement à leurs dépôts de plaintes respectifs pour viol contre M. Boudot » et avoir au cours de son enquête « reçu des informations de sources dont [il] ne peu[t] divulguer ni l’identité ni la teneur des éléments transmis ».

M. Vildary ajoute qu’il « a été convoqué le 28 avril 2021 par les enquêteurs de la brigade de recherches de Chantilly en qualité de témoin » qui voulaient, écrit-il, « connaître l’origine de mes sources » et qu’il a « alors invoqué le secret professionnel attaché à mon statut de journaliste ».

À propos de la diffusion de l’enregistrement d’une réunion entre une des plaignantes, son manager et M. Boudot, M. Vildary écrit que cette « réunion dont est diffusé un long extrait dans le reportage n’est contestée par aucun des participants », que M. Boudot ne précise pas dans sa saisine « quels passages auraient été volontairement omis » et que le montage « demeure cohérent, respecte les faits et permet en outre de diffuser un enregistrement décent ».

M. Vildary écrit enfin au CDJM qu’« afin de garantir le respect du contradictoire et de la présomption d’innocence, nous avons essayé de contacter [M. Boudot] via le cabinet de son avocate, Me Gaudillière, mais aucune suite n’a été donnée à mes multiples demandes d’entretien ».

Il conclut : « Nous avons pris toutes les précautions journalistiques pour prendre la distance nécessaire à l’égard du témoignage des plaignantes. À aucun moment je ne m’approprie leurs accusations, et la culpabilité de M. Boudot n’est jamais présentée comme certaine. »

Analyse du CDJM

Le CDJM rappelle en préalable que son rôle n’est pas de refaire l’enquête, ni de rechercher la vérité, mais d’apprécier si les méthodes et le travail du journaliste ont respecté les règles déontologiques définies dans les textes auxquels se réfère le CDJM.

Le CDJM considère que le reportage objet de la saisine, qui rend compte du dépôt de plaintes pour viol par deux jeunes femmes à l’encontre d’une personnalité publique, star dans son milieu professionnel, constitue un fait d’intérêt général.

Concernant le grief d’absence d’impartialité

M. Pierre-Charles Boudot estime que « dès le titre du reportage, “Pierre Charles Boudot, un jockey sur la sellette”, le ton est donné : celui de ma culpabilité ». Le CDJM, se référant à la définition proposée par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) observe que l’expression « être sur la sellette » ne signifie pas être coupable mais être accusé, être interrogé. M. Boudot est effectivement accusé par les deux femmes qui ont déposé plaintes pour viol et a été interrogé par les enquêteurs. Il est sur la sellette.

M. Boudot écrit que le commentaire du reportage « renforce » les accusations portées par les deux jeunes femmes, preuve pour lui de l’impartialité de son auteur. Le CDJM a visionné le reportage et analysé les scripts qui en ont été faits, tant celui établi par ses soins que celui rédigé par un huissier à la demande de M. Boudot.

Il en ressort que les faits qui sont imputés à M. Boudot le sont par les deux jeunes femmes, dénommées “Sophie” et “Marie” dans le reportage. À aucun moment M. Vildary ne valide leurs propos. Lorsqu’il évoque dans son commentaire les faits reprochés à M. Boudot, il parle de « viol présumé ». Avant de citer des accusations précises d’une des jeunes femmes (usage d’un anesthésiant pour cheval comme drogue, fait que « Pierre-Charles Boudot s’invite dans son lit »), le journaliste emploie à chaque fois pour les introduire les mots « selon Sophie ».

De même, lorsqu’il reprend le témoignage de la seconde plaignante, il dit « pour elle : une drogue aurait été versée dans son verre ». Il ajoute enfin plus loin dans son commentaire que « la plainte tardive de Marie repose sur sa parole ». Le CDJM considère que les témoignages enregistrés et diffusés ne peuvent dès lors être confondus avec l’opinion personnelle du journaliste.

M. Boudot affirme dans sa saisine que « M. Vildary entretient des liens étroits avec les deux plaignantes ». Il avance comme preuve de ces « liens étroits » le fait que M. Vildary a « publié un livre intitulé Le Colosse aux pieds d’argile », consacré à l’association du même nom et à son fondateur, M.  Sébastien Boueilh. Il affirme que c’est « par le biais de cette association que Thierry Vildary a rencontré la prétendue première victime, prénommée “Marie” dans le reportage ». M. Vildary explique au CDJM avoir « eu connaissance de la plainte de “Marie” en 2019 » et qu’il l’a « rencontrée une première fois ». Il ajoute qu’« en 2021, [il a] été informé de la seconde plainte et [a] interviewé séparément les deux plaignantes ».

M. Vildary est en effet crédité d’avoir collaboré au livre signé en 2020 par M. Boueilh, qui relate l’action que celui-ci conduit contre la pédocriminalité en milieu sportif. Qu’à cette occasion, le journaliste ait rencontré “Marie”, qui avait porté plainte pour viol en 2018 contre M. Boudot, ne signifie pas qu’il entretient des liens étroits avec cette personne.

Le requérant reproche également au reportage réalisé par M. Vildary « de se contente[r] de reprendre à son compte les affirmations des deux plaignantes sans prendre le soin de vérifier la teneur de ces allégations fantaisistes ». Dans son courrier au CDJM, le journaliste écrit qu’il a « reçu des informations de sources dont [il] ne peu[t] divulguer ni l’identité ni la teneur des éléments transmis ». Il indique avoir contacté « le parquet de Grasse qui conduisait l’enquête avant de la transmettre à son homologue de Senlis » ce qui, écrit-il, lui a permis « de recouper les informations provenant de [s]es sources ».

M. Vildary a cherché à joindre d’autres protagonistes des faits en cause. D’une part, on entend dans le reportage une brève conversation téléphonique qu’il a avec le manager de “Sophie”. Il veut l’interroger sur une réunion à trois (celui-ci, “Sophie”, M. Boudot) rapportée par “Sophie”. D’autre part, le journaliste affirme « avoir essayé de contacter [M. Boudot] via le cabinet de son avocate, Me Gaudillière, mais aucune suite n’a été donnée à [s]es multiples demandes d’entretien ». Dans le reportage, il précise que cette « avocate, ici à l’image, n’a pas donné suite à nos demandes d’interview, mais publie un communiqué pour son client ». Ce communiqué est lu intégralement à l’antenne.

Le travail du journaliste consiste à recueillir des témoignages et des documents, à les recouper et à offrir aux personnes mises en cause par ces faits l’opportunité de faire valoir leur point de vue. Le CDJM considère qu’en l’espèce, ce processus a été respecté, tout comme l’obligation déontologique d’offre de réplique.

Concernant le grief de confusion du rôle de journaliste avec celui de policier

Dans sa saisine, M. Pierre-Charles Boudot affirme que « Thierry Vildary s’est immiscé dans l’enquête préliminaire ouverte au parquet de Senlis en fournissant de nombreux documents au procureur de la République » ; il écrit que « le journaliste est également entré en contact avec les deux prétendues victimes et les a appuyées dans leurs démarches judiciaires » ; il lui reproche d’avoir « donné son avis sur les suites de la procédure et les actes qui allaient être réalisés ».

M. Vildary affirme dans sa réponse au CDJM qu’il a pris contact « avec “Marie” puis avec “Sophie” postérieurement à leurs dépôts de plaintes pour viol contre M. Boudot. Les services de police avaient donc déjà connaissance des affaires ». Il décrit des contacts avec les enquêteurs ou les parquets (lire plus haut, NDLR) de l’ordre de ceux qu’entretiennent les journalistes avec des sources officielles, notamment pour confirmer ou infirmer des éléments qu’ils ont pu établir par ailleurs. Convoqué en qualité de témoin par les gendarmes de Chantilly, le journaliste explique avoir opposé à leurs questions le principe de protection des sources des journalistes, qui figure à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881.

Le CDJM note que rien dans la saisine du requérant ne permet d’étayer les affirmations selon lesquelles M. Vildary aurait remis « de nombreux documents au procureur de la République », ni qu’il aurait « appuyé [les] démarches judiciaires » de “Sophie” et “Marie”.

Le CDJM considère qu’« entrer en contact » avec des personnes qui se disent victimes d’un crime ou d’un délit relève d’une stricte démarche professionnelle dont il ne peut être fait grief à un journaliste.

Contrairement au requérant, le CDJM estime que M. Vildary ne donne pas, à la toute fin de la séquence, « son avis » sur la suite possible de l’enquête contre M. Boudot, mais des informations sourcées, qu’il met en partie au conditionnel, lorsqu’il dit à l’antenne : « Les gendarmes de la brigade de recherches de Chantilly […] sont persuadés qu’il existe d’autres potentielles victimes dans la nature. Ils seraient d’ailleurs sur la piste d’une troisième actuellement. »

Concernant le grief d’altération de document

Le reportage comprend une séquence sonore d’1 mn 30 s dans laquelle on entend une conversation entre M. Boudot, “Sophie” et le manager de celle-ci, par ailleurs relation de M. Boudot. Ce document a été enregistré par “Sophie”, que son manager avait réunie chez lui avec M. Boudot après qu’elle avait porté plainte pour viol. Le commentaire qui introduit ce document indique que « le problème ne semble pas être un viol présumé, mais la plainte de Sophie ».

M. Boudot estime dans sa saisine que « cet enregistrement audio a été délibérément tronqué et [que] seules des parties de la discussion retranscrite [sic] ont été diffusées, et ce, sans replacer le contexte dans lequel elles se rapportent » dans le but « de laisser à penser aux yeux du public [sic] que j’aurais tout mis en oeuvre pour étouffer l’affaire ».

M. Vildary indique au CDJM que « l’enregistrement original dure 7 mn 30 s » et que « le montage demeure cohérent, respecte les faits et permet en outre de diffuser un document décent ». Le contexte de cette discussion est précisé par le commentaire : elle se passe chez le manager de “Sophie”, dans les jours qui ont suivi son dépôt de plainte. Le journaliste précise dans sa réponse au CDJM qu’il s’est « renseigné sur les détails de la réunion pour faire réaliser une infographie en motion design reconstituant de manière simplifiée l’extérieur et l’intérieur de l’appartement [du manager de “Sophie”] ainsi que la disposition des participants à la réunion ».

On entend clairement dans ce document les deux hommes s’adresser à “Sophie” : « comment tu peux aller mettre les mecs sous la guillotine sous prétexte que… » dit l’un, « on tire un trait sur cette histoire merdique » dit l’autre.

Le CDJM observe que le requérant n’indique ni quels éléments n’ont pas été retenus, ni, a minima, quels sont les thèmes abordés, qui donneraient un autre sens à cette discussion, qui ne figurent pas dans les extraits diffusés.

Procéder au montage d’un enregistrement pour ne retenir que les éléments significatifs restituant l’information qu’il apporte est une pratique courante du journalisme audiovisuel. Pour autant, ce montage ne doit ni occulter des faits essentiels et ni modifier le sens des propos tenus. Au vu des éléments dont dispose le CDJM, rien n’indique que ce soit le cas.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 8 mars 2022 en séance plénière, estime que les règles déontologiques qui excluent l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents n’ont pas été enfreintes, ni celles qui posent les principes d’offre de réplique aux personnes mises en cause et de non confusion du rôle du journaliste avec celui du policier.

La saisine est déclarée non-fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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