Adopté en réunion plénière du 12 octobre 2021 (version PDF)
Description de la saisine
Le 8 août 2021, le CDJM a été saisi par M. Florent Perroux au sujet de l’émission « Soir info » diffusée par la chaîne CNews le 5 août 2021 à 21 h, également disponible sur son site.
M. Perroux estime que le présentateur, M. Loïc Signor, a manqué au devoir de « défendre la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique » qui figure dans les chartes de déontologie. Il estime qu’il n’a respecté ni la dignité des personnes, ni la présomption d’innocence. Pour lui, le journaliste « s’est montré, à l’égard de son invité M. Jean-Frédéric Poisson, particulièrement arrogant, insultant » et l’a empêché « d’exposer clairement ses idées ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 1).
- Il « respecte la dignité́ des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il « veillera à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 9).
- Il « défend la liberté d’expression, d’opinion , de l’information , du commentaire et de la critique» selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique » selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 2)
- Il/elle « défendra, en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables. Il/elle veillera à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique » selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 2).
Réponse du média mis en cause
Le 23 septembre 2021, le CDJM a adressé à M. Thomas Bauder, directeur de la rédaction de Cnews, et à M. Loïc Signor un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 12 octobre, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
L’émission « Soir Info » du 5 août 2021 est largement consacrée à l’entrée en vigueur du passe sanitaire dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Après le journal, le débat s’engage entre les invités présents en plateau, dont M. Jean-Frédéric Poisson, président du parti La Voie du Peuple. Vers la 39e minute de l’émission, celui-ci, en réponse à un autre invité qui défendait le passe sanitaire et la vaccination la plus large de la population, affirme alors : « Y a 900 morts, 900 morts, pour cause directe de vaccination en France aujourd’hui. Y’en a 800 000 en Europe. »
Le journaliste, M. Loïc Signor, intervient alors – « Sur les 900 morts : nous n’avons pas ce chiffre. Il n’est pas vérifié par les équipes de CNews » – et demande à M. Poisson d’ « avancer [ses] sources ». Celui-ci répond que « c’est l’Europe qui les donne », sans plus de précision, et enchaîne à l’intention du journaliste : « Je n’accepte pas que vous m’accusiez de dire des mensonges. » Avant d’ajouter : « Vous ne me direz pas à moi, même si vous n’êtes pas d’accord, quels chiffres j’ai droit de dire. » Le journaliste répond à M. Poisson qu’il n’est « pas un scientifique » et qu’il « ne [le] laissera pas donner des informations qui ne sont pas vérifiées ». La suite est confuse, les deux hommes parlent en même temps avant que M. Signor ne mette fin à l’échange.
Dans cet échange, en aucun cas la dignité de M. Poisson n’est atteinte par les questions et remarques du journaliste. Ce dernier lui demande de citer ses sources sur un sujet sensible, qui a donné lieu à de nombreuses fausses informations. À aucun moment le journaliste ne manque de respect à l’invité. Le ton, qui peut sembler vif, naît de l’obstination de M. Poisson à refuser de justifier ses propos.
De même, la présomption d’innocence de M. Poisson n’est en aucun cas mise en cause, celui-ci ne faisant l’objet d’aucune accusation de la part du journaliste. L’atteinte à la présomption d’innocence ne peut être invoquée que lorsqu’une personne est l’objet d’une enquête judiciaire, ce qui n’est pas le cas ici.
Le requérant estime également que M. Signor enfreint la règle qui pose que le journaliste « défend la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique ». D’une part, le fait d’inviter sur un plateau de télévision M. Poisson, dont les positions controversées concernant la crise sanitaire sont connues, prouve que le principe de liberté d’expression est respecté. D’autre part, l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression n’est pas le droit de dire n’importe quoi sans preuve en exigeant de ne pas être contredit. Si M. Poisson n’est pas journaliste, il reste un personnage public dont la parole est écoutée d’une partie de la population, et ne peut avancer des arguments invérifiables ou non-vérifiés sans étayer son propos.
En demandant à M. Poisson de justifier les chiffres qu’il annonce sur une question aussi sensible que le nombre de morts dues au vaccin anti-Covid – et que le journaliste reconnaît ne pouvoir vérifier en direct –, celui-ci ne fait que son travail, qui « consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 12 octobre en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de respect de la dignité, de respect de la présomption d’innocence et de défense la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique, n’ont pas été enfreintes
La saisine est déclarée non fondée.
Cette décision a été prise par consensus des membres présents.