Adopté en réunion plénière le 12 octobre 2021 (version PDF)
Description de la saisine
Le 22 juillet 2021, M. Patrick Delattre a saisi le CDJM au sujet d’un article du média en ligne Actu Paris, publié le même jour à 12 h 08 sous le titre « Manifestation à Paris contre le pass sanitaire ». M. Delattre considère que cet article relatif à une manifestation prévue quelques heures après, fait manquement à « l’exactitude et la véracité des faits », et ce pour trois motifs :
- le requérant critique l’illustration de l’article par une « photo anxiogène n’ayant aucun rapport avec la manifestation qui n’a pas encore eu lieu ».
- il dénonce l’utilisation du terme « extrême droite » pour désigner l’Union populaire républicaine (UPR), parti organisateur de la manifestation. Selon lui, écrit-il, ce « parti [est] classé divers par le ministère de l’intérieur et le CSA ».
- il considère que le journaliste prête aux manifestants UPR des propos qui ne sont pas les leurs, lesquels assimilent l’usage du passe sanitaire à « la situation des Français juifs sous l’Occupation ». D’après lui, « le journaliste ne sait pas ce qui va se dire, donc il invente ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
Réponse du média mis en cause
Le 15 août 2021, le CDJM a adressé à M. Francis Gaunand, directeur de publication de Publihebdos, éditeur du site Actu Paris, avec copie à M. Simon Louvet, journaliste auteur de l’article concerné, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
M. Gaunand a répondu le 25 août 2021 sur les trois points soulevés par M. Delattre en indiquant d’une part que la photographie n’était qu’« une photographie d’illustration de manifestation », d’autre part que l’expression de parti « d’extrême droite » au sujet de l’UPR relevait d’une « erreur d’appréciation », et enfin qu’il n’était « fait allusion en aucun cas à l’UPR dans ce paragraphe appelant à faire un parallèle avec la situation des Français juifs sous l’occupation ».
Analyse du CDJM
M. Patrick Delattre argue d’une violation de l’exactitude et la vérité des faits sur trois plans, qui doivent être examinés distinctement.
1. S’agissant de la photographie
Le requérant considère comme une désinformation « la photographie anxiogène » accompagnant l’article, celle-ci « n’ayant aucun rapport avec la manifestation, qui n’a pas [encore] eu lieu ». Il s’agit d’une photo, non créditée, montrant un groupe de gendarmes mobiles, casqués et abrités derrière leur bouclier quelque part dans Paris. L’éditeur explique qu’il s’agissait d’une photo « d’illustration », c’est-à-dire d’une image ne montrant pas directement l’événement relaté, mais choisi pour son rapport indirect avec lui. La photo retenue « illustre » effectivement une des dimensions souvent liées aux manifestations de rue – le dispositif de maintien de l’ordre déployé.
La qualifier d’« anxiogène » est une appréciation subjective. Ce caractère, alors même qu’il serait établi, n’est pas constitutif en soi d’un manquement à la déontologie professionnelle, mais relève de la liberté éditoriale, de même que le choix de retenir cette photo pour accompagner l’article annonçant une manifestation à venir.
Sur ce point, la saisine est donc non fondée.
2. S’agissant de la qualification de l’UPR comme « parti souverainiste d’extrême-droite »
Porter une appréciation sur les options fondamentales et le positionnement d’une formation politique relève de la liberté d’expression, et, s’agissant du journalisme, de la liberté éditoriale. Les classements effectués par le ministère de l’Intérieur ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sont des appréciations politiques ou administratives qui ne s’imposent pas aux journalistes. Concernant l’UPR, certains politologues classent cette formation à droite, quand d’autres soulignent des rapprochements idéologiques avec l’extrême droite.
Le CDJM, chargé de la seule déontologie du journalisme, n’a pas à se prononcer sur ces appréciations.
Sur ce point, la saisine est donc non fondée.
Le CDJM note par ailleurs que M. Gaunand, directeur de publication de Publihebdos, éditeur de Actu Paris, écrit dans son courrier du 15 août 2021 au CDJM que l’expression « l’UPR, parti souverainiste d’extrême droite » est une « erreur d’appréciation ». Pour autant, aucun rectificatif n’a été publié par Actu Paris à la date du 12 octobre 2021.
3. S’agissant de la phrase de l’article rappelant le lien fait par certains manifestants avec la situation des juifs sous l’occupation allemande
Le paragraphe dans lequel se trouve cette affirmation est le suivant :
« La manifestation de ce jeudi est appelée par François Asselineau, dirigeant de l’UPR, parti souverainiste d’extrême droite. Des Gilets jaunes appellent également à manifester. Ils se réuniront à partir de 17 heures à l’angle des rues Vaugirard et de Tournon. Cette manifestation doit être statique. L’accès au Sénat sera bloqué par les forces de l’ordre, qui vont encadrer le rassemblement. La circulation pourra être perturbée et des stations de métro pourraient être fermées. Les manifestants dénoncent la “loi liberticide” qui vise à la mise en place du passe sanitaire, dénonçant une “dictature sanitaire”, parfois en faisant des parallèles dénoncés avec la situation des Français juifs sous l’Occupation. »
M. Delattre, le requérant, affirme à propos de ce passage que « non seulement l’UPR condamne ces pratiques, mais surtout la manifestation n’a pas eu lieu, donc le “journaliste” ne sait pas ce qui va se dire, donc il invente !!! »
En affirmant que le journaliste a « inventé » la position portée par une manifestation au seul motif qu’elle n’aurait pas encore eu lieu, le requérant semble méconnaître le fait qu’un appel à manifester est lancé sur une thématique qu’il s’agit de promouvoir et qui, par hypothèse, est connue à l’avance.
En revanche, l’affirmation de l’éditeur qui indique dans sa réponse « qu’il n’est fait allusion en aucun cas à l’UPR dans ce paragraphe appelant à faire un parallèle avec la situation des Français juifs sous l’Occupation » n’est pas convaincante.
Ce parallèle figure bien dans la même phrase que celle décrivant l’opposition des manifestants au passe sanitaire. Rien n’indique au lecteur que le rédacteur serait passé, au sein d’un même paragraphe, de la présentation d’une manifestation particulière à venir et du message qu’elle entend porter à l’évocation plus générale de l’état d’esprit ou des prises de position d’autres opposants au passe sanitaire. L’ambiguïté de la formulation est – à tout le moins – source de confusion pour le lecteur sur l’orientation de la manifestation annoncée.
Sur ce point, la saisine est donc fondée.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 12 octobre 2021 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité des faits n’a pas été respectée dans un des trois griefs formulés.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cette décision a été prise par consensus des membres présents.