Avis sur la saisine n° 21-138

Adopté en réunion plénière 12 octobre 2021 (version PDF)

Description de la saisine

Capture d’écran de l’article
Capture d’écran de l’article (cliquer/toucher pour agrandir)

Le 9 juillet 2021, M. Thierry B a saisi le CDJM à propos d’un article publié par le magazine Gala le 9 juillet 2021 sur son site et titré : « Cédric Jubillar : son look remarqué lors de l’audience ». Le requérant estime que cet article ne répond pas à l’obligation de respect de la vie privée et de la dignité humaine lorsqu’il cite par leur prénom les deux enfants du couple, car ce « n’est en rien une information utile pour comprendre “l’affaire Jubillar” ».

L’article ayant été mis à jour après la saisine, l’extrait concerné est reproduit ci-contre, avec les prénoms des enfants masqués par le CDJM.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoirs no 5 et no 7).
  • Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées », et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 8).

Réponse du média mis en cause

Le 21 juillet 2021, le CDJM a écrit par courrier électronique à M. Matthias Gurtler, rédacteur en chef de Gala, et à M. Thomas Monnier, le journaliste auteur de l’article en cause, les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 22 juillet, M. Gurtler répondait au CDJM avoir « bien pris note et fait corriger les news du site comportant bien évidemment les prénoms des enfants » ; le 8 septembre, M. Frédéric Quidet, rédacteur en chef adjoint du site de Gala auquel le courrier du CDJM avait été transmis, confirmait par courriel que « la mention du nom des enfants dans un article consacré à Cédric Jubillar daté du 9 juillet […] ne fait pas ou plus partie de ce sujet ».

Analyse du CDJM

L’article objet de la saisine est consacré à un épisode judiciaire de « l’affaire Jubillar », déclenchée par la disparition d’une jeune femme en décembre 2020 dans le Tarn. Après plusieurs mois d’enquête, son époux, M. Cédric Jubillar, a été mis en examen en juin 2021 pour « homicide volontaire sur conjoint » et placé en détention.

L’article publié par Gala sur son site le 9 juillet 2021 est consacré à l’examen de sa demande de libération par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Toulouse. Le journaliste écrit : « Cédric était bien présent pour demander sa libération […]. Et son attitude a grandement fait parler. En effet, le père de L**** et de E***** portait une chemise blanche trop grande pour lui. » A noter que le CDJM ne reproduit pas ici les prénoms des deux enfants, mais ils étaient, au moment de la saisine, bien visibles en entier dans l’article de Gala.

Les mineurs ont droit, parce que personnes vulnérables, à une protection spécifique, qui s’impose aux journalistes comme à tous. La loi a prévu des dispositions et interdit ainsi « la diffusion d’informations relatives à l’identité ou permettant l’identification d’un mineur » dans des cas précis, par exemple lorsqu’il est « victime d’une infraction » (article 39 bis de la loi de 1881). Au-delà des dispositions légales, identifier des mineurs dans un média ne peut être fait qu’exceptionnellement. En 2001, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a adopté des lignes directrices sur « les questions impliquant des enfants », où les journalistes sont invités à « se garder d’identifier visuellement ou autrement les enfants, à moins que cela ne soit manifestement dans l’intérêt public ».

Le CDJM considère que citer le prénom des enfants n’est pas pertinent dans un article consacré à la comparution de leur père devant la chambre d’accusation. Cela n’ajoute rien à l’information du public et à la compréhension des faits relatés dans l’article concerné. Mais cela peut contribuer à accroître le traumatisme qu’ont subi ces enfants avec la disparition de leur mère et l’arrestation de leur père, en attirant inutilement l’attention sur eux. En outre, en tenant compte de l’indexation des articles d’actualités dans les moteurs de recherche, une telle mention du prénom des enfants peut avoir des conséquences sur leur vie des années après. L’atteinte à la vie privée est réelle.

Le CDJM note que la rédaction de Gala a été réactive quand le grief a été porté à sa connaissance : l’article incriminé a été rectifié le 21 juillet, à 21h37, dès la réception du courriel adressé à la rédaction par le CDJM, à 20h21.

Mais cette rectification n’est accompagnée d’aucune transparence ni pédagogie vers le public, ni d’aucun suivi : le CDJM a relevé d’autres articles sur le site de Gala où les enfants sont désignés par leur prénom, y compris dans des expressions identiques à celle citée dans cette saisine. Plusieurs de ces articles ont été mis en ligne après le 21 juillet.

Conclusion

Le CDJM réuni le 12 octobre 2021 en séance plénière estime que, même si l’article incriminé a été rectifié, l’obligation déontologique de respect de la vie privée et de la dignité des personnes n’a pas été respectée par Gala.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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