Adopté en réunion plénière du 16 novembre 2021 (version PDF)
Description de la saisine
Le 29 juin 2021, le CDJM a été saisi par M. David Kaddour au sujet d’un article paru le 7 mai 2021 sur le site LaMinute.info intitulé « GPIS : une direction au secours des salariés ».
L’article évoque la situation d’une entreprise de sécurité dont les salariés auraient saisi leur employeur à propos du harcèlement que leur ferait subir un délégué syndical, M. David Kaddour. L’article détaille ensuite le contenu de l’enquête menée par la direction, démarche qui aboutit au licenciement pour faute grave de la personne mise en cause. L’inspection du travail invalidera finalement la décision de la direction. Des salariés feront alors valoir leur droit de retrait devant la perspective du retour à son poste de M. Kaddour.
Ce dernier formule six griefs contre l’article qui le met en cause : absence d’offre de réplique, non-respect de la présomption d’innocence, non-respect des obligations déontologiques selon lesquelles un journaliste « prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes », « cite les confrères dont il utilise le travail », « dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir », « ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge ».
A l’appui de ces griefs, M. Kaddour affirme ne pas avoir été contacté par LaMinute.info. Il cite quatre passages de l’article qui montrent, selon lui, à la fois que le journaliste confond son travail avec celui d’un juge et qu’il ne respecte pas la présomption d’innocence. Il reproche également à l’article incriminé de s’appuyer sur celui publié par un autre site sans le citer, et au site LaMinute.info de ne pas avoir de rubrique « mentions légales » avec les informations requises par la loi (identité et adresse du responsable légal). Enfin, il souligne qu’au moment où il saisit le CDJM, son droit de réponse n’était pas publié sur la page de l’article.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
Concernant l’absence d’offre de réplique et de recherche du contradictoire :
- Il ne laisse pas « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information [prévaloir] sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, devoir no 5).
Concernant l’atteinte à la présomption d’innocence :
- Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
Concernant le droit de suite :
- Il « dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
Concernant la responsabilité des productions professionnelles :
- Il « prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
Concernant la citation des confrères :
- Il « cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
Concernant la confusion entre le rôle de journaliste et le rôle de juge :
- Il « ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il « s’interdira de se comporter en auxiliaire de police ou d’autres services de sécurité », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, devoir no 11).
Réponse du média mis en cause
Par courrier du 15 octobre 2021, le CDJM a adressé au directeur de la publication de LaMinute.info avec copie à M. Alain Breton, journaliste auteur de l’article en cause, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.
A la date du 16 novembre 2021, aucune réponse à ce courrier n’était parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
Le CDJM rappelle en préambule que le principe de présomption d’innocence, dans son acception juridique, ne lie pas les journalistes. Il rappelle également que les journalistes possèdent la pleine et entière liberté d’enquêter sur des dossiers d’intérêt public et de présenter des personnes comme responsables de certains faits à l’issue d’une investigation journalistique, pour autant que celle-ci ait été menée dans le respect des règles déontologiques. Ainsi, le journaliste doit respecter l’exactitude des faits, tendre à « l’équité et à l’impartialité » dans leur présentation et bannir la « calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement ». Pour ne pas tomber dans ces manquements, d’une part il faut veiller à ne pas conclure à la culpabilité juridique, que seul le juge peut prononcer, d’autre part il importe a minima d’offrir au mis en cause la possibilité d’exercer son droit de réplique dans le cas d’accusations graves susceptibles de porter atteinte à sa réputation ou à son honneur.
À la lecture de l’article de LaMinute.info, et en l’absence de réponse du média concerné, rien ne permet au CDJM d’estimer qu’une offre de réplique ait été offerte à la personne mise en cause. Le droit de réponse que M. David Kaddour affirme avoir adressé à LaMinute.info n’est pas visible sur la page de l’article « GPIS : une direction au secours des salariés » daté du 7 mai.
Les éléments considérés comme à charge sont largement détaillés, alors que l’article ne donne aucune indication sur les motifs qui ont conduit l’inspection du travail à refuser le licenciement envisagé par l’employeur de M. Kaddour. Le CDJM estime que cette absence de contradictoire est d’autant plus dommageable que les accusations rapportées sont graves (« chantage et harcèlement », « insultes à caractère racial ou sexuel », « régler les différends en en venant aux mains », « inscriptions [au syndicat dont M. Kaddour est le délégué] contre des avantages dans le parcours professionnel »).
Concernant le grief d’atteinte à la présomption d’innocence, le CDJM relève qu’à aucun moment le conditionnel ou le terme « présumé » ne sont employés dans l’énumération de ces accusations, dont certaines peuvent pourtant avoir un caractère pénal.
En revanche, rien ne permet de dire que le journaliste auteur de l’article de LaMinute.info confond son rôle avec celui d’un juge, comme l’écrit M. Kaddour au CDJM. Il est ainsi indiqué dans l’article qu’« une partie des faits reprochés pouvant être constitutive d’un délit, et comme l’y oblige l’article 40 du code de procédure pénale, [le directeur de l’entreprise] saisit le procureur qui, depuis a lancé une information judiciaire, indice clair que les faits reprochés sont loin d’être anodins ». Ce qui ne veut pas dire que cela vaut culpabilité.
À l’appui du grief de non-respect de l’obligation déontologique selon laquelle un journaliste « prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes », M. Kaddour écrit que « le site LaMinute.info ne contient pas de rubrique “Mentions légales” avec les informations requises par la loi (identité et adresse du responsable légal). Il n’y a qu’une rubrique “à propos de nous” mentionnant seulement deux adresses mails ». Le CDJM constate que la saisine porte sur un article dûment signé. La question de prendre la responsabilité d’une production professionnelle anonyme ne se pose donc pas. Il rappelle que les mentions légales relèvent – comme leur nom l’indique – du respect de la loi et non de la déontologie journalistique.
M. Kaddour invoque également contre LaMinute.info l’obligation déontologique de citer les confrères dont le travail est utilisé. Il met en cause la phrase « selon un site activiste peu suspect de condescendance à l’égard des “patrons” ce sont des salariés en grande souffrance qui ont fini par se tourner vers le directeur général ». Le CDJM considère que cette allusion à un autre média relève d’une référence en contre-point et non de la citation d’un travail ou d’un écrit qu’il conviendrait de sourcer plus précisément.
Enfin, le CDJM rappelle que le droit de suite cité par M. Kaddour dans sa saisine est un engagement du journaliste à poursuivre le traitement d’un sujet qui connaîtrait de nouveaux développements. Il ne doit pas être confondu avec la publication du droit de réponse, qui relève d’une procédure légale.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 16 novembre 2021 en séance plénière, estime que les règles déontologiques d’offre de réplique, d’équité, de respect de la présomption d’innocence n’ont pas été respectées, et que les règles déontologiques qui invitent à ne pas confondre le rôle de journaliste et celui du juge, à prendre la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes, à suivre les informations diffusées et à citer les confrères dont on utilise le travail n’ont pas été enfreintes.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cette décision a été prise par consensus.