Avis sur la saisine n° 21-017

Adopté en réunion plénière du 13 avril 2021 (version PDF)

Description de la saisine

Le CDJM a été saisi le 15 février 2021 par M. Ali Rabeh, maire de la ville de Trappes (Yvelines), au sujet d’un article paru le 5 février sur le site du magazine Le Point, titré « Trappes : un professeur, cible de menaces, placé sous protection », et dont l’auteure est Mme Nadjet Cherigui. La journaliste évoque le malaise d’un professeur de philosophie mis sous escorte policière, M. Didier Lemaire, qui se sent mis en danger par l’intégrisme religieux.

Les motifs de saisine par M. Ali Rabeh sont le non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits et la recherche du contradictoire ; la journaliste cite en effet dans son article des propos attribués à M. Lemaire, selon lesquels « le maire colporte dans la ville des accusations mensongères et haineuses qui [le] désignent en tant que cible potentielle. Il m’a traité d’islamophobe et de raciste. C’est surtout un procédé dégueulasse, après ce qui est arrivé à Samuel Paty. Il me jette en pâture et me met en danger ».

La journaliste précise ensuite que « contacté, le maire n’a pour l’instant pas répondu à [ses] sollicitations », alors que le requérant dit n’avoir été contacté qu’à 17 h 45 le 5 février, alors que l’article a été mis en ligne dès 19 h 01.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient la véracité, l’exactitude, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il s’oblige à « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité » et à « s’interdire les accusations sans fondement » selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoirs no 1 et no 8).
  • Il défend le « droit à un commentaire et à une critique équitables » et s’oblige à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, articles no 2 et no 5).

Réponse du média mis en cause

Le 3 mars 2021, le CDJM a adressé à M. Étienne Gernelle, directeur de la publication du Point, et à M. Sébastien Le Fol, directeur de la rédaction du Point, avec copie à la journaliste Mme Nadjet Cherigui, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM. Le média n’a pas répondu à ce jour.

Analyse du CDJM

A titre liminaire, le CDJM rappelle dans cet avis qu’il ne saurait se prononcer sur la véracité d’un témoignage cité par un journaliste : il ne traite que du respect des principes de la déontologie journalistique. L’existence ou non d’accusations émises publiquement par M. Rabeh à l’encontre du professeur de philosophie, rapportées par celui-ci à la journaliste du Point, ne fait donc pas l’objet de cet avis.

Le CDJM rappelle en revanche que la recherche du contradictoire ne doit pas être négligée en raison de l’urgence ou de l’immédiateté de la diffusion. Le courriel envoyé le 5 février à 17 h 45 par la journaliste à l’adresse « cabinetdumaire@mairie-trappes.fr » reste imprécis. Il ne fait état ni des accusations graves contre M.  Rabeh recueillies au cours de l’enquête de la journaliste, ni de sa publication imminente. Il mentionne « un article pour Le Point concernant la situation de monsieur Lemaire professeur au lycée de Trappes et sous protection policière depuis novembre dernier » et précise simplement que « lors de notre interview, il a évoqué votre nom », avant de conclure : « J’aimerais discuter avec vous de ce sujet et de la situation délicate dans laquelle il se trouve. »

Le délai de 1 h 15 accordé par la journaliste à Ali Rabeh, maire d’une ville de 30 000 habitants, pour présenter sa vision des choses n’était pas suffisant.

En précisant que « contacté, le maire n’a pour l’instant pas répondu à [ses] sollicitations », la journaliste ne permet pas de le savoir et ne donne pas ainsi tous les éléments de compréhension au lecteur. Le CDJM estime que le grief d’absence de recherche du contradictoire est fondé.

A cet égard, l’article titré « Trappes : les élus s’emparent de la polémique sur l’islamisme », publié sur le site de l’hebdomadaire le 15 février (dix jours plus tard) fait état de la position contradictoire de M. Rabeh et du préfet des Yvelines. Il permet ainsi au média de rétablir le respect du contradictoire, mais uniquement pour ceux de ses lecteurs qui auront vu les deux articles.

Conclusion

Réuni le 13 avril 2021 en séance plénière, le CDJM estime que l’article « Trappes : un professeur, cible de menaces, placé sous protection » publié par le magazine Le Point sur son site ne respecte pas l’obligation déontologique de recherche du contradictoire.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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