Adopté en réunion plénière du 9 février 2021 (version PDF)
Description de la saisine
Le 1er décembre 2020, M. Anthony Paya a saisi le CDJM à propos d’un tweet publié par le compte officiel du quotidien Midi libre le même jour. Cette publication contient le texte suivant, accompagné d’une courte vidéo : « #Perpignan Alain, un Perpignanais de 52 ans, pesant près de 300 kilos, va être extrait de son logement situé dans cette ruelle du quartier Saint-Jacques, ce mardi. Suivez en direct l’opération d’évacuation sanitaire sur http://Midilibre.fr »
M. Paya reproche à Midi libre de pratiquer « un journalisme voyeur indigne de la profession », et fait remarquer que « plus de 300 personnes ont répondu sur Twitter pour s’indigner ». Il accompagne sa demande de huit captures d’écran : l’une montre le tweet concerné, une autre un article publié sur le site du Midi libre présentant « la vidéo de l’incroyable intervention pour libérer Alain », les six dernières une série de réactions défavorables publiées par d’autres utilisateurs de Twitter.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoirs n° 5 et n° 7).
- Il « respectera la dignité́ des personnes citées et/ou représentées », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 8).
- Il veille « à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés » et fait son possible « pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 9).
Réponse du média mis en cause
Par courrier du 15 décembre 2020, le CDJM a adressé à M. Bernard Maffre, directeur de la publication du Midi libre, et M. Olivier Biscaye, directeur de la rédaction, un courrier les informant de ces saisines et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM. A la date du 15 janvier 2021, aucune réponse n’est parvenue.
Analyse du CDJM
Le tweet à l’origine de la saisine du CDJM est le premier d’une série d’au moins quatorze publications du compte officiel du Midi libre sur Twitter qui rendent compte, en temps réel, de l’opération de sauvetage d’Alain P. organisée le 1er décembre 2020. Ce Perpignanais âgé de 52 ans souffre d’obésité au point d’être resté bloqué dans son appartement pendant plus d’un an à la suite d’une chute.
Il s’agit du début d’un live-tweet, un exercice journalistique devenu courant sur ce réseau social, consistant pour un journaliste à rapporter minute par minute un événement au moyen de textes, de photos et de courtes vidéos (en général non montées), qu’il publie depuis son smartphone sans attendre son retour à la rédaction.
De plus, ces tweets forment la matière principale d’un contenu publié sur le site du Midi libre le même jour qui a été mis à jour régulièrement pendant les opérations et aujourd’hui titré « Perpignan : Alain, 300 kg, est arrivé à Montpellier, retour sur quatre heures d’intervention délicate ». Cette page adopte la présentation courante d’un live-blog, soit une série de brèves classées de la plus récente à la plus ancienne, lesquelles intègrent notamment les tweets concernés.
Publié au matin du 1er décembre 2020, le tweet relevé par M. Anthony Payat est envoyé avant que l’opération proprement dite ne démarre. Outre le texte cité, il propose une séquence vidéo d’une vingtaine de secondes montrant une ruelle étroite et faiblement éclairée.
Suivent tout au long de la matinée, dans le live-tweet comme dans le live-blog, d’autres vidéos qui montrent la mise en place d’un périmètre de sécurité, l’arrivée sur place d’engins de chantier et de véhicules de secours, une courte interview de « Me Jean Codognès, l’avocat d’Alain », celle du « commandant Aurélien Paris » des pompiers du département… L’opération d’extraction elle-même est filmée à bonne distance : l’auteur des tweets indique d’ailleurs que les services de secours ont demandé aux journalistes présents de s’éloigner. Sur ces images, la personne secourue n’est visible à aucun moment.
Pour le CDJM, on peut trouver maladroite la formule qui conclut le premier tweet de la série publiée du 1er novembre (« Suivez en direct l’opération d’évacuation sanitaire sur http://Midilibre.fr »). Cette tournure promotionnelle a laissé penser à certains utilisateurs de Twitter découvrant cette actualité que le média entendait attirer leur attention en prévoyant de montrer Alain P. dans une situation difficile voire dégradante.
Mais l’examen de l’ensemble des contenus publiés ce jour-là par Midi libre – et notamment le fait qu’Alain P. ne soit jamais visible sur les images publiées – montre que cette actualité locale a été rapportée d’une façon qui respecte sa vie privée et sa dignité.
Le CDJM rappelle enfin que le choix de traiter ce sujet ainsi que le ton, le format et le nombre des publications qui y sont consacrées relèvent de la liberté éditoriale du journal.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 9 février 2020 en séance plénière, estime que le contenu du live-tweet visé par la saisine ne porte pas atteinte à la dignité humaine ou à la vie privée de la personne concernée.
La saisine est déclarée non fondée.
Cette décision a été prise à l’unanimité des présents.