Avis sur la saisine n° 20-114 (et similaire)

Adopté en réunion plénière du 26 mars 2021 (version PDF)

Description des saisines

Le CDJM a été saisi le 21 septembre 2020 par M. Pierre-Yves Bulteau et le 27 septembre par Mme Inès Léraud du contenu d’un article écrit par Alexandre Bertolini et publié le 13 juillet 2020 dans la rubrique « Le Club » du site du magazine Valeurs actuelles. Titré « Algues vertes et agroalimentaire : quand les écolos bretons plongent dans le complotisme militant », cet article met en cause Mme Léraud, journaliste et autrice de la bande dessinée Algues vertes, une histoire interdite, et M. Bulteau.

Mme Inès Léraud reproche à Valeurs actuelles de ne « pas [l’avoir] contactée pour recouper les “informations” qui la concernent » et écrit que, de ce fait, « des inexactitudes et des contre-vérités apparaissent dans l’article ».

M. Pierre-Yves Bulteau reproche ce qui suit : « Mon travail et mes propos sont mis en cause sans que je n’ai jamais été contacté par le journal. Ainsi, plusieurs contre-vérités me concernant parsèment l’article. »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, devoir n° 1).
  • Il « veillera à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, devoir n° 2).
  • Il considère que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, devoir n° 5).

Réponse du média mis en cause

Par courrier du 7 novembre 2020, le CDJM a adressé à M. Erik Monjalous, directeur de la publication, M. Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction, M. Tugdual Denis, directeur-adjoint de la rédaction et à M. Alexandre Bertolini, journaliste à Valeurs actuelles, une lettre les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

M. Erik Monjalous, sans se prononcer sur le fond, a répondu au CDJM, le 10 novembre 2020, que « le groupe Valmonde [propriétaire du magazine, ndlr] ne reconnaît aucune légitimité au CDJM. Celui-ci n’a aucun droit, aucune prérogative pour s’auto-saisir de quoique ce soit en ce qui nous concerne. Notre groupe relève du droit français, et notamment de la loi de 1881. Seuls les tribunaux français sont légitimes ».

Le CDJM prend acte de la position du groupe Valmonde. Il fait cependant remarquer que, dans le cas présent, le CDJM ne s’est pas auto-saisi et que conformément à son règlement intérieur, le CDJM a l’obligation de traiter les saisines conformes aux critères de recevabilité et d’en informer le média.

Analyse du CDJM

Les saisines d’Inès Léraud et de Pierre-Yves Bulteau soulèvent les questions de la vérification des informations, du croisement des sources, de la possibilité pour les personnes mises en cause de donner leur point de vue (respect du contradictoire).

Cet article est présenté comme une enquête journalistique sous le titre : « Algues vertes et agroalimentaire : quand les écolos bretons plongent dans le complotisme militant ».

Son chapeau introduit plus un point de vue qu’une enquête. On y lit ainsi : « Un journaliste breton dénonce […] une entreprise de propagande à quelques mois des régionales. » La première phrase de l’article donne le ton : « Un journaliste breton a contacté Valeurs actuelles pour vider son sac. » Ce « journaliste breton », également appelé « notre informateur », « notre source bretonne », « notre journaliste anonyme », « notre journaliste et lanceur d’alerte » est en effet l’unique source de la majeure partie de l’article. Le texte met donc en cause des personnes en s’appuyant sur des affirmations anonymes, qui ne sont jamais croisées ou vérifiées.

À plusieurs reprises, l’article dément ainsi des faits avancés par Mme Inès Léraud, M. Pierre-Yves Bulteau et d’autres personnes mentionnées, sans que ces propos soient étayés par des faits ou confrontés à d’autres sources.

Le CDJM constate que, mis en cause dans l’article, Mme Léraud et M. Bulteau, ne sont pas cités en réponse aux affirmations de la source de l’article. Ces deux personnes affirment ne pas avoir été contactées par l’auteur de l’article, ce que la réponse de Valeurs actuelles au CDJM n’infirme pas.

Conclusion

Réuni le 12 janvier 2021 en séance plénière, le CDJM estime que l’article de Valeurs actuelles ne tient pas compte de l’exigence déontologique, mentionnée dans le corpus des chartes déontologiques, d’offre de réplique aux personnes mises en cause. 

Les saisines sont déclarées fondées.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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