Avis sur la saisine n° 20-108

Adopté en réunion plénière du 9 février 2021 (version PDF)

Description de la saisine

Le CDJM a été saisi le 31 août 2020 par Mme Morgan Large du contenu de l’émission « L’invité » diffusée par la chaîne Tébéo le 11 juin 2020 à 19 h 30, au cours de laquelle M. Hubert Coudurier recevait M. Thierry Burlot, vice-président du conseil régional de Bretagne, chargé de l’environnement, de l’eau, de la biodiversité et du climat, également président de l’Office français de la biodiversité.

La requérante formule des griefs concernant l’exactitude et la véracité des faits, la recherche du contradictoire et la confusion entre information et commentaire. Mme Large reproche à M. Coudurier d’affirmer que Mme Inès Léraud « a obtenu une pétition de journalistes » en sa faveur dont « trois quarts de journalistes parisiens ».

Elle lui reproche également d’avoir affirmé qu’une plainte avait été déposée contre la bande dessinée cosignée par Mme Léraud par « l’ancien président du Medef, M. Joël Chéritel », alors que c’est M. Jean Chéritel qui a déposé une plainte contre un article de Mme Léraud publié par le site Bastamag.

À l’appui du grief de non-respect du contradictoire, Mme Large reproche à M. Coudurier d’avoir « invité à plusieurs reprises l’élu à critiquer la journaliste indépendante Inès Léraud et sa bande dessinée d’enquête Algues vertes, l’histoire interdite » et d’avoir qualifié ce travail de « complotiste » parce qu’il décrit les réunions dites « Dîners celtiques ». Mme Large souligne que « la parole n’est donnée à aucun moment à Inès Léraud » et accuse M. Coudurier de manquer d’impartialité, affirmant qu’il « use de son pouvoir médiatique pour régler ses comptes personnels ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).
  • Il « veillera à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).

Réponse du média mis en cause

Par courrier du 30 octobre 2020, le CDJM a adressé à M. Hubert Coudurier, président de Tébéo TV, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

A la date du 9 février 2021, aucune réponse n’était parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

Le premier reproche fait à M. Hubert Coudurier par Mme Morgan Large est d’avoir affirmé que Mme Inès Léraud « a obtenu une pétition de journalistes aux trois quarts parisiens ». Selon la requérante, Mme Léraud n’est pas à l’initiative de cette pétition lancée par « un collectif de journalistes », et 217 des 487 premiers signataires étaient des journalistes bretons. Le CDJM, en l’absence de la liste des signataires à la date de l’émission, ne peut déterminer quelle est la proportion de ceux qui relèvent des désignations de journaliste parisien ou de journaliste breton. Il constate que rien ne permet de dire que Mme Léraud est, comme M. Coudurier le laisse entendre, à l’origine de cette pétition, même s’il est peu probable qu’elle n’ait pas été informée de son lancement.

Au sujet du grief formulé concernant l’attribution de la plainte contre Mme Léraud à M. Joël Chéritel au lieu de M. Jean Chéritel, et son objet identifié comme la BD Algues vertes au lieu d’un article paru dans Bastamag : le CDJM a vérifié que cette erreur factuelle a bien été commise par M. Coudurier. Le CDJM a pu constater que cette erreur n’a pas été rectifiée dans les émissions suivantes par M. Coudurier, et ce malgré un signalement qui lui a été adressé sur le réseau social Twitter.

La seconde série de griefs formulés par Mme Large concerne le non-respect du contradictoire. Le CDJM observe qu’il s’agit d’une émission d’interview intitulée « L’invité » et pas d’un débat. Le responsable de l’émission est libre du choix de ses invités successifs en fonction de la ligne éditoriale. Ses invités peuvent parfaitement formuler des commentaires sur l’action de personnalités publiques ou sur des ouvrages publiés sans que les personnes citées soient invitées à répondre.

Le rôle du journaliste est de poser des questions, pas de débattre avec son invité. Or le CDJM note qu’à plusieurs reprises M. Coudurier va au-delà de la simple formulation d’une question. Il introduit la partie de l’interview qui porte sur la bande dessinée Algues vertes l’histoire interdite en ces termes : « Les questions environnementales, les questions écologistes [sic] sont devenues taboues… qu’on ne peut plus rien dire aujourd’hui… euh… on vous a accusé d’avoir exclu les scientifiques des études qui ont été faites… euh… il y a une BD très polémique qui a eu un grand succès, qui est la BD d’Inès Léraud, qui vous encense au début et qui vous flingue plutôt à la fin, si j’ai bien compris… qui a des relents un peu complotistes : elle voit dans les Dîners celtiques une sorte de tricontinentale, de groupe de pression alors que ce ne sont que des dîners amicaux, enfin qu’est-ce que vous en pensez de tout ça ? »

Certes, les téléspectateurs réguliers de Tébéo savent que M. Coudurier est directeur de l’information et éditorialiste au quotidien Le Télégramme, en plus d’être président de cette chaîne contrôlée par le groupe Le Télégramme. Mais l’émission « L’invité » est présentée au public non averti comme un programme où M. Coudurier reçoit et interviewe un invité. Elle n’est à aucun moment identifiée comme un éditorial ou un commentaire personnel. Or le ton global, que l’on pourrait qualifier d’interview éditorialisée, peut porter à confusion, car la distinction n’est pas claire pour le public entre exposé de faits et expression de l’opinion de l’intervieweur.

Ainsi, le CDJM constate que M. Coudurier prend à son compte l’accusation de complotisme portée contre Mme Léraud, et n’a pas jugé utile de porter à la connaissance de son public qu’il avait lui-même participé aux Dîners celtiques, ce qui aurait alors permis de situer son propos.

Conclusion

Réuni le 9 février 2021 en séance plénière, le CDJM estime qu’au cours de l’émission « L’Invité » diffusée par Tébéo le 11 juin 2020, il n’a pas toujours été tenu compte de l’exigence déontologique de distinction entre l’information et le commentaire, ni de celle d’exactitude dans la présentation des faits.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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