Avis sur la saisine n° 20-091

Adopté en réunion plénière du 13 octobre 2020 (version PDF)

Description des saisines

Le CDJM a été saisi le 15 juillet 2020 par M. Redha Oukil (saisine 20-091) et le 7 juillet 2020 par courrier postal par M. Francisco Leong (saisine 20-092) du contenu d’une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP) sur une procession religieuse le dimanche de Pâques, le 12 avril 2020, au Portugal.

Cette dépêche a été reprise par le quotidien La Croix, dans un article publié le 12 avril 2020 et titré « Un curé portugais fait sa procession de Pâques dans une décapotable », et par l’hebdomadaire Le Point, dans un article publié le 12 avril 2020 et titré « Un curé portugais fait sa procession de Pâques dans une décapotable » – au moins dans leur version numérique.

Les deux saisines ont été regroupées.

Les auteurs des deux saisines reprochent à l’AFP d’avoir publié une dépêche rédigée à l’avance, « allant même jusqu’à décrire par anticipation des situations sur le terrain sans se rendre sur le lieu du reportage », écrit M. Redha Oukil. Cette pratique, selon lui, « viole plusieurs devoirs journalistiques » et il formule de grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité et de plagiat.

La deuxième saisine formule le même grief, et également celui de la non-rectification d’une erreur, M. Francisco Leong affirmant que « l’information a été corrigée seulement 31 jours après sa diffusion aux clients [de l’AFP] ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste, d’une part :

  • Il « tient la véracité, l’exactitude, l’intégrité, pour les piliers de l’action journalistique ; la déformation des faits, le détournement d’images, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).

Ils précisent d’autre part :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 6).

Ils précisent d’autre part :

  • « La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources », selon la Charte d’éthique des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • « La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

Réponse du média mis en cause

Par courrier du 27 août 2020, le CDJM a adressé à M. Philip Chetwynd, directeur de l’information de l’AFP, un courrier l’informant de ces saisines et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Ce dernier a répondu au CDJM le 26 septembre 2020, dans un courier qui précise notamment : « L’Agence France-Presse a diffusé le 12 avril dernier deux dépêches sur la procession conduite par le Père Nuno Westwood. La première en français, diffusée à 19 h 42, contenait une erreur mineure, la seconde en anglais, diffusée à 20 h 34, ne contenait pas cette erreur.

L’erreur consistait à avoir mentionné une statue de la Vierge en lieu et place d’un crucifix.

La dépêche, comme il est de règle dans la production journalistique que vous connaissez bien, avait été préparée en amont, notamment par un entretien avec le père Westwood qui menait la procession et dont les extraits figurent dans la dépêche. La procession est habituellement conduite avec la Vierge, ce qui explique l’erreur commise.

Pourquoi cette erreur a été évitée par la dépêche en anglais : le journaliste anglophone a eu accès à la vidéo qui a été prise ce jour-là alors que le journaliste francophone, en raison des problèmes causés par la Covid (télétravail et difficultés d’accès au réseau), n’a pas eu cette opportunité.

Cette erreur étant mineure et ne concernant que la dépêche en français, elle n’a été repérée que tardivement, puis corrigée. »

Analyse du CDJM

Les requérants reprochent à l’AFP un manquement à l’une des règles déontologiques clés du journalisme, la véracité et l’exactitude des faits.

Ce manquement est notamment mis en relief, dans la dépêche de l’agence de presse, par la mention d’une statuette de la Vierge de Fatima, objet qui est habituellement présentée lors des processions du père Nuno Westwood. Or, dans la procession suivie par l’AFP, c’est un crucifix qui a été présenté.

Cette différence démontre que le journaliste de l’AFP a préparé à l’avance la couverture de la procession et, sans aller sur le terrain, n’a pas repéré l’absence de correspondance entre le texte diffusé et la réalité de l’événement visible sur les photos et vidéos.

La préparation des dépêches à l’avance est une pratique courante, reconnue par l’AFP, qui a conduit à une erreur factuelle. Elle concerne la version francophone de la dépêche mais pas la version anglophone, qui ne comportait pas d’erreur, le journaliste ayant eu la possibilité de visionner la vidéo de la procession.

La préparation en amont des dépêches est une pratique journalistique classique qui peut s’expliquer par les conditions matérielles de production journalistique. Des reportages sont souvent préparés en amont (recherches, interviews, contextualisation…) afin d’avoir une meilleure compréhension de ce qui sera vu et rapporté, et de gagner en rapidité de production et de diffusion. Cette pratique ne peut être considérée comme une faute déontologique.

Mais le respect de la vérité des faits implique au moment de la rédaction d’un article une exigence préalable à la diffusion : vérifier que ce que l’on décrit s’est effectivement déroulé tel qu’on l’avait prévu.

Cependant, le CDJM souligne que la crise sanitaire actuelle a bouleversé les conditions de travail des journalistes en limitant notamment leurs capacités de déplacement et de reportages sur le terrain. Sans altérer les règles déontologiques de la profession, la situation actuelle modifie certaines conditions d’exercice des journalistes et doit être prise en considération.

Concernant l’erreur mentionnée par les plaignants, le CDJM constate qu’elle est effective. Le journaliste francophone, qui n’a pas eu la possibilité de se déplacer et n’a pas eu l’opportunité de visionner l’événement qu’il décrit, a mentionné une statue de la Vierge de Fatima, habituellement présente pour les processions du père Westwood alors qu’il s’agissait d’un crucifix dans la procession relatée dans son article.

Cette erreur, reconnue par l’AFP, est une erreur mineure. Le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité n’est pas établi car elle n’entraîne pas d’altération du sens et de la compréhension de l’événement relaté par le journaliste.

L’AFP, dès qu’elle a eu connaissance de l’erreur, l’a reconnue et corrigée. Le grief de non-rectification n’est pas établi.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 octobre 2020 en séance plénière, estime que l’AFP, en reconnaissant une inexactitude publiée dans une de ses dépêches et en la rectifiant lorsqu’elle en a eu connaissance, s’est conformée aux principes déontologiques du journalisme.

Le CDJM considère que la saisine est non-fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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