Avis sur la saisine n° 20-073

Adopté en réunion plénière du 13 octobre 2020 (version PDF)

Description de la saisine

Le 27 mai 2020, le CDJM a été saisi par M. Evariste Mollard au sujet de l’intervention de Mme Gaëtane Meslin dans l’émission « Le Live » de BFM du 13 mai 2020 à 10 h 17. La journaliste délivre une analyse sur les moyens de relancer la croissance économique en France après la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de coronavirus.

Elle y affirme que, pour dissuader les consommateurs d’épargner, « le Fonds monétaire international (FMI) a proposé hier de prélever 10 % de l’épargne du monde entier pour justement financer la reprise économique. Ça veut dire tout simplement que plus vous aurez d’épargne, plus vous serez prélevé pour participer au financement de la relance ».

M. Mollard formule le grief d’inexactitude et de non-vérification des faits, car il considère que cette assertion « n’est ni fondée ni vérifiée, mais semble reprendre une rumeur sur cette taxation, et se réfère à une proposition du FMI datant de… 2013 et non du 12 mai 2020 ». Il formule également le grief de non-rectification d’une erreur, car il a « demandé le lendemain de la diffusion [via un tweet publié le 14 mai] à la journaliste de citer ses sources mais n’a pas eu de réponse de sa part près de quatorze jours plus tard ». Il joint à sa saisine la copie du tweet adressé en ce sens à la journaliste.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).
  • Il doit « respecter les faits », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).

Ces mêmes textes précisent également :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Réponse du média mis en cause

Le 25 juin 2020, le CDJM a adressé à Mme Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM-TV, avec copie à Mme Gaëtane Meslin un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM. A la date du 20 juillet, aucune réponse n’était parvenue au CDJM.

Cependant, après publication d’un avis le 30 septembre 2020 dans lequel le CDJM concluait à la non-rectification d’une exactitude, Mme Gaëtane Meslin prenait contact le 1er octobre 2020 avec le CDJM. Elle explique n’avoir pas reçu le courrier que le CDJM lui a adressé en juin, et n’a donc pas pu y répondre – ce que le CDJM ne conteste pas. Sur le fond, Mme Gaëtane Meslin explique avoir repris une information « d’un journaliste économique reconnu » en affirmant à l’antenne de BFM-TV que le FMI avait « proposé hier de prélever 10 % de l’épargne du monde entier pour justement financer la reprise économique », et n’avoir vérifié qu’après ce direct « que cette proposition ne datait pas d’hier, mais de 2013 ». Mme Gaëtane Meslin affirme avoir rectifié à l’antenne de BFMTV à plusieurs reprises dans les jours qui ont suivi. Elle ajoute qu’elle a répondu à M. Mollard après son tweet du 14 mai : « Lorsque ce twittos m’a demandé ma source, je la lui ai donnée. »

Analyse du CDJM

La saisine considérée soulève la question de l’exactitude des informations et la rectification des erreurs.

Un rapport du Fonds monétaire international d’octobre 2013 évoque en effet l’hypothèse « d’un impôt unique sur la fortune privée » pour compenser une « forte détérioration des finances publiques dans de nombreux pays » ; les rapporteurs estiment que le « taux d’imposition nécessaire pour ramener la dette publique à des niveaux d’avant la crise […] est d’environ 10 % sur les ménages dont la richesse nette est positive ». Cette information a été reprise par exemple dans un article sur le site du ​Parisien, titré ​« Le FMI préconise une super taxe de 10% sur l’épargne » et publié le 10 octobre 2013.

Elle a été évoquée à nouveau en avril 2020 dans plusieurs articles consacrés aux conséquences économiques de la crise sanitaire en cours. Ainsi peut-on lire sur le site de BFM-TV, dans un article publié le 25 avril 2020 et titré ​« Coronavirus : l’épargne des français est-elle menacée par une ponction des banques ou de l’État ? » : ​« En 2013, le FMI lui-même suggérait aux Etats des pays développés de ponctionner l’épargne des ménages via une taxe. “Les taux de taxation nécessaires pour ramener les ratios de dettes (par rapport au PIB) à leur niveau de la fin 2007 nécessiteraient une imposition d’environ 10 % sur tous les ménages disposant d’une épargne nette positive”, expliquaient les économistes de l’institution monétaire ».

Évoquer l’hypothèse d’une taxation de 10 % de l’épargne n’est donc pas reprendre une rumeur, comme l’écrit l’auteur de la saisine. Mais on ne peut, comme l’affirmait le 13 mai 2020 Mme Gaëtane Meslin sur le fondement d’une indication erronée, dire que « le Fonds monétaire international a proposé hier de prélever 10 % de l’épargne du monde entier ». Elle même le reconnaît dans le courriel adressé CDJM le 1er octobre.

Cette erreur de date change le sens et la compréhension de l’information. D’une hypothèse avancée d’une façon théorique en 2013 dans l’analyse des suites de la crise financière de 2008, on en vient, avec l’expression « a proposé hier », à une possibilité immédiate pour régler les problèmes de 2020.

Cette présentation inexacte a eu un fort retentissement notamment sur les réseaux sociaux. Le CDJM constate que malgré le démenti du ministère des Finances le 14 mai 2020, cité dans plusieurs médias, et le correctif apporté à l’antenne par Mme Gaëtane Meslin, cette erreur n’a pas été corrigée de manière rapide sur le site BFM-TV, puisque courant septembre l’extrait de l’émission en cause était toujours en ligne. Il a depuis été retiré.

Conclusion

Le CDJM, réuni en session plénière le 13 octobre 2020, en application des dispositions de l’article 8 de son règlement intérieur qui prévoit le réexamen d’un avis si des « éléments nouveaux relatifs aux faits qui étaient l’objet de la saisine initiale » étaient portés à sa connaissance, amende son avis adopté le 21 juillet 2020 en séance plénière.

Il estime que l’affirmation d’une proposition récente par le FMI d’une taxation de l’épargne contrevient aux règles d’exactitude et que ce grief est fondé. Il considère que l’erreur a été rectifiée rapidement par Mme Gaëtane Meslin et que le grief de non-rectification d’une information inexacte n’est pas fondé mais il déplore que le correctif n’ait pas été fait aussi promptement sur le site de BFM-TV que sur son antenne.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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