Avis sur la saisine n° 20-007

Adopté en réunion plénière le 5 mai 2020 (version PDF)

Description de la saisine

Le CDJM a été saisi par Mme Hélène Bouchet à propos du contenu de la séquence « Décryptage » diffusée par France 3 Pays de la Loire, le 5 février 2020, dans le Journal 19/20, et consacrée aux activistes de la cause animale. Mme Bouchet reproche, notamment, à ce média, les conditions de réalisation des deux reportages, dont l’intrusion dans une propriété privée.

Contenu de la saisine :

« À la demande d’activistes de la cause animale Red Pill, association créée en octobre 2018 et connue pour se livrer à un activisme agressif avec le concours de journalistes et de people, l’équipe de journalistes de cette antenne régionale a suivi leur organisation et mode d’actions illégales. Après avoir montré leur procédure de repérage avec l’aide d’un drone elle a filmé leur intrusion de nuit dans une propriété privée visiter un élevage porcin qualifié d’industriel, elle s’est donc elle aussi livrée à une intrusion.

La journaliste se défendant de n’être pas rentré par effraction et d’assurer que des actions précédentes aient vu les victimes déboutées devant le tribunal leur permettrait donc de pouvoir en faire autant sans craindre des suites pénales ?

C’est proprement scandaleux !

Est-ce le rôle d’un service public d’offrir pareille vitrine médiatique à la délinquance animaliste ?

Ensuite voix off l’idée a été de se rendre à l’improviste caméra et micro en main chez Mme Christiane Lambert, présidente de la FNSEA propriétaire aussi d’un élevage porcin pour le « contrôler » ! M. Lambert est filmé surpris par cette visite inopinée, il refuse de laisser entrer les membres de Red Pill. Est-ce des manières pour des journalistes, ils procèdent de cette façon habituellement en reportage sans prendre rendez-vous ? M. Lambert a été très fair-play et ouvert les portes de sa maternité aux journalistes et la voix off a “jugé que l’élevage était plutôt bien tenu”.

Est-ce que là encore des journalistes sont habilités à rendre un avis ou autorisés à se substituer à des contrôleurs sanitaires ?

Ce reportage montre une connivence palpable entre les journalistes et leurs « clients » à une heure de grande écoute, il est temps que le service public revoit ses bases déontologiques avant que la guerre se déclare dans les campagnes.

Ça vaut également pour toutes ces émissions qui s’adonnent à un agribashing forcené c’est usant et incompréhensible.

Je tiens à ajouter en tant qu’éleveuse n’avoir aucun lien d’adhésion à la FNSEA. »

Recevabilité

Le CDJM a considéré que la saisine de Mme Bouchet était partiellement recevable.

Une partie des griefs de Mme Bouchet concerne les choix éditoriaux de France 3. Le CDJM, en charge du seul respect de la déontologie, s’interdit de porter des jugements sur ces choix qui doivent rester de la seule responsabilité des rédactions, à l’exclusion de toute ingérence extérieure.

Le CDJM n’a donc retenu que le grief relatif à l’intrusion de l’équipe de France 3 dans l’élevage porcin.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent que les journalistes…

  • … se doivent de « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent » et de « ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents » (devoir n° 3 de la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes dite « Déclaration de Munich ») ; de ne rapporter « que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux » (article 3 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes).
  • … ne doivent pas « user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents » (devoir n° 4 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes) ; utiliser des « méthodes déloyales pour obtenir des informations, des images, des documents et des données. Il/elle fera toujours état de sa qualité de journaliste et s’interdira de recourir à des enregistrements cachés d’images et de sons, sauf si le recueil d’informations d’intérêt général s’avère manifestement impossible pour lui/elle en pareil cas. Il/elle revendiquera le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits d’intérêt public » (article 4 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes).

Réponse du média mis en cause

Conformément à ses statuts, le CDJM a informé France 3 Pays de la Loire de cette saisine le 4 avril 2020, et l’a invité à faire valoir ses arguments en réponse aux griefs formulés.

La rédaction en chef de France 3 Pays de la Loire a apporté, par courriel, les précisions suivantes sur les conditions de réalisation et de récupération des images diffusées.

« La rédaction de France 3 Pays de la Loire essaie au quotidien de rendre compte de l’actualité de la région, des débats de société et de la diversité des opinions présentes. Les actions de différentes associations anti-élevages sont fréquentes dans notre région.

Mardi 28 janvier dernier, nous avons consacré, dans le 19/20 de France 3 Pays de la Loire, un dossier à l’agribashing, avec notamment un reportage aux côtés d’éleveurs victimes d’intrusion.

Ce même 28 janvier dans le 19/20, un représentant de la FDSEA 44 était notre invité en plateau. La semaine suivante, nous avons appris la présence dans la région de militants de l’association Red Pill, ils avaient programmé d’autres actions, avec ou sans nous. Notre équipe de reportage les a rencontrés lundi 3 février en Vendée, en amont et après une nouvelle action d’intrusion qu’ils avaient programmée sur un élevage porcin. J’avais instamment demandé à l’équipe de reportage France 3 de ne pas pénétrer sur cette propriété privée, cette demande a été respectée.

Le jour convenu, nous avons tourné des interviews dans le gîte loué par les militants et à proximité de l’élevage ciblé par ces derniers. L’équipe de reportage a ensuite pris congé et a dîné de son côté, avant de retrouver les membres de l’association vers minuit pour suivre le début de leur action. Conformément à ce qui était convenu, l’équipe de reportage n’a pas suivi les activistes à l’intérieur de l’élevage. Après l’action, nous avons réalisé une dernière interview et récupéré des images tournées par les militants sur l’exploitation agricole (l’interview en fait partie).

Comme vous l’avez mentionné à juste titre, nous avons manqué de rigueur sur l’affichage à l’antenne de la provenance des images tournées dans l’enceinte de l’exploitation agricole. Ce sont bien des images tournées par Red Pill et non par France 3. »

Analyse du CDJM

La saisine concerne deux reportages.

Le premier reportage porte sur les actions de l’association Red Pill et montre une intrusion de nuit dans un élevage. Les militants sont filmés avant l’intrusion. On voit, ensuite, un militant s’exprimer à l’intérieur de l’élevage.

Filmer une opération « illégale » ou « proche de l’illégalité », menée par des activistes, ne peut être considéré, par principe, illégitime sur le plan journalistique.

Ce type d’opération, destiné à mettre au jour des faits possiblement tenus secrets, peut revêtir un caractère d’intérêt public. En l’occurrence, la maltraitance animale relève sans aucun doute de cet intérêt public. Le CDJM observe qu’elle est l’objet de débats publics depuis plusieurs années, que la loi du 16 février 2015 a introduit dans le Code civil un article 515-14 proclamant que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », et que diverses directives européennes ont établi des normes minimales relatives à la protection des animaux d’élevage.

Rien n’indique que les journalistes de France 3 Pays de la Loire aient été à l’initiative de l’action de Red Pill. En outre, il faut noter que l’anonymat de l’exploitation visée est préservé. Il était donc de la liberté éditoriale des journalistes de France 3 de suivre une action dont ils ont eu connaissance et qui constitue une information sur un sujet d’intérêt public, d’en expliquer le contexte en gardant une juste distance et en s’appuyant sur des faits vérifiés.

Il n’y a donc aucun manquement déontologique sur cet aspect qui constitue le grief principal de la saisine.

La plaignante reproche aussi à la journaliste une intrusion dans une propriété privée. Elle se fonde sur la diffusion d’une interview réalisée dans l’exploitation. Or, France 3 affirme que ces images n’ont pas été tournées par son équipe mais par les militants eux-mêmes. La déontologie journalistique n’interdit pas la diffusion de telles images, tournées par des tiers, si cela se justifie au nom du contenu informatif de ces images. Le CDJM considère que c’est le cas ici.

Toutefois, le CDJM note que la provenance des images tournées clandestinement dans cet élevage porcin n’est pas mentionnée au moment de leur diffusion. Il n’est pas précisé pendant le reportage que les journalistes de France 3 Pays de la Loire n’en sont pas les auteurs.

Ce n’est que dans une troisième partie de la séquence « Décryptage », après la diffusion de deux reportages, que la journaliste qui les a réalisés précise : « Nous n’étions pas avec eux lorsqu’ils se sont introduits dans cet élevage… », sans, pour autant, dire clairement que les images diffusées émanent de l’association.

Cette absence de mention de l’origine des images tournées dans l’élevage porcin, au moment où le téléspectateur les découvre, est regrettable. La rédaction de France 3 Pays de la Loire en convient dans sa réponse. Cependant, cette absence ne constitue pas un manquement à une règle déontologique, la source des images étant suggérée au public lors de l’intervention finale de la journaliste en plateau, dans la mesure où la journaliste affirme qu’elles ne proviennent pas de l’équipe de tournage de France 3.

Concernant le deuxième sujet et l’arrivée inopinée dans une exploitation avec les activistes, les journalistes n’ont pas prévenu le propriétaire, pour se donner la possibilité de vérifier d’éventuels cas de maltraitance animale. Il ne s’agit pas d’une méthode déloyale, mais d’un choix d’enquête légitime. Il n’est pas obligatoire de prendre rendez-vous pour rencontrer quelqu’un à des fins de reportage. M. Lambert était libre de recevoir, ou pas, l’équipe de France 3. Il a accepté de lui ouvrir ses portes en toute connaissance de cause.

La distance prise par le reportage, par rapport à l’action des activistes, apparaît clairement lorsque les journalistes interrogent cet éleveur sur ce qu’il pense des actions coups-de-poing de l’association Red Pill.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 5 mai 2020 en séance plénière, estime que les reportages diffusés lors de l’émission ne contreviennent pas aux règles de déontologie journalistique. La rédaction en chef de France 3 Pays de la Loire affirme avoir demandé à ses équipes de ne pas pénétrer avec les activistes dans l’exploitation visée, ce qui témoigne d’une attention certaine au respect des règles déontologiques. Le reportage est par ailleurs équilibré, l’anonymat de l’exploitation, préservé, et la diffusion d’images tournées par un tiers à l’intérieur relève d’un droit à l’information.

Comme la rédaction de France 3 Pays de la Loire en convient, l’absence de mention de la provenance des images du premier reportage est préjudiciable à une information pleine et entière des téléspectateurs. La source des images diffusées aurait dû être clairement précisée. France 3 Pays de la Loire a commis une erreur qui ne constitue pas, cependant, une faute déontologique.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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