Adopté en réunion plénière du le 5 mai 2020 (version PDF)
Description de la saisine
Le 20 février 2020, M. Pierre Schydlowski a saisi le CDJM à propos de l’article publié sur le site parismatch.com le 19 février 2020 et titré « Affaire Griveaux : les diaboliques en une de Paris Match ».
Cet article, en reproduisant la une de l’hebdomadaire Paris-Match où une photo montre M. Piotr Pavlenski au moment de son arrestation, le 15 février 2020, allongé sur le sol, la face contre terre, les mains menottées dans le dos, viole, à ses yeux, les règles déontologiques de respect de la vie privée et de respect de la dignité humaine.
M. Pierre Schydlowski saisit également le CDJM d’un éventuel délit pour non-respect de l’article 35ter de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose que « lorsqu’elle est réalisée sans l’accord de l’intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image d’une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale mais n’ayant pas fait l’objet d’un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu’elle est placée en détention provisoire, est punie de 15 000 € d’amende ».
Recevabilité
Le requérant demande au CDJM de se prononcer sur le respect de l’article 35ter de la loi du 29 juillet 1881. Or, une saisine doit porter sur « les raisons pour lesquelles la déontologie de l’information n’aurait pas été respectée » (article 2.3 du règlement intérieur du CDJM), la déontologie étant entendue comme les règles professionnelles décrites dans les textes cités à l’article 2.2 des statuts du CDJM.
Même si ces textes invitent fortement les journalistes à ne pas commettre de délit, le CDJM n’est pas un tribunal et n’a pas à se prononcer sur le respect de la loi. Il ne peut qu’émettre un avis sur la question déontologique. Il écarte donc cette partie de la saisine et déclare celle-ci partiellement recevable.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent que les journalistes « reconnai[ssent] le droit en vigueur dans chaque pays » (Déclaration de Munich, devoir n° 10), « reconnai[ssen]t le droit connu de chaque pays » (Charte d’éthique mondiale des journalistes, article 16), « répond[ent] devant la justice des délits prévus par la loi » (Charte d’éthique professionnelle des journalistes).
En outre, bien que la saisine ne se réfère pas explicitement à un texte déontologique précis, le CDJM considère que la simple mention des exigences de respect de la vie privée et de la dignité humaine renvoie aux textes stipulant que le journaliste « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence » (Charte d’éthique professionnelle des journalistes), « s’oblige à respecter la vie privée des personnes » (Déclaration de Munich, devoir n° 5), enfin que « le/la journaliste respectera la vie privée des personnes. Il/elle respectera la dignité des personnes citées et/ou représentées et informera les personnes interrogées que leurs propos et documents sont destinés à être publiés. Il/elle fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables » (Charte d’éthique mondiale des journalistes, article 8).
Réponse du média mis en cause
Le CDJM a adressé le 11 mars à M. Hervé Gattegno, directeur général des rédactions de Paris-Match et du JDD, et à M. Olivier Royant, directeur de la rédaction de Paris-Match, un courrier les informant de la recevabilité de la saisine et les invitant à faire connaître leurs observations sous un mois, comme le prévoit le règlement du CDJM. A la date du 11 avril, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Cependant, le CDJM a relevé, dans l’édition du 20 février du quotidien Libération, un article titré « Paris-Match a-t-il le droit de montrer Piotr Pavlenski menotté en une ? » qui contient cette déclaration de M. Hervé Gattegno : « Si la justice est saisie, on verra bien. Nous, on considère qu’il y a un devoir d’information supérieur à tout cela. Si ce débat doit avoir lieu devant un tribunal, il aura lieu. Mais nous, on assume ce que l’on a fait. »
Analyse du CDJM
La publication de la photo à la une de Paris-Match apporte une double information : l’arrestation de l’auteur présumé de la diffusion de vidéos intimes de M. Benjamin Griveaux, et la présence, en arrière-plan, de la compagne de M. Piotr Pavlenski dans une attitude de spectatrice extérieure à l’événement. Compte tenu de l’impact de cette affaire sur la vie politique française, ses développements, et notamment cette arrestation, sont d’intérêt public. La publication de cette photo (et d’autres en pages intérieures de Paris-Match) se justifie. Le grief de non-respect de la vie privée n’est pas fondé.
La publication de cette image de M. Piotr Pavlenski porte-t-elle atteinte à la dignité de ce dernier ? Cette photo de une de Paris-Match présente effectivement M. Piotr Pavlenski dans une situation d’infériorité, allongé sur le sol, la face contre terre, un policier l’enjambant pour le menotter.
Son visage n’est pas visible. Mais M. Piotr Pavlenski est identifiable par la titraille de la couverture du magazine. Si atteinte à la dignité il y a, elle n’est pas constituée par la publication de cette photo mais par la pratique policière elle-même, sur laquelle le CDJM n’a pas à se prononcer, mais dont la présentation au public fait partie du devoir d’information par les médias. Compte tenu de ces éléments, le CDJM estime que le grief de non-respect de la dignité humaine n’est, dans ce cas d’espèce, pas fondé.
Conclusion
Le CDJM réuni le 5 mai 2020 en séance plénière estime que la publication de cette photo ne viole pas le respect de la vie privée et ne porte pas atteinte à la dignité de la personne représentée.
La saisine est déclarée non fondée
Cette décision a été prise par consensus des membres présents.