Avis sur la saisine n° 25-109

Adopté en réunion plénière du 25 novembre 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 15 août 2025, M. Éric Lombard a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 16 juillet 2025 et titré : « Marco Mouly, “roi de l’arnaque” à la taxe carbone, extradé d’Italie vers la France mercredi ».

M. Lombard formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité et de non-rectification d’une erreur. Il estime que le titre fait un « amalgame » entre « taxe carbone », qui « n’existait pas à l’époque en France », et « fraude à la TVA sur les quotas de carbone », escroquerie pour laquelle M. Mouly a été condamné par la justice. M. Lombard a écrit le 17 juillet 2025 au Monde, mais, écrit-il, « le titre et le contenu de l’article [n’ont pas été] corrigés suite à mon signalement par mail ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

À propos de la rectification d’une erreur :

Réponse du média mis en cause

Le 15 septembre 2025, le CDJM a adressé à Mme Caroline Monnot, directrice de la rédaction au Monde, avec copie à M. Pierre Jaxel-Truer, chef du service Société, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 25 novembre 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

✦ L’article en cause est justifié par le retour en France de M. Marco Moully, condamné en son absence le 12 novembre 2024 à Paris à trois ans de prison pour avoir organisé son insolvabilité afin de ne pas rembourser ses dettes judiciaires. Le journaliste du Monde rappelle ses « multiples condamnations », notamment « à huit ans d’emprisonnement ainsi qu’à un million d’euros de dommages et intérêts dans l’affaire dite de la “taxe carbone”, vaste fraude à la TVA sur le marché des droits à polluer ».

Sur le grief d’inexactitude

✦ M. Éric Lombard rappelle qu’« il ne s’agit pas d’une escroquerie à la taxe carbone – la taxe carbone n’existait pas à l’époque en France – mais d’une fraude à la TVA sur les quotas de carbone. Cet amalgame, malheureusement fréquent dans la presse française, n’honore pas Le Monde et jette l’opprobre sur la taxe carbone ».

Pour le requérant, cette confusion terminologique « est d’autant plus grave que les archives du Monde sont accessibles en ligne et sont utilisées comme référence, en particulier par Wikipedia et les IA ». Il reconnaît « qu’une explication vient plus loin, mais bien tard, dans les dernières lignes de l’article ». Il souligne, dans le courriel au Monde demandant une rectification qu’il joint à sa saisine, que « la vidéo qui accompagne l’article porte quant à elle un titre adéquat ».

✦ L’expression « taxe carbone » figure effectivement sans guillemets dans le titre, ainsi que deux fois dans le corps de l’article. Elle figure aussi dans l’URL de l’article. L’expression « fraude à la TVA » figure une fois dans le corps de l’article. La vidéo que le requérant signale dans sa saisine comme contre-exemple porte en titre « comprendre l’affaire des quotas ». Mais si son commentaire off indique « c’est quoi la fraude à la TVA sur les quotas carbone », il reprend aussi une fois l’expression « l’escroquerie à la taxe carbone ».

✦ Le CDJM observe que la façon dont une affaire judiciaire ou un fait divers est nommé et identifié par les journalistes, les responsables politiques ou le public repose souvent sur une simplification. Il s’agit d’une commodité de langage pour rendre intelligible ce qui est complexe ou peu clair pour le grand public. Pour autant, en s’installant, cette dénomination prend la véracité de son sens. On parlera ainsi de l’affaire du Watergate et pas de l’affaire du cambriolage des locaux du parti démocrate, ou bien de l’affaire Bismuth (par exemple dans Le Figaro ou sur le site de France Culture) à propos de la condamnation de M. Sarkozy pour trafic d’influence et de corruption d’un magistrat.

Ainsi les affaires d’escroquerie à la TVA sur le marché des droits à polluer sont unanimement dénommées par les médias sous les titres suivants : « Marché CO2, casse du siècle », « Arnaque à la taxe carbone » ou « Escroquerie à la taxe carbone », « Affaire de la taxe carbone ». L’ensemble des médias emploie l’un de ces titres pour décrire et rendre de compte de ce phénomène de fraude à la TVA (lire par exemple ce titre du Monde reprenant une dépêche AFP en 2011), et ce compris des revues juridiques (par exemple cette analyse du site Legavox), alors que juridiquement cette affaire se dénomme « escroquerie en bande organisée à la taxe à la valeur ajoutée à l’occasion de la mise en œuvre du système européen d’allocation et d’échanges des quotas d’émissions de gaz à effet de serre (GES) », qui est la terminologie idoine pour décrire et nommer le mécanisme délictueux.

✦ Cette affaire est donc décrite depuis plus de quinze ans dans de nombreux médias et connue comme « affaire de la taxe carbone ». On peut déplorer l’inexactitude de cette formulation initiale, mais la poursuite de son usage et son emploi dans un titre ne peut pas être considérée comme une faute déontologique. Un titre doit retenir l’attention et indiquer au lecteur de quoi il s’agit. Y reprendre dans ce but une expression validée par l’usage peut se justifier, quand celle-ci ne comprend aucune atteinte à la dignité ou à la vie privée. On note que dans le cas d’espèce le titre est explicité par le journaliste dans le corps de l’article, qui indique qu’il s’agit d’une « vaste fraude à la TVA sur le marché des droits à polluer ».

On peut toutefois regretter que la typographie ferme les guillemets sans inclure toute l’expression retenue pour désigner M. Mouly par un surnom indiquant son délit. Plutôt que « Marco Mouly, “roi de l’arnaque” à la taxe carbone, extradé d’Italie vers la France mercredi », il eut été plus précis d’écrire « Marco Mouly, “roi de l’arnaque à la taxe carbone”, extradé d’Italie vers la France mercredi ».

Sur le grief de non-rectification d’une erreur

✦ Le requérant a écrit le 17 juillet 2025 au Monde pour demander à ce journal de « modifier [son] titre erroné qui jette l’opprobre sur la taxe carbone, alors que celle-ci n’a jamais fait l’objet de fraude ». Ce courriel n’a pas conduit Le Monde a modifier le titre en cause.

Considérant que le titre du Monde ne comporte pas de faute déontologique pour inexactitude et que les faits reprochés sont correctement décrits dans l’article, il estime ce grief infondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 25 novembre 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de véracité, et de rectification des erreurs, n’ont pas été enfreintes par Le Monde.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.