Adopté en réunion plénière du 4 novembre 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 11 juillet 2025, M. Antoine Humbert, agissant au nom du groupe SEB en qualité de directeur de la sûreté, a saisi le CDJM à propos d’un article publié par Yahoo ! Life le 11 juillet 2025 et titré : « Tefal – “C’est honteux”, “Je suis choqué par les révélations sur Tefal”, “C’est de l’arnaque ! Je suis vraiment en colère” : une nouvelle plainte déposée contre SEB pour pratique commerciale trompeuse ».
Le requérant, au nom du groupe SEB, saisit le Conseil pour non-respect de l’exactitude et de la véracité, absence d’offre de réplique, et absence de distinction entre faits et commentaires. Il dénonce notamment un « article partial sans respect du contradictoire et à charge » et reproche au média une « présentation partielle, voire inexacte, des éléments scientifiques » ainsi que des « approximations terminologiques et une tonalité globalement partisane ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos de l’exactitude et de la véracité :
- Le journaliste « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il veille à « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
À propos de la distinction entre faits et commentaires :
- Le journaliste défend, « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
À propos de l’offre de réplique :
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
Réponse du média mis en cause
Le 21 juillet 2025, le CDJM a adressé à Mme Levana Siboni, Head of News (« cheffe des informations ») de Yahoo ! France et Mme Carmen Barba, chargée de la rubrique Yahoo ! Life, avec copie à Mme Margot Pyckaert, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 5 août 2025, le département juridique de Yahoo International Limited a répondu au CDJM sur les trois griefs formulés par le requérant (lire ci-dessous), concluant ainsi son courrier : « Yahoo n’a donc aucunement l’intention de changer la ligne éditoriale qui fait le succès de son portail d’information, et maintient que l’angle, celui de la réaction des consommateurs, et son traitement, sont corrects ».
Analyse du CDJM
✦ L’article objet de la saisine rend compte de la plainte pour « pratique commerciale trompeuse » déposée le 9 juillet 2025 contre le groupe SEB par trois associations – l’une de défense des consommateurs (l’Association citoyenne et laïque des consommateurs), les deux autres de protection de l’environnement (Générations futures et France Nature Environnement). Ce recours vise la campagne publicitaire de la marque Tefal (appartenant à SEB), diffusée en 2024 pour ses ustensiles de cuisine et ses poêles, et dont le message était : « Nos revêtements antiadhésifs sont reconnus comme sûrs. » Il cible également des éléments de communication présents sur le site de la marque Tefal, assurant que « les études menées par les autorités de santé publique en Europe et aux États-Unis ont montré l’innocuité du PTFE » – le revêtement antiadhésif utilisé par la marque.
Dans son premier paragraphe, l’article informe du dépôt de la plainte, précisant l’objet de la plainte et les parties prenantes. Puis il reprend dans le deuxième paragraphe les arguments des trois associations, qui dénoncent notamment l’omission des risques pour l’environnement (par rejet de substances) et pour la santé : « Il est inadmissible de communiquer de cette manière alors que la santé des populations et de l’environnement est en jeu. »
Le troisième paragraphe s’ouvre par une citation de la défense de Tefal, avant d’évoquer des études scientifiques soulignant les dangers liés spécifiquement aux matériaux utilisés : « Bien que Tefal affirme que ses produits sont sûrs et exempts de PFOA (une substance désormais interdite en Europe), plusieurs études scientifiques pointent les risques liés aux particules et aux fumées dégagées lorsque ces poêles sont surchauffées ou usées. »
Les deux derniers paragraphes reprennent des citations de consommateurs, postées sur les réseaux sociaux suite au dépôt de cette plainte : ils se disent « choqué[s] », « en colère », et témoignent de leur inquiétude et de leur détournement de la marque et de ses ustensiles.
Sur les griefs d’inexactitude
À propos de l’utilisation du terme « téflon »
✦ Le groupe SEB dénonce l’utilisation dans l’article du mot « téflon » pour désigner le revêtement des ustensiles de cuisine concerné. Il explique ne pas utiliser « la marque Téflon™, qui est une marque déposée de Chemours », mais le composant antiadhésif polytétrafluoroéthylène, abrégé en PTFE.
Dans sa réponse, Yahoo ! note que « ce terme [est] un nom commun figurant dans le dictionnaire [Le Robert, ndlr] », à l’usage répandu dans la presse, avant d’en citer de nombreux exemples. Yahoo ! estime ainsi « légitime, dans un article destiné au grand public, d’expliquer que ce matériau est aussi connu sous le nom de “téflon” pour que tout lecteur identifie immédiatement de quoi il s’agit ».
Le CDJM constate, à l’instar du média, que le PTFE est le nom scientifique du téflon, comme l’explique une synthèse publiée sur le site de la Société chimique de France. Il estime que l’utilisation de ce terme, passé dans le langage courant, ne constitue pas une inexactitude.
Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité n’est pas fondé.
À propos de la dangerosité du polytétrafluoroéthylène
✦ Média et requérant s’opposent au sujet de la nocivité du polytétrafluoroéthylène, notamment sur le point de la température de surchauffe au-delà de laquelle ce revêtement serait dangereux. Selon l’article, « plusieurs études scientifiques pointent les risques liés aux particules et aux fumées dégagées lorsque ces poêles sont surchauffées ou usées ».
Le requérant signale qu’« aucune source [n’est indiquée] pour appuyer cette affirmation. Nous contestons cette présentation comme inexacte et non étayée ». « Certaines affirmations, comme celle indiquant que le PTFE se dégrade à 260 °C, sont contestables scientifiquement », poursuit M. Humbert pour SEB. « Selon l’INRS, les dégagements de substances toxiques par le PTFE apparaissent à partir de 350 °C, une température difficilement atteignable en usage domestique normal. En dessous de ce seuil, les données scientifiques disponibles ne permettent pas de conclure à un danger. »
Dans sa réponse, Yahoo ! estime qu’« il est des dangers qui sont connus de tous. Tel est le cas des dangers associés à une mauvaise utilisation de poêles antiadhésives, dont le public est informé depuis des années ». Le média note que le site Santé.fr, édité par le ministère de la Santé, proposait « un long article [aujourd’hui inaccessible, ndlr] qui rappelle d’ailleurs que les risques apparaissent à la surchauffe, au-delà de 250°C [et non seulement à partir de 350 °C, ndlr] ».
Sur la base de ces éléments, le CDJM considère que le débat autour de la dangerosité du polytétrafluoroéthylène relève d’une controverse scientifique et qu’il ne peut donc se prononcer (article 2.7 du règlement intérieur).
Sur le grief d’absence d’offre de réplique
✦ Concernant ce qu’il appelle « l’absence manifeste de contradictoire », M. Antoine Humbert souligne, au nom de la société SEB, que « l’article développe longuement les griefs portés par les associations plaignantes, mais n’intègre aucune réponse ni commentaire de la part du groupe SEB. Il n’est pas même précisé si ce dernier a été sollicité ».
Le CDJM constate qu’aucune mention d’offre de réplique n’apparaît dans l’article de Yahoo ! Life. Dans sa réponse, le média l’assume, estimant que la contradiction n’est pas « une exigence rigide à laquelle il ne serait jamais possible de déroger ». Il argumente ainsi : « Ce sujet a été publié le 11 juillet 2025, soit le lendemain de la publication du communiqué de presse de Générations Futures, qui a déposé plainte contre SEB pour pratique commerciale trompeuse, aux côtés de France Nature Environnement et de l’Association citoyenne et laïque des consommateurs. Or, non seulement l’auteur de l’article prend le soin de rappeler la position de Tefal (“Tefal affirme que ses produits sont sûrs et exempts de PFOA”) afin que les lecteurs disposent d’une information complète, [mais] il précise également que “si l’utilisation des poêles de la marque présente un faible risque immédiat pour les consommateurs, ici, c’est aussi et surtout la communication rassurante de SEB qui est remise en question”. »
Le CDJM estime que sur une question aussi sensible que la dangerosité des revêtements antiadhésifs, où les enjeux de santé sont importants et les arguments contradictoires nombreux, une offre de réplique était nécessaire. C’est d’autant plus vrai que des avis particulièrement critiques des internautes sont repris dans le titre (« honteux », « choqué », « arnaque », « colère »), non sourcés, ce qui confère à l’article une tonalité accusatoire.
Le grief d’absence d’offre de réplique est fondé.
Sur le grief d’absence de distinction entre commentaires et faits
✦ La société requérante estime que « l’article présente un ton accusatoire, à travers son choix de vocabulaire (“coup dur pour SEB”) et la mise en avant de témoignages exclusivement à charge. L’ensemble donne l’impression que le média prend position, au lieu d’adopter la neutralité attendue dans un traitement journalistique rigoureux ». Elle regrette « qu’aucune voix modératrice ou autre perspective ne soit introduite ».
Concernant l’expression « coup dur », le CDJM note qu’elle apparaît adaptée pour décrire une situation indésirable (être visé par une plainte). Quand bien même elle trahirait un « ton accusatoire », comme l’interprète la société requérante, le média est libre d’adopter un tel ton pour traiter à sa manière l’actualité rapportée.
Quant aux témoignages, ils sont présentés comme étant des citations d’internautes repérées sur les réseaux sociaux, et sont bien repris entre guillemets. Le choix, par l’auteure, de témoignages exclusivement à charge, relève là aussi de la liberté éditoriale du média.
Ces citations, même si elles ne font pas l’objet d’un texte distinct et séparé (comme dans le cas d’un encadré), sont reproduites dans deux paragraphes à la fin de l’article, après l’exposé des faits. L’article sépare ainsi suffisamment les faits et leur commentaire.
Le grief d’absence de distinction entre commentaires et faits est déclaré non fondé.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 4 novembre 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par Yahoo ! Life, ni celle de distinction entre faits et commentaires. Il estime en revanche que l’obligation d’offre de réplique n’a pas été respectée.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.
