Avis sur la saisine n° 25-069

Adopté en réunion plénière du 14 octobre 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 12 mai 2025, M. et Mme L. ont saisi le CDJM à propos d’une émission diffusée le 16 février 2025 sur BFM TV et titrée : « Affaire suivante : “Louise : que s’est-il passé à Épinay-sur-Orge ?” ». Les requérants dénoncent l’utilisation, sans « vérification des sources », de la photo de leur fils E., âgé de 15 ans, dans un sujet sur le meurtre de Louise, une enfant de 11 ans tuée à Epinay-sur-Orge le 7 février 2025. Cette photo est présentée comme étant celle du suspect arrêté quelques jours plus tôt.

Les requérants affirment que cette image a été diffusée « à plusieurs reprises » à l’antenne de BFM TV « et sur son site internet, diffusions accompagnées de légendes erronées ». Ils ajoutent que ces diffusions multiples ont porté atteinte à la vie privée de leur fils.

Enfin, ils considèrent qu’il y a altération d’un document, l’image utilisée étant, selon eux, « issue d’une photographie prise dans le cadre [des activités sportives de leur fils] au sein de son club de football », BFM TV ayant « utilisé une publication sportive montrant une équipe de jeunes footballeurs amateurs pour en faire le portrait d’un tueur, portrait évidemment mensonger ».

Recevabilité

Cette saisine est recevable au sens de l’article 1 du règlement intérieur du CDJM, qui précise dans son point 1.5 que « les saisines ne peuvent pas être anonymes ». Le Conseil a cependant décidé d’anonymiser, dans cet avis qu’il rend public, les requérants, ces derniers étant les parents du jeune homme dont la photo a été reproduite. E. est mineur et porte le nom de son père. Cette anonymisation s’impose dans le respect de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (article 39 bis) qui interdit de diffuser « des informations relatives à l’identité ou permettant l’identification […] d’un mineur victime d’une infraction ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
  • Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).
  • Il « tient la véracité, l’exactitude, l’intégrité, pour les piliers de l’action journalistique ; la déformation des faits, le détournement d’images, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Le/la journaliste ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux » selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

À propos de la rectification d’une erreur :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

À propos du respect de la vie privée :

À propos de l’altération d’un document :

Réponse du média mis en cause

Le 6 juin 2025, le CDJM a adressé à Mme Camille Langlade, directrice de la rédaction de BFM TV, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 14 octobre 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

✦ La saisine concerne « Affaire suivante », une émission d’une heure consacrée aux faits divers et diffusée le dimanche sur BFM TV. Elle est reprise sur le site internet de la chaîne, en direct puis sous forme de replay, en totalité et par segments. Elle est également accessible via des publications sur les réseaux sociaux.

Le 16 février 2025, l’émission démarre à 12 h 59. La première séquence est consacrée, pendant vingt-trois minutes, au meurtre de Louise, une enfant de 11 ans tuée à Epinay-sur-Orge, neuf jours plus tôt, le 7 février 2025. En introduction est diffusé, à 13 h, un sujet de 2 mn 1 s qui dresse le portrait d’Owen L., 23 ans, suspecté du meurtre, et arrêté six jours plus tôt, le lundi 10 février 2025.

À 1 mn 15 s après le début du portrait, apparaît pendant cinq secondes la photo d’un jeune homme, identifié par une incrustation située en bas à gauche de l’écran : « OWEN L. ». Une autre incrustation située en haut à gauche donne la source de l’image : « EXTRAIT DOC. LIGNE ROUGE. » Le commentaire, à ce moment-là, dit : « Dans son club de foot, certains se souviennent d’un coéquipier parfois menaçant. » Cette photo montre en fait le jeune E., 15 ans. Il est totalement étranger à cette affaire. C’est le fils des requérants.

Sur le grief de non-respect de la véracité et de l’exactitude

✦ L’ensemble des éléments constitutifs de la séquence, c’est-à-dire le texte du commentaire et les incrustations sur l’image, indique clairement et sans ambiguïté aux téléspectateurs que c’est une photo de Owen L. qui leur est montrée. Or cette photo ne représente pas la bonne personne, la chaîne BFM TV l’a reconnu.

À propos de la vérification du contenu et de l’origine du document

✦ La non-vérification de l’identité de la personne présente sur la photo ne peut en aucun cas s’expliquer par un manque de temps, puisque l’arrestation puis l’inculpation d’Owen L. ont eu lieu cinq jours plus tôt.

Contrairement à ce qu’indique l’incrustation (« EXTRAIT DOC. LIGNE ROUGE »), cette photo n’est pas issue du documentaire en question. « Ligne rouge » est un long format récurrent de BFM TV très souvent consacré à des faits divers. La première diffusion du documentaire « Louise, les mystères d’un crime insensé », d’une durée de 19 mn 46 s, a eu lieu le 14 février 2025 dans la soirée – soit deux jours avant le reportage objet de la saisine. Ce documentaire est toujours disponible sur le site de BFM TV et rien n’indique qu’il ait été modifié depuis sa mise en ligne. Il ne contient pas l’image du jeune E. : la mention de la source en incrustation est donc fausse.

La chaîne couvrait abondamment cette affaire depuis 9 jours. Elle disposait de plusieurs photos d’Owen L. qu’elle utilisait régulièrement, floutées ou non floutées (certaines apparaissent d’ailleurs dans le reportage objet de la saisine). En l’absence de réponse de la chaîne, rien ne permet de comprendre comment cette photo s’est retrouvée dans le reportage diffusé le dimanche.

À propos de la rectification de cette erreur par la chaîne

✦ Ce sont les requérants, alertés par des amis, qui ont contacté BFM TV vers 15 h le jour de la diffusion. Des échanges de SMS montrent que la demande de suppression de l’image de leur fils a été immédiatement prise en compte par la chaîne. Ainsi, à 16 h, la mère reçoit un SMS envoyé par son interlocutrice à la chaîne : « Juste pour vous assurer que tout a bien été supprimé. Au nom de toute la rédaction nous vous présentons encore toutes nos excuses. »

Cependant la photo est restée, postérieurement, visible sur au moins un replay accessible sur le site de la chaîne. Cela a obligé la famille à contacter à nouveau BFM TV vers 17 h 20, avec envoi du lien où la photo était présente.

À 18 h, la directrice de la rédaction, Mme Camille Langlade, envoie un SMS aux parents : « Au nom de toute la rédaction de BFM et de sa direction, je vous présente mes excuses pour cette erreur inadmissible. Tous les contenus ayant trait à cette photo ont été supprimés de nos réseaux sociaux, de notre site, ainsi que du replay. Je reste à votre entière disposition. »

✦ À la connaissance du CDJM, ’erreur n’a jamais été signalée, a posteriori, aux téléspectateurs sur l’antenne de BFM TV. Aucune indication ou explication n’est donnée sur le site de la chaîne sur l’absence de cette émission dans les replay disponibles

Le CDJM reconnaît que l’obligation déontologique de rectifier une erreur a bien été prise en compte par BFM TV, mais il constate que les délais d’exécution et la suppression – incomplète dans un premier temps –, ainsi que l’absence d’information du public, ne répondent pas aux exigences déontologiques.

La Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6) impose de rectifier « de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte ». S’agissant d’une erreur grave, la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques » précise que le média doit « présenter des excuses » aux téléspectateurs, et que, sur son site internet, les raisons de l’absence d’un élément habituellement disponible en replay doivent être expliquées.

Le grief de non-respect de la véracité et de l’exactitude est fondé.

Sur le grief d’atteinte à la vie privée

✦ L’utilisation de la photo d’un mineur, non floutée, sans autorisation des dépositaires de l’autorité parentale, enfreint toutes les règles légales et déontologiques.

  • Le jeune E. est totalement étranger à l’affaire, sauf qu’il habite la même commune que la victime et que sa famille connaît une partie des protagonistes.
  • L’absence de floutage rend le jeune homme reconnaissable par tous. Ce sont d’ailleurs des amis de la famille qui ont alerté les parents après avoir vu la diffusion de la photo de leur fils.

Le grief d’atteinte à la vie privée est fondé.

Sur le grief d’altération de document

✦ L’image, objet de la saisine, est une photo représentant une équipe de jeunes footballeurs amateurs. Elle est recadrée pour ne montrer que le visage du jeune E. L’image contient une incrustation de source « EXTRAIT DOC. LIGNE ROUGE » lui attribuant une valeur d’authenticité. Or cette image n’est pas extraite du documentaire « Ligne rouge » (lire ci-dessus).

Le CDJM considère qu’il a bien altération du document en voulant faire passer une simple publication sportive, par l’ajout de l’incrustation d’une source crédible, comme étant le portrait certifié d’Owen L., accusé du meurtre de Louise, 11 ans.

Le grief d’altération de document est fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 octobre 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de véracité et d’exactitude, de respect de la vie privée et de non altération de document n’ont pas été respectées par BFM TV dans l’utilisation de la photo de E. présenté comme étant Owen L.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.