Avis sur la saisine n° 25-055

Adopté en réunion plénière du 14 octobre 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 18 mai 2025, M. Antoine Srun, agissant en qualité de président de l’association Wikimédia France, a saisi le CDJM à propos d’un article publié sur le site du magazine Le Point le 18 février 2025 et titré : « Wikipédia contre Le Point : comment “l’encyclopédie libre” est devenue une machine à calomnier ».

L’organisation estime que l’auteur de l’article commet diverses inexactitudes en entretenant volontairement une confusion entre anonymat et pseudonymat ; en affirmant que, sur Wikipédia, les contributeurs répètent en boucle que Le Point ne « serait pas une source fiable » ; en soutenant que d’autres médias seraient favorisés par comparaison avec Le Point ; en affirmant que les contributeurs se veulent apolitiques alors qu’ils ne le sont pas ; en invoquant enfin des raisons jugées inexactes pour expliquer la décision d’un contributeur de Wikipédia, Malaria28, à quitter l’encyclopédie en ligne.

Elle considère en outre que l’auteur commet une faute déontologique en ayant recours à des méthodes déloyales dans le recueil d’informations et fait montre d’une intention de nuire quand il menace de dévoiler de l’identité d’un contributeur de Wikipédia particulièrement critique vis-à-vis du Point.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos de l’utilisation de méthodes déloyales et d’intention de nuire :

  • Il « n’utilisera pas de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des images, des documents et des données […], fera toujours état de sa qualité de journaliste et s’interdira de recourir à des enregistrements cachés d’images et de sons, sauf si le recueil d’informations d’intérêt général s’avère manifestement impossible ». Il « revendiquera le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits d’intérêt public », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 4).
  • Il n’use pas « de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 4).
  • Il « proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources ou la gravité des faits l’obligent à taire sa qualité de journaliste, il prévient sa hiérarchie et en donne dès que possible explication au public », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).

Réponse du média mis en cause

Le 23 mai 2025, le CDJM a adressé à Mme Valérie Toranian, directrice de la rédaction du Point, avec copie à M. Erwan Seznec, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 14 octobre 2025 aucune réponse n’est parvenue au CDJM, M. Erwan Seznec ayant toutefois adressé un courriel au CDJM le 23 mai 2025 pour rappeler sa position de principe de ne pas lui répondre.

Analyse du CDJM

✦ L’article du site Le Point mis en cause, qui fait suite à plusieurs articles antérieurs, s’inscrit dans un contexte de polémique entre l’encyclopédie collaborative et le magazine. Comme l’indique son titre, « Wikipédia contre Le Point : comment “l’encyclopédie libre” est devenue une machine à calomnier », ce texte accuse Wikipédia de partialité et de dénigrement systématique de l’hebdomadaire par des contributeurs supposément politisés et réfugiés derrière la règle du pseudonymat. Il conteste en outre vigoureusement le positionnement politique que ces contributeurs imputeraient au magazine.

Sur le non-respect de la véracité et de l’exactitude

✦ L’association requérante fait valoir que « l’article prétend que “sur Wikipédia, les contributeurs répètent en boucle que Le Point ne serait pas une source fiable ». Elle argumente ainsi :

« Il n’y a eu que deux discussions de la communauté afin d’évaluer la fiabilité du journal : la première en 2022, la seconde en 2024. M. Seznec était d’ailleurs largement intervenu dans ces débats. Dans les deux cas, certains contributeurs ont questionné la fiabilité de cette source, mais la communauté n’a jamais conclu que Le Point, qui est cité 26 035 fois sur Wikipédia, n’était pas une source fiable. Les discussions portant sur la fiabilité et la qualité des sources font partie du fonctionnement normal d’une encyclopédie. Mais contrairement à ce qu’affirme l’article, les contributeurs ne “répètent” pas “en boucle” que Le Point ne serait pas une source fiable.

« L’article amalgame les doutes personnels de certains contributeurs sur la fiabilité du Point avec l’opinion générale de la communauté : si “des” contributeurs ont pu émettre des doutes sur la fiabilité du Point comme source encyclopédique, “les” contributeurs, dans leur ensemble, n’ont pas considéré, à ce jour, que Le Point ne constituait pas une source fiable.

« L’article présente Le Point, en opposition à d’autres médias, en citant quelques exemples qui feraient prétendument l’objet d’un régime de faveur. Or, il suffit de consulter l’Observatoire des sources, qui recense celles “qui ont fait l’objet de discussions, au sein de la communauté”, pour constater qu’au moins quatre des six exemples donnés ont, à l’instar du Point, fait l’objet de discussions de la communauté. »

✦ Le CDJM considère que la question du caractère systématique ou ponctuel de la mise en cause, dans Wikipedia, de la fiabilité du magazine comme source d’information, comme celle de déterminer si d’autre titres de presse bénéficient dans cette encyclopédie d’appréciations plus favorables sur la base d’une orientation politique particulière, relèvent d’un légitime débat contradictoire.

Dans cette perspective, la plupart des affirmations de l’article, quand bien même elles se présentent comme un plaidoyer pro domo de la fiabilité du magazine, constituent des appréciations qui relèvent de la liberté éditoriale.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité n’est pas fondé.

✦ S’agissant de la clôture du compte de contribution à Wikipedia « Malaria28 », l’article du Point indique que « […] l’anonymat a des visées moins nobles. Il permet à des wikipédiens bannis pour non-respect des règles internes de rester dans le circuit. Exemple : “Chouette Bougonne”, ex-“Malaria28”, à l’œuvre contre Le Point, connue de la communauté depuis des années pour ses excès de zèle et qui s’est recréée un compte ».

Le requérant précise que « le compte de Malaria28 a été bloqué (et non banni) à sa propre demande ». Le titulaire du compte « Malaria28 » a demandé à être sorti de la liste des contributeurs Wikipédia en raison de « menaces concernant [son] intégrité physique », ainsi qu’on peut le lire le 18 février 2022 – soit plus de trois ans avant l’article qui fait l’objet de la saisine – dans les requêtes aux administrateurs Wikipédia. L’auteur de l’article pouvait en prendre connaissance, l’affirmation sur ce point précis contenue dans l’article est donc bien inexacte.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité est fondé.

Sur le grief de méthode déloyale et d’intention de nuire

✦ Le requérant souligne que « l’article relate le message que son auteur indique avoir adressé le 15 février 2025 à la personne qu’il supposait être le contributeur “FredD”. Ce message menaçait celui-ci de révéler son identité supposée, sa fonction supposée, d’intenter une action en justice à son encontre, ainsi que d’informer son employeur supposé ». Il en déduit, citant les textes déontologiques auquel le CDJM se réfère, que « les termes, le ton et le contexte de ce message caractérisent une “intention de nuire”, un “moyen déloyal”, une confusion du rôle de l’auteur “avec celui du policier ou du juge” et une méconnaissance de la vie privée du destinataire du message ».

Le CDJM constate qu’en effet, l’auteur fait lui-même mention, dans son article, des courriels qu’il a adressés à l’un des contributeurs de Wikipédia. Dans le premier, daté du 15 février 2025 à 17 h 38, il sollicite de son interlocuteur une vérification d’identité. Le message se termine par : « Si c’est une coïncidence, veuillez m’excuser de vous avoir dérangé pour rien. »

Une heure et seize minutes plus tard seulement, en l’absence de réponse, le ton change et se fait menaçant dans un nouveau message, également reproduit dans l’article. Il commence par informer le contributeur de procédures judiciaires possibles : « Nos avocats examinaient depuis des semaines les suites à donner au harcèlement coordonné dont Le Point est la cible. » Puis l’auteur menace : « Nous allons faire un article sur vous, sur notre site, en donnant votre identité, votre fonction, en sollicitant une réaction officielle de [nom de ses derniers employeurs connu du contributeur FredD, ndlr]. » M. Seznec fixe ensuite un ultimatum au lundi suivant à midi pour obtenir une réponse.

Le CDJM considère que le ton utilisé par l’auteur n’est pas en adéquation avec la prudence qu’on est en droit d’attendre d’un journaliste, et que le recours à des menaces de divulgation d’informations confidentielles, quels que puissent être les griefs du magazine à l’encontre de son interlocuteur, caractérise une méthode déloyale et une intention de nuire.

La saisine est déclarée fondée sur ces griefs.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 octobre 2025 en séance plénière, considère que l’obligation déontologique d’exactitude n’a pas été respectée par Le Point dans un des deux points soulevés par le requérant, que le grief d’utilisation de méthodes déloyales et d’intention de nuire est fondé.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.