Avis sur la saisine n° 25-045

Adopté en réunion plénière du 9 septembre 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 5 mai 2025, M. Mehdi Benmakhlouf a saisi le CDJM à propos d’un article publié dans le numéro du 23 avril 2025 de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, également disponible en ligne sous le titre « Marseille : la police municipale sous ingérence ? ».

M. Benmakhlouf, policier municipal cité dans l’article en cause, formule trois griefs. Il considère d’abord que l’obligation d’exactitude et de véracité n’a pas été respecté dans cinq passages de l’article, concernant la perception de « primes indues » puis son rôle supposé dans leur attribution aux différents services de la police municipale, l’utilisation d’un gyrophare sur un véhicule personnel, une suspicion de favoritisme lors d’un avancement, enfin une affectation d’un collègue présenté comme victime du favoritisme dont il aurait profité.

Il estime ensuite que l’obligation d’offre de réplique n’a pas été respectée, expliquant qu’il n’a pas été contacté par l’auteur de l’article avant parution. Il considère enfin qu’un passage du texte relève de la discrimination « en lien avec une origine ou une appartenance religieuse supposée ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Il veille « à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés » et fait son possible « pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 9).
  • Lire également la recommandation du CDJM sur le traitement des faits divers.

À propos du respect de l’offre de réplique :

  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

À propos de la propagation de haine et de discrimination :

Réponse du média mis en cause

Le 23 mai 2025, le CDJM a adressé à M. Denis Tugdual, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, avec copie à M. Nicolas Boutin, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 9 septembre 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause, signé par M. Nicolas Boutin, est titré « Marseille : la police municipale sous ingérence ? ». Il présente, sur quatre pages, une enquête sur la situation dans la police municipale de Marseille. Le titre est suivi d’un chapô (texte introductif) : « Propos antisémites sur les réseaux sociaux, soutien partisan et intimidations. La police municipale de la cité phocéenne est-elle sous la coupe d’une bande des quartiers nord ? »

L’article explore les tensions internes et évoque des soupçons de communautarisme : « Le sujet est sensible. L’omerta plane sur la cité. “On voit une mafia se créer au sein de la police municipale”, affirme un policier. Parmi ses collègues, le clan désigné serait même surnommé la “DZ PM”, en référence à la bande de narcotrafiquants DZ Mafia. »

S’ensuit le portrait de trois personnes, membres supposés de ce « clan ». Ils sont nommément cités. Ils ont tous les trois, individuellement, saisi le CDJM. Cette saisine 25-045 a été déposée par M. Mehdi Benmakhlouf. Les deux autres saisines sont la 25-044 déposée par M. Aomar Saoudi et la 25-048 déposée par M. Ahmed Jaoui.

Ces trois saisines ont été instruites indépendamment.

Sur le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité

À propos de l’attribution de primes

M. Boutin écrit qu’il vaut mieux « être du côté de Mehdi Benmakhlouf que contre lui. Lors de la renégociation des régimes indemnitaires, à l’automne dernier, des primes différentes ont été accordées à certains équipages. L’équipe de nuit, à laquelle il a appartenu, a bénéficié d’un coup de pouce de 600 euros sur la prime variable, tandis que la brigade maritime, dirigée par une de ses proches, a empoché 400 euros. Pour les équipes de jour ? Pas de majoration, alors que, rappellent les syndicats, “le risque ne connaît pas de limite dans l’espace et dans le temps” ».

M. Mehdi Benmakhlouf affirme, d’une part, que cette formulation « [l’accuse] de manière indirecte, d’avoir bénéficié de primes indues ou d’un favoritisme hiérarchique, sans qu’aucune preuve ne soit apportée ». D’autre part, il estime qu’il est « totalement faux » de le présenter comme ayant « un rôle dans la gestion des régimes indemnitaires et des primes » ; il affirme que « ce sujet a été traité exclusivement par la direction des ressources humaines, en lien avec les organisations syndicales et la directrice de la police municipale ».

➔ Sur le premier point, le CDJM constate que M. Boutin ne fait pas mention de primes qui seraient indues, ni de favoritisme hiérarchique, comme l’écrit le requérant. Le journaliste mentionne un traitement différencié pour les équipes de nuit et de jour, sans affirmer que c’est le fait de M. Benmakhlouf. Il n’y a pas d’inexactitude.

Sur le second point, l’auteur de l’article a omis une information essentielle expliquant la différence dans l’attribution des primes aux policiers municipaux – qui est facilement accessible pour qui s’intéresse au sujet. Le traitement différencié des primes pour les équipes de nuit et de jour découle d’un décret national du 26 juin 2024 instaurant un nouveau régime indemnitaire. Cette réforme a suscité des grèves dans différentes villes, dont Marseille. On ne peut donc laisser entendre que la différence de traitement est imputable à M. Benmakhlouf.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude est fondé.

À propos de l’utilisation d’un véhicule

M. Boutin écrit que M. Benmakhlouf « a intégré la police municipale en 2002 et a gravi les échelons jusqu’à devenir l’un des bras droits de la directrice et ancienne gendarme, Céline Lefléfian. De quoi se donner le droit de rouler gyrophare allumé avec son véhicule personnel, une Renault Arkana, comme l’aurait constaté un représentant de l’État bloqué dans les embouteillages ? »

Dans son courrier au CDJM, le requérant dément « utiliser [son] véhicule personnel (Renault Arkana) pour mes missions » et « y [avoir] installé un gyrophare ». Il écrit : « C’est faux. Il s’agit d’un véhicule de service mis à ma disposition dans le cadre de mes fonctions. »

➔ Ce désaccord sur la nature du véhicule – « personnel » pour le journaliste, « de service » pour le requérant – n’est pas anodin. Utiliser un gyrophare sur un véhicule banalisé de service n’est pas incompatible avec les règles d’exercice des missions de la police municipale. L’utiliser sur un véhicule personnel n’est pas autorisé.

Le fait décrit repose sur un unique témoignage anonyme. Il a vraisemblablement été rapporté par un tiers au journaliste, puisqu’il est écrit qu’un représentant de l’État « aurait constaté » l’usage du gyrophare sur un véhicule personnel. Si cette source avait raconté elle-même ce qu’il a vu au journaliste, celui-ci aurait écrit « comme l’a constaté ».

Il y a un manque de prudence, soit par reprise d’une source secondaire non recoupée, soit par citation d’une source primaire qui n’est pas sûre d’elle-même. Le point d’interrogation qui termine le paragraphe en cause laisse à dessein un doute sur la réalité de cette utilisation du gyrophare sur un véhicule personnel. Mais le fait n’est pas démontré.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude est fondé.

À propos de l’avancement de M. Benmakhlouf

M. Boutin indique dans l’article de Valeurs actuelles que « malgré son grade de brigadier-chef principal, Mehdi Benmakhlouf est arrivé “premier des candidats passés devant le jury”, assure-t-on à la Mairie. L’un de ses concurrents, donné favori après avoir passé le concours pour obtenir le grade de directeur, est recasé à la direction des parcs et des jardins ».

M. Benmakhlouf précise dans sa saisine « qu’il n’est pas “brigadier-chef principal” comme indiqué dans l’article, mais que « [son] grade est chef de service de police municipale ». Il estime que « cette erreur sert à étayer la thèse selon laquelle [il aurait] été favorisé au détriment d’un collègue présenté comme lauréat du concours de directeur de police municipale ». Il argue que « ce collègue a obtenu ce concours plusieurs mois après nos prises de fonctions respectives, et n’a jamais candidaté au poste que j’occupe actuellement, [mais à] un poste de responsable de la base centre, un poste placé sous mon commandement ».

➔ Le CDJM observe que « chef de service » n’est pas un grade, mais une fonction. M. Mehdi Benmakhlouf peut être brigadier chef principal ET chef de service. S’il y a une erreur, elle est minime et ne modifie pas substantiellement le sens de l’information rapportée. En outre, il n’est pas écrit explicitement par le journaliste que M. Benmakhlouf a bénéficié de favoritisme.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude n’est pas fondé.

À propos du poste obtenu par un collègue de M. Benmakhlouf

On lit dans l’article de Valeurs actuelles que « malgré son grade de brigadier-chef principal, Mehdi Benmakhlouf est arrivé “premier des candidats passés devant le jury”, assure-t-on à la Mairie. L’un de ses concurrents, donné favori après avoir passé le concours pour obtenir le grade de directeur, est recasé à la direction des parcs et des jardins. »

Dans sa saisine, le requérant indique que « ce collègue n’est pas affecté à la direction des parcs et jardins, comme affirmé dans l’article, mais au sein du pôle environnement de la police municipale ».

➔ La distinction entre le « pôle environnement de la police municipale » et « la direction des parcs et jardins » est importante. Le premier est une unité de police, comme le présente le site de la ville de Marseille, chargée notamment de la lutte contre les dépôts sauvages. La direction des parcs et jardins – récemment renommée direction de la nature en ville, comme le rapporte le même site – a des missions de développement et d’entretien des espaces verts de la ville. Ce sont deux secteurs d’activité bien différents.

Écrire qu’un policier municipal est « est recasé à la direction des parcs et des jardins » signifie qu’il a été « mis au placard » dans une autre direction des services municipaux, et laisse penser qu’il n’est plus dans la police municipale. Le journaliste force le trait pour accréditer l’idée d’une sanction.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude est fondé.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

Au regard des mises en cause de M. Benmakhlouf sur la foi de témoignages anonymes, qui jettent la suspicion sur sa probité, il était nécessaire de lui proposer de répondre à ces accusations avant publication.

Concernant un autre policier cité dans l’article, M. Boutin écrit : « Sollicité, Aomar Sadoudi a écourté notre appel » (lire l’avis 25-044 du CDJM). Mais dans le cas de M. Benmakhlouf, il n’est nulle part indiqué que le journaliste l’a contacté ou tenté de le contacter.

Le grief d’absence d’offre de réplique est fondé.

Sur le grief de propagation de haine et de discrimination 

➔ M. Benmakhlouf considère que l’article comporte des « insinuations discriminatoires ». Il estime que le journaliste « évoque également une prétendue “coopération communautaire” autour de [sa] personne, sans le moindre fondement factuel. Ce type de formulation contribue à une construction stigmatisante, fondée sur [son]origine supposée ».

Il ajoute que « l’article emploie en outre des expressions telles que “DZ PM” ou “clan islamo-communautaire”, qui visent à [le] désigner de façon détournée, en lien avec une origine ou une appartenance religieuse supposée. Ces termes sont discriminatoires et n’ont aucun rapport avec [ses]fonctions professionnelles ».

➔ Le passage en cause de l’article est le suivant :

« Un policier municipal confirme : “La nuit avait pour réputation d’être réservée à la cooptation communautaire”, révèle-t-il. Certains non-musulmans seraient “mis à l’écart” de l’équipe, voire “harcelés”, poursuit l’agent. Aucun signalement en ce sens n’a été remonté jusqu’à présent à la hiérarchie. Le sujet est sensible. L’omerta plane sur la cité. “On voit une mafia se créer au sein de la police municipale”, affirme un policier. Parmi ses collègues, le clan désigné serait même surnommé la “DZ PM”, en référence à la bande de narcotrafiquants DZ Mafia. Pointé du doigt, Mehdi Benmakhlouf, renommé “Mehdi Benalla” par certains, est responsable du pôle proximité, en charge “de la totalité des unités opérationnelles et la déclinaison de la sectorisation”, annonce-t-il sur sa page LinkedIn. »

➔ Le CDJM note d’abord que les expressions « coopération communautaire » et « clan islamo-communautaire », citées par le requérant, ne figurent pas dans l’article de Valeurs actuelles. On y trouve par contre l’expression « cooptation communautaire », qui est une citation anonymisée d’un « policier municipal », lequel n’affirme pas, mais invoque une « réputation ». Serait-elle fondée que cette expression ne relèverait pas de la discrimination, à moins de considérer qu’évoquer la cooptation des Savoyards de l’Hôtel Drouot à Paris ou des employées de maison espagnoles dans les années 60 relève aussi d’une discrimination. M. Benmakhlouf n’est pas cité dans ce passage, qui décrit le sentiment que portent les personnes interrogées sur la situation.

Il l’est par contre par dans l’évocation du surnom « Mehdi Benalla ». Cependant, l’allusion à l’ancien conseiller de M. Emmanuel Macron renvoie à une certaine façon d’exercer l’action de la police, pas à un aspect religieux ou communautaire.

Enfin, l’acronyme « DZ PM » est mis dans la bouche de certains collègues des policiers désignés, dont M. Benmakhlouf. Les deux lettres DZ désignent l’Algérie dans la codification internationale des pays. Cette désignation est issue des mots « Dzayer », « Dzaïr » ou « Al-Djazâ’ir » qui désignent l’Algérie en langue arabe ou berbère. L’expression « DZ Mafia » renvoie, selon les experts, à l’Algérie – le magazine Jeune Afrique rapporte aussi l’origine du visuel utilisé par cette organisation criminelle : « Un graffeur leur dessine même un emblème à partir de l’un des animaux symboles du pays : un fennec. »

L’analogie entre DZ Mafia et DZ PM ne renvoie donc pas forcément à une « appartenance religieuse », comme l’écrit le requérant, et laisse plutôt entendre une origine algérienne. Mais cela n’est pas explicitement écrit. De plus, ce « surnom » n’est pas utilisé par le journaliste lui-même mais attribué, au conditionnel et sans éléments attestant de son utilisation réelle, à des collègues anonymes des policiers.

L’article donne une grande importance à ce qui relève de la plaisanterie xénophobe ou exprimant une hostilité latente envers l’islam, « plaisanterie » regrettable qui peut traduire d’abord une rivalité exacerbée entre collègues. C’est un choix éditorial, par définition discutable, mais pas une discrimination à l’encontre de M. Benmakhlouf.

Le grief de propagation de haine et de discrimination n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 9 septembre 2025 en séance plénière, estime que Valeurs actuelles a enfreint l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité sur trois des cinq points soulevés par le requérant, ainsi que celle d’offre de réplique, mais n’a pas enfreint les dispostions des chartes concernant la propagation de la haine et de la discrimination.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus sur les deux premiers griefs, et à l’issue d’un vote portant sur la propagation de la haine et de la discrimination par 13 voix contre et 12 pour.