Adopté en réunion plénière du 9 septembre 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 5 mai 2025, M. Aomar Sadoudi a saisi le CDJM à propos d’un article publié dans le numéro du 23 avril 2025 de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, également disponible en ligne sous le titre « Marseille : la police municipale sous ingérence ? ».
M. Sadoudi formule d’abord le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité. Il relève plusieurs erreurs le concernant à propos de son parcours professionnel et de sa situation personnelle. Il estime qu’il est inexact d’affirmer « que personne ne saurait quelles sont exactement [ses] missions », qu’il est erroné de lui attribuer un parcours « chaotique », d’affirmer « que [son] aventure entrepreneuriale [la gérance d’un débit de boissons, ndlr] se serait conclue par une faillite ».
À propos de de l’hypothèse selon laquelle il serait « le dirigeant d’une société de sécurité privée », M. Saoudi affirme n’avoir « jamais exercé d’activité via cette société » bien qu’il « [avait] entamé des démarches » afin de la lancer.
M. Sadoudi nie qu’il aurait « rallié le groupe “Printemps marseillais” [qui a présenté une liste d’union de la gauche aux municipales de 2020, ndlr] », précisant qu’« à ce jour, [il] n’adhère à aucun parti politique ».
Le requérant dénonce, par ailleurs, l’absence d’offre de réplique et il estime que l’article comporte des « insinuations discriminatoires » et « des présentations orientées ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
- Il veille « à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés » et fait son possible « pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 9).
À propos de la recherche du contradictoire :
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
À propos de la propagation de haine et de discrimination :
Réponse du média mis en cause
Le 23 mai 2025, le CDJM a adressé à M. Denis Tugdual, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, avec copie à M. Nicolas Boutin, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 9 septembre 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article en cause, signé par M. Nicolas Boutin, est titré « Marseille : la police municipale sous ingérence ? ». Il présente, sur quatre pages, une enquête sur la situation dans la police municipale de Marseille. Le titre est suivi d’un chapô (texte introductif) : « Propos antisémites sur les réseaux sociaux, soutien partisan et intimidations. La police municipale de la cité phocéenne est-elle sous la coupe d’une bande des quartiers nord ? »
L’article explore les tensions internes et évoque des soupçons de communautarisme : « Le sujet est sensible. L’omerta plane sur la cité. “On voit une mafia se créer au sein de la police municipale”, affirme un policier. Parmi ses collègues, le clan désigné serait même surnommé la “DZ PM”, en référence à la bande de narcotrafiquants DZ Mafia. »
S’ensuit le portrait de trois personnes, membres supposés de ce « clan ». Ils sont nommément cités. Ils ont tous les trois, individuellement, saisi le CDJM. Cette saisine 25-044 a été déposée par M. Aomar Saoudi. Les deux autres saisines sont la 25-045 déposée par M. Mehdi Benmakhlouf et la 25-048 déposée par M. Ahmed Jaoui. Les trois saisines ont été traitées indépendamment.
Sur le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité
➔ Concernant sa situation professionnelle actuelle, le requérant, M. Sadoudi, explique qu’il est inexact de le présenter « comme récemment promu à un poste d’encadrement. Je suis en poste depuis plusieurs années, écrit-il, je travaille pour la ville de Marseille depuis le 4 décembre 2002, soit depuis plus de vingt ans. Je me suis mis temporairement à disposition de mon administration afin de tenter une activité commerciale, que je n’ai finalement pas souhaité poursuivre ». Il ajoute que « l’article affirme que personne ne saurait quelles sont exactement mes missions » et répond que « la mairie de Marseille a apporté une réponse claire à ce sujet : “Il pilote les créations de postes de proximité.” ».
Le CDJM constate que dans sa saisine, M. Sadoudi confirme qu’après une mise en disponibilité temporaire, il est actuellement chargé de mission auprès de la direction de la police municipale. Les termes repris de la réponse du service de presse de la municipalité (« Il pilote les créations de postes de proximité ») sont exacts.
Dans son article, le journaliste ajoute : « Quatre ouvertures sont en projet dans la cité phocéenne. Si officiellement, Sadoudi n’a pas de rôle managérial ou décisionnel sur la gestion du personnel, des agents constatent son influence grandissante. De là à en faire le numéro trois de la hiérarchie ? » Si le CDJM regrette l’utilisation de la forme interrogative, qui suggère sans l’affirmer clairement un rôle de « numéro trois », il ne constate pas d’inexactitude concernant la situation professionnelle actuelle de M. Sadoudi.
➔ Concernant son passé professionnel, le requérant affirme : « Le journaliste qualifie mon parcours professionnel de “chaotique” et affirme que mon aventure entrepreneuriale se serait conclue par une faillite. C’est une présentation totalement erronée. En réalité, j’étais en location-gérance d’un établissement, et je n’ai pas souhaité lever l’option d’achat du fonds de commerce, d’une valeur de 220 000 euros. Le propriétaire a donc récupéré la gestion de son bien. Ces informations sont facilement vérifiables. »
Dans l’article, il est précisément écrit : « Le parcours professionnel d’Aomar Sadoudi est chaotique. Après un premier passage à la police municipale, il a dirigé un débit de boissons, le Bar de l’Arrêt, situé 71, avenue Saint-Antoine, dans le XVe arrondissement de Marseille. Selon nos informations, cette aventure entrepreneuriale se serait conclue par une faillite et il aurait transféré sa licence. »
Même si on peut la juger excessive, pour le CDJM, l’utilisation du terme “chaotique” pour décrire le parcours professionnel de M.Sadoudi, qui s’est mis en disponibilité pour diriger un débit de boissons avant de revenir dans la police municipale, est une appréciation qui relève de la liberté rédactionnelle du journaliste.
Concernant la supposée faillite, le CDJM remarque que la simple consultation des nombreuses bases de données d’entreprises, comme par exemple L’annuaire des entreprises, permet de constater en quelques secondes que l’entreprise en question (Bar de l’Arrêt, SAS dont le président est Aomar Sadoudi) est toujours en activité et n’a fait l’objet d’aucune procédure. La formule « selon nos informations, cette aventure entrepreneuriale se serait conclue par une faillite » suggère un travail d’enquête. L’utilisation du conditionnel ne peut exonérer le journaliste d’une vérification aussi simple à effectuer. Sur ce point, il y a non-respect de l’exactitude et de la véracité.
➔ Concernant l’évocation, dans l’article, de la société MGR Sécurité dont M. Sadoudi « est le dirigeant ». Le requérant affirme n’avoir « jamais exercé d’activité via cette société » et que « le service presse de la mairie a pourtant précisé que j’avais entamé des démarches pour l’immatriculation de cette société, sans aller au bout de la procédure d’agrément auprès du CNAPS, car je prévoyais de réintégrer mes fonctions dans l’administration ».
L’extrait contesté de l’article est le suivant : « Il apparaît également sur Societe.com, un site d’information sur les entreprises, qu’il [M. Sadoudi] est le dirigeant d’une société de sécurité privée, MGR Sécurité, depuis le 26 septembre 2023. Elle est spécialisée dans la protection des biens, des personnes et des sites sensibles, la gestion des risques, la sécurité événementielle et le transport sécurisé. Du côté de la Mairie, on nie l’existence de cette structure, en dépit de son inscription sur le site. Une activité, si elle est avérée, incompatible avec son poste actuel. »
Le CDJM constate que la société MGR Sécurité, dont M. Sadoudi est l’actionnaire, existe et qu’elle était officiellement active à la date de l’article (c’est-à-dire susceptible d’avoir une activité). En l’absence de réponse du média, le CDJM ne peut pas trancher sur le contenu exact de la réponse du service de presse. A-t-il nié « l’existence de cette société », ce qu’écrit le journaliste, ou a-t-il évoqué « des démarches pour l’immatriculation de cette société, sans aller au bout de la procédure d’agrément », ce qu’écrit le requérant ? Le journaliste ne commet pas une erreur en évoquant l’existence de cette société (qui a depuis été liquidée, en date du 27 août 2025).
➔ Concernant l’évocation de son parcours politique, M. Sadoudi s’inscrit en faux contre l’affirmation selon laquelle il n’aurait pas « laissé un souvenir impérissable, selon l’un de ses ex-collègues, décrivant un homme “virulent” » et dénonce des « affirmations mensongères [qui] reposent sur des sources non identifiées ». Il dément avoir rallié le groupe Printemps marseillais, « ce qui est totalement faux » et écrit qu’« à ce jour, [il] n’adhère à aucun parti politique ».
Le CDJM constate que le témoignage est sourcé, « un de ces ex-collègues » et le mot « virulent » est une citation entre guillemets. Par ailleurs, l’activité de M. Sadoudi sur les réseaux sociaux montre qu’il est clairement proche du Printemps marseillais. Il n’y a donc pas d’inexactitude.
Sur le grief d’absence d’offre de réplique
➔ Le CDJM constate que, dans l’article, le journaliste écrit : « Sollicité, Aomar Sadoudi a écourté notre appel ». Le requérant a donc été sollicité pour donner son point de vue. Le journaliste n’est pas responsable de la volonté de M. Sadoudi d’écourter l’appel. Le grief d’absence d’offre de réplique est donc non fondé.
Sur le grief de propagation de la discrimination
➔ Le requérant évoque dans sa saisine des « insinuations discriminatoires » le concernant sans préciser les passages de l’article concernés. Malgré la relance du CDJM, après le dépôt de sa saisine, M. Sadoudi n’a pas explicité ce grief avec des citations précises. Le CDJM a procédé à l’analyse des passages de l’article le concernant et n’a pas trouvé d’élements démontant une volonté de propagation de la discrimination de la part du journaliste.
Conclusion
Le CDJM réuni le 9 septembre 2025 en séance plénière estime que l’article comprend au moins une inexactitude concernant une prétendue faillite d’une entreprise du requérant. Il considère, en revanche, que l’offre de réplique a été respectée et que l’article n’incite pas à la discrimination envers le requérant.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.