Avis sur la saisine n° 25-049

Adopté en réunion plénière du 22 juillet 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 8 mai 2025, M. Charles-Marie Portelli a saisi le CDJM à propos du contenu d’un article publié par Le Canard Enchaîné dans l’édition du 19 février 2025, également disponible sur le site de l’hebdomadaire sous le titre « Gaza année zéro ». Le requérant déplore que le chiffre de « 48 000 morts » du côté palestinien en « quatorze mois de guerre » ne soit pas sourcé par l’auteur.

M. Portelli demande ainsi : « Sans nier à aucun moment les faits, à savoir que les bombardements de Netanyahou ont certainement tué de très nombreux Gazaouis, d’où ce chiffre de 48 000 sort-il ? » Il affirme au CDJM avoir posé la question par e-mail à la rédaction à plusieurs reprises sans obtenir de réponse.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

Réponse du média mis en cause

Le 15 mai 2025, le CDJM a adressé à M. Jean-François Julliard, directeur de la rédaction du Canard enchaîné, avec copie à M. David Fontaine, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

À la date du 22 juillet 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Long d’un peu plus de 2 800 caractères et signé de M. David Fontaine, l’article qui fait l’objet de cette saisine fait le point – dans un style proche d’un éditorial – sur les dernières informations et déclarations à propos de la guerre à Gaza. Le texte fait, par deux fois, référence à des informations publiées par Le Monde et Le Figaro.

Au deuxième paragraphe, l’auteur mentionne notamment le nombre de « 48 000 morts » en « quatorze mois de guerre ». M. Fontaine évoque ensuite le projet du ministre israélien de la Défense de susciter des « départs volontaires » pour les habitants de la bande de Gaza, qu’il compare à « un nettoyage ethnique qui ne dit pas son nom ». Il décrit enfin les opérations militaires en cours du côté de la Cisjordanie.

➔ Le requérant regrette que l’auteur n’ait pas indiqué la source du chiffre de 48 000 morts reproduit dans l’article. Il pose cette question : « Sans nier à aucun moment les faits, à savoir que les bombardements de Netanyahou ont certainement tué de très nombreux Gazaouis, d’où ce chiffre de 48 000 sort-il ? » Selon lui, cette absence fait peser un doute sur la véracité de l’article. Son impression est accentuée par l’absence de réponse du Canard Enchaîné à son mail envoyé sur ce sujet le 24 février 2025 ainsi qu’à ses trois relances effectuées entre le 11 mars et le 21 avril 2025.

➔ Le CDJM constate que si l’article fait, par deux fois, référence à des informations du Monde et du Figaro, le chiffre de 48 000 morts n’est effectivement pas spécifiquement sourcé.

De nombreux articles de presse de la même période avancent un chiffre comparable. Ainsi, le journal suisse Le Matin, reprenant l’AFP, titre un article publié le 8 février 2025 : « Le ministère de la Santé du Hamas annonce plus de 48 000 morts. »

À Gaza, le chaos institutionnel et l’ampleur des destructions compliquent un chiffrage précis. De plus, les journalistes étrangers sont, de fait, dans l’impossibilité de travailler. Il apparaît donc que le ministère de la Santé du Hamas est la seule source à même de réaliser un comptage des morts à Gaza. C’est d’ailleurs cette source que le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) reprend régulièrement dans son point sur la situation humanitaire. Ainsi, le 18 février 2025 : « As of 18 February 2025, MoH in Gaza reported the killing of at least 48,291 Palestinians and the injury of 111,722 others, since 7 October 2023. » (« Au 18 février 2025, le ministère de la Santé à Gaza rapporte le décès d ‘au moins 48 291 Palestiniens […] depuis le 7 octobre 2023. »)

Sur la fiabilité de cette source, Le Monde constatait dans un article du 9 octobre 2024 : « Utilisé partout, par tous, ce décompte, réalisé par le ministère de la santé du Hamas, a été l’objet de plusieurs controverses depuis le début de la guerre. La publication, en septembre, d’une liste nominative des victimes, opération de transparence, a paradoxalement ravivé certaines critiques, alors que parallèlement, de nombreux experts ou médias s’accordent à considérer les chiffres comme fiables, voire sous-évalués. »

Sur la question d’une possible sous-évaluation, la revue médicale The Lancet publie, début janvier 2025, une étude dont les conclusions sont reprises par de nombreux médias, comme la RTS en Suisse, le 16 janvier 2025 : « Une étude publiée le 10 janvier dans la renommée revue médicale The Lancet estime que probablement environ 64 260 personnes ont été tuées par les bombardements israéliens à Gaza entre le 7 octobre 2023 et le 30 juin 2024. Le ministère de la Santé du Hamas comptabilise lui 37 877 décès pour la même période, soit 41 % de moins que The Lancet. »

De son côté, France 24 précise dans un article du 10 janvier 2025 : « Depuis le début de la guerre entre Israël et le mouvement islamiste palestinien jusqu’au 30 juin 2024, le ministère de la Santé de la bande de Gaza dirigée par le Hamas a fait état d’un bilan de 37 877 morts. L’étude du Lancet estime, toutefois, qu’entre 55 298 et 78 525 décès ont été causés par des lésions traumatiques à Gaza au cours de cette période. »

➔ Par ailleurs, dans l’optique d’un dialogue constructif entre les médias et leur public, il aurait été souhaitable que Le Canard Enchaîné prenne le temps de répondre aux demandes d’explication sur ce chiffre de 48 000 morts que le requérant avait adressées au journal. Toutefois, ne pas répondre aux lecteurs n’est pas une faute déontologique, mais peut être un défaut d’organisation interne, ou une protection contre un risque de harcèlement.

➔ Le CDJM estime que pour une information complète du lecteur, il aurait été préférable que Le Canard Enchaîné donne la source – le ministère de la Santé du Hamas – du chiffre de 48 000 morts qu’il avance. Mais ce chiffre est cohérent par rapport aux publications de différents journaux ou médias à cette même période, et cette seule absence de la source n’est pas de nature à tromper les lecteurs, l’article relatant des faits qui ne sont pas contestés par ailleurs. Les règles déontologiques ont donc été respectées.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 22 juillet 2025 en séance plénière, considère que l’obligation déontologique de respect de l’exactitude et de la véracité a été respectée.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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