Avis sur la saisine n° 25-065

Adopté en réunion plénière du 22 juillet 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 25 mai 2025, M. Patrick Delattre a saisi le CDJM à propos de l’émission « Questions politiques » diffusée le jour même par France Inter. M. Delattre met en cause pour inexactitude deux phrases d’une des journalistes présentes en direct, Mme Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde : « Personne ne remet en cause la monnaie unique » et « la construction européenne, plus personne ne la remet en cause ». Il ajoute que ce qu’il estime être une erreur « n’a été relevé par aucun journaliste ni invité sur le plateau ».

Recevabilité

L’émission de France Inter « Questions politiques » est composée de l’interview d’une personnalité politique suivie de l’interview de l’auteur d’un livre. La journaliste qui l’anime, Mme Carine Bécard, est la responsable de cet acte journalistique avec la hiérarchie de la rédaction de France Inter. Elle est entourée deux consœurs, en l’occurrence Mmes Nathalie Saint-Cricq, de France Télévisions, et Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde. Celles-ci s’expriment en tant que journalistes, y compris lors des échanges avec l’auteur d’un livre. Une saisine mettant en cause leurs interventions est recevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 6 juin 2025, le CDJM a adressé à M. Philippe Corbé, directeur de l’information de France Inter, avec copies à Mmes Carine Bécard et Françoise Fressoz, journalistes, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 22 juillet 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ « Questions politiques » est une émission de France Inter, diffusée également sur Franceinfo et réalisée en partenariat avec le journal Le Monde. Le 25 mai 2025, M. François Ruffin, député Écologiste et Social de la Somme, répond pendant quarante-cinq minutes aux questions de trois journalistes : Mme Carine Bécard de France Inter, Mme Nathalie Saint-Cricq de France Télévisions et Mme Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde.

La dernière séquence accueille un second invité, M. Raphaël Doan, auteur de Faire de la France une démocratie (éditions Passés Composés), qui plaide pour un recours plus fréquent au référendum. L’exemple des référendums de 1992 sur le traité de Maastricht et de 2005 sur le traité constitutionnel européen vient dans la conversation.

Mme Fressoz intervient alors (à 48 min 24 s) et dit : « Moi, ce qui m’avait frappée dans ces débats, c’est que les camps du “non” étaient à l’offensive, politiquement, et c’étaient les meilleurs. Je me souviens notamment de Séguin. Et au fond quand vous regardez les résultats, c’est que personne aujourd’hui ne remet en cause la monnaie unique, et qu’au fond… Il y a quand même un danger. La construction européenne, maintenant plus personne ne la remet en cause. Et on en est même à se projeter une souveraineté européenne, qu’était la nôtre aussi [sic]. Donc, moi, je me méfie quand même de ces débats. Parce qu’il peut y avoir de très bons tribuns, et ça va pas non plus dans le sens de l’intérêt général… »

Sur le grief d’inexactitude

➔ En préambule, le CDJM note que le requérant est coutumier des saisines qui visent à dénoncer, au nom du respect de l’exactitude, la non-prise en compte des positions de l’Union populaire républicaine (UPR), formation politique qui se fixe comme objectif de « rassembler tous les Français afin de faire sortir juridiquement la France de l’euro, de l’Union européenne ». 

➔ Dans cette saisine, M. Delattre relève deux phrases de Mme Fressoz : « personne ne remet en cause la monnaie unique » et « la construction européenne plus personne ne la remet en cause ». Il affirme qu’« il s’agit clairement de désinformation qui est répétée ad nauseam. En effet, il y a plusieurs millions de Français qui veulent se libérer de l’euro et de l’Union européenne (selon plusieurs sondages publiés par les journalistes) qu’on retrouve notamment dans de nombreux partis politiques (UPR, Patriotes, Pardem, etc…) et associations ». M. Delattre ajoute que ce qu’il qualifie de « mensonge de madame Fressoz n’a été relevé par aucun journaliste ni invité sur le plateau puisque tous européistes comme d’habitude ».

➔ Le CDJM rappelle sa position quant au journalisme d’opinion : « Il n’y a pas, dans le journalisme, de moment hors déontologie. Si le journalisme d’opinion est l’expression de pensées, d’idées, de croyances ou de jugements de valeur, ces convictions ou ces positions ne sauraient s’exprimer qu’en exposant, sans les déformer, les faits les plus pertinents sur lesquels elles se fondent»

➔ L’intervention de Mme Fressoz est centrée sur la modification du poids des partisans du non à l’Europe depuis les référendums de 1992 sur le traité de Maastricht et de 2005 sur le traité constitutionnel européen. Pour elle, plus aucune formation politique importante ne prône la sortie de l’euro voire de l’UE depuis que le Rassemblement National a changé de position sur ce point.

Mais on observe que :

  • d’une part, des formations politiques, certes minoritaires mais participant au débat public à hauteur de leur audience, défendent la sortie de l’UE et/ou de l’euro. C’est le cas de L’Union populaire républicaine (UPR), du parti Les Patriotes, ou encore de formations d’extrême gauche comme le Parti des travailleurs.
  • d’autre part, des Français continuent à le souhaiter : ainsi, un sondage YouGov/Eurotrack réalisé en mars 2023 auprès de 1 002 Français révèle que 48 % des personnes interrogées voteraient pour le maintien dans l’UE, 26 % pour la sortie de l’UE, tandis que 26 % ne se prononcent pas, hésitent ou s’abstiennent. Un autre sondage de 2024 indique que 36 % des personnes interrogées sont favorables à une sortie de l’UE et 34 % à une sortie de l’euro.

➔ Lors de son intervention, Mme Fressoz ne tient pas compte d’une expression minoritaire, certes défendue par des formations politiques marginales mais qui rejoint une opinion plus largement partagée, ce qui, dans un échange sur l’hypothèse d’un référendum, ne peut être occulté. Son propos n’est pas présenté comme une opinion mais comme un fait, à l’appui de son interpellation de l’auteur du livre interrogé. La différence entre commentaire et information n’est pas respectée.

En outre, la journaliste de France Inter qui anime l’émission ne rectifie pas l’affirmation de Mme Fressoz en indiquant que des voix minoritaires restent favorables à la sortie de l’Union européenne et/ou de l’euro.

Les formulations « plus personne ne remet en cause la monnaie unique » et « la construction européenne maintenant plus personne ne la remet en cause » sont inexactes.

Conclusion

Le CDJM réuni le 22 juillet 2025 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par France Inter.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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