Adopté en réunion plénière du 8 juillet 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 13 avril 2025, Mme Clara Grimaldi a saisi le CDJM à propos d’un article publié sur le site de Paris Match le 13 avril 2025 et titré : « Johnny Depp et Amber Heard, plongée dans l’autodestruction d’un couple ».
Mme Clara Grimaldi formule des griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité, d’absence d’offre de réplique et d’utilisation de méthodes déloyales lors du recueil d’informations. Elle justifie ces griefs en écrivant notamment que « l’article s’appuie sur un livre de fiction ou d’interprétation personnelle (Toronto, d’Élisabeth Benoît) mais en reprend les éléments comme s’ils relevaient du journalisme. Il n’y a pas de distinction claire entre ce qui relève de la narration littéraire et ce qui est rapporté comme des faits. Les propos de l’autrice sont intégrés dans une mise en scène journalistique, sans cadre critique ni vérification, ce qui induit le lecteur en erreur. »
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la vérité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
- Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
À propos de l’offre de réplique :
À propos de la non-utilisation de méthodes déloyales dans le recueil d’informations :
- Il « n’utilisera pas de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des images, des documents et des données […], fera toujours état de sa qualité de journaliste et s’interdira de recourir à des enregistrements cachés d’images et de sons, sauf si le recueil d’informations d’intérêt général s’avère manifestement impossible ». Il « revendiquera le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits d’intérêt public », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 4).
- Il n’use pas « de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 4).
- Il « proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources ou la gravité des faits l’obligent à taire sa qualité de journaliste, il prévient sa hiérarchie et en donne dès que possible explication au public », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il « ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
Réponse du média mis en cause
Le 2 mai 2025, le CDJM a adressé à M. Jérôme Béglé, directeur de la rédaction de Paris Match, avec copies à Mme Marie-Laure Delorme, journaliste, Mme Virginie Sellier, rédactrice en chef, et M. Alexandre Maras, rédacteur en chef, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 8 juillet 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article en cause est une critique, par la journaliste de Paris Match Mme Marie-Laure Delorme, du livre Toronto de la romancière québécoise Mme Élisabeth Benoit. Cet ouvrage a pour cadre l’affaire Depp-Heard. Cette histoire a été très médiatisée, en particulier sur les réseaux sociaux, avec des affrontements sur le web entre les partisans des deux stars, les acteurs M. Johnny Depp et Mme Amber Heard. Celle-ci a, par ailleurs, été victime d’un harcèlement en ligne d’une rare violence.
Sous le surtitre « Livres », le titre de l’article se réfère à ce contexte : « Johnny Depp et Amber Heard, plongée dans l’autodestruction d’un couple ». Le chapô (texte introductif) indique en caractères gras : « La romancière québécoise Élisabeth Benoit revient sur les procès entre Johnny Depp et Amber Heard. » Le texte lui-même de l’article revient sur le contentieux entre les deux comédiens à travers le récit qu’en fait Mme Benoit. La journaliste, Mme Delorme, souligne que « dans ce roman vrai, nous avons tous notre mot à dire sur l’intimité d’un couple qui ne nous regarde pas ». Elle conclut en estimant que « Toronto est évidemment un portrait secoué de notre époque faussement surinformée. Élisabeth Benoit a écrit le roman de nos névroses collectives. Le sexe en est curieusement absent. Énormément de drogue et d’argent. Quelque chose serre le cœur. Dans Toronto, tous les clichés sont vrais. »
➔ Cet article est clairement identifié comme une critique littéraire par le surtitre « Livres », et la page web est classée dans l’arborescence « Culture » du site. Dans la version papier du même article, publié dans l’édition du 10 avril 2025, le titre « La critique » apparaît à la verticale en gros caractères, sur la moitié de la page.
L’autrice de l’article rappelle à de nombreuses reprises que le sujet de son papier est l’œuvre littéraire d’une écrivaine :
- « La romancière québécoise Élisabeth Benoit revient sur les procès entre Johnny Depp et Amber Heard » ;
- « Dans Toronto, la Québécoise Élisabeth Benoit raconte les deux procès » ;
- « La romancière Élisabeth Benoit prend la parole, à intervalles réguliers, pour expliciter le cheminement de son obsession et de son écriture » ;
- « Dans la guerre entre les pro-Depp et les pro-Heard, l’écrivaine est du côté de la star masculine ».
Sur le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité
Mme Clara Grimaldi, requérante, pointe trois passages de l’article à l’appui de ce grief :
➔ Pour elle, il est inexact d’écrire « que le doigt de Johnny Depp a été “sans doute tranché par Amber Heard”, alors qu’il existe des enregistrements et messages dans lesquels Depp admet s’être blessé lui-même. Aucun rappel de ces faits n’est fait, laissant entendre au lecteur que cette version est la plus probable ».
Le passage complet de l’article est le suivant : « Le tragique est constant : on se met à rechercher le bout de doigt de Johnny Depp, sans doute tranché par Amber Heard, dans la maison de location en Australie, en 2015. » L’utilisation du pronom « on » (« on se met à rechercher ») est une forme littéraire pour signifier « le lecteur se met à rechercher ». La journaliste veut ainsi faire comprendre là où la romancière veut amener le lecteur. Elle ne fait pas sienne de cette théorie.
➔ La requérante parle d’ « accusations graves sans preuve » à propos des expressions affirmant « qu’Amber Heard “ment à tous les étages”, “manipule à tour de bras” et “montre des blessures invisibles” ». Selon elle, « pourtant, au moins 14 témoins ont déclaré sous serment avoir vu ses blessures, parfois les avoir maquillées, et plusieurs preuves photographiques ont été présentées lors des procès ».
Le passage concerné de l’article est le suivant : « Dans la guerre entre les pro-Depp et les pro-Heard, l’écrivaine est du côté de la star masculine. Mais elle a conscience que l’on pourrait exhumer plusieurs versions différentes de la même histoire. Une certitude : la coriace Amber Heard ment à tous les étages. Elle montre aux gens des blessures invisibles, livre des explications contradictoires d’un même événement, manipule à tour de bras. »
La « certitude » évoquée dans ce paragraphe n’est pas celle de la journaliste mais celle de la romancière, dont la journaliste précise bien une phrase plus tôt que celle-ci est pro-Depp. Certes, si la journaliste avait écrit « sa certitude », la phrase aurait été plus claire ; mais le sens du paragraphe ne prête pas à confusion : c’est la vision de la romancière sur l’affaire que la journaliste retranscrit.
➔ La requérante parle d’« erreur juridique sur le terme “coupable” ». Ce terme est employé dans une suggestion de lecture par hyperlien entre deux paragraphes : « À lire aussi • Procès Johnny Depp : le verdict est tombé, Amber Heard reconnue coupable ». Selon la requérante, ce titre « affirme qu’Amber Heard a été “reconnue coupable” au procès de 2022 est une erreur : le procès était civil, pour diffamation, et elle a été jugée responsable, non “coupable” (terme réservé au pénal). Ce mot est juridiquement inexact et manipule la perception du verdict. »
Le CDJM constate que cette « suggestion de lecture » ne fait pas partie de l’acte journalistique en cause proprement dit. C’est un procédé de mise en page désormais classique sur le web pour proposer des prolongements ou des éclairages à l’article qu’on est en train de lire. La forme typographique est, par ailleurs, différente d’un intertitre éditorial. Enfin cette suggestion de lecture n’existe pas dans l’édition papier de l’article.
Le terme « coupable » n’est pas impropre. Ainsi dans le premier paragraphe de l’article suggéré, il est écrit : « a déclaré Amber Heard coupable de diffamation contre son ex-mari ». Que cela soit dans un procès au civil, en droit américain – le procès avait eu lieu à Fairfax, en Virginie (États-Unis) – ou dans un procès au pénal en France, l’expression « coupable » de diffamation est régulièrement utilisée.
Dans les trois passages cités par la requérante, l’exactitude et la véracité sont respectées. Le grief n’est pas fondé.
Sur le grief d’absence d’offre de réplique
➔ Pour la requérante, « l’article ne mentionne aucune des preuves à décharge ou décisions judiciaires favorables à Amber Heard. Il ne cite ni les témoignages qui ont confirmé ses blessures, ni le verdict du procès au Royaume-Uni de 2020. Aucun contrepoint n’est apporté, alors que les accusations sont graves et présentées de manière affirmative. Il aurait été nécessaire de rappeler ces éléments, ou de nuancer le propos pour respecter un équilibre. »
➔ Ces arguments ne concernent pas une absence d’offre de réplique mais plutôt ce que la requérante considère comme une absence d’équité, ou une absence d’impartialité. Là encore, il faut rappeler que l’article, objet de la saisine, est une critique littéraire. C’est l’œuvre littéraire écrite autour de l’affaire Deep-Heard qui est le sujet de l’article et la journaliste dit clairement que « l’écrivaine est du côté de la star masculine ».
L’offre de réplique ne s’imposait pas déontologiquement. Le grief n’est pas fondé.
Sur le grief d’utilisation de méthodes déloyales lors du recueil d’informations
➔ Pour la requérante, « l’article s’appuie sur un livre de fiction ou d’interprétation personnelle […] mais en reprend les éléments comme s’ils relevaient du journalisme. Il n’y a pas de distinction claire entre ce qui relève de la narration littéraire et ce qui est rapporté comme des faits. Les propos de l’autrice sont intégrés dans une mise en scène journalistique, sans cadre critique ni vérification, ce qui induit le lecteur en erreur ».
➔ La requérante suggère par le terme de « méthodes déloyales » que la journaliste aurait sciemment occulté la différence entre réalité factuelle et thèses développées par Mme Élisabeth Benoît dans le but de tromper le lecteur. Cela pourrait s’apparenter à une méthode – potentiellement – trompeuse dans le rendu de l’information.
En l’occurrence, on est en face d’une double mise à distance par rapport à l’affaire Depp-Heard : la journaliste rend compte du point de vue développé par l’autrice québécoise et de sa propre perception critique de l’ouvrage, mais aussi de l’engouement, voire de la fascination, que suscite l’affaire chez l’autrice comme chez la journaliste-lectrice.
Le CDJM rappelle que la critique littéraire est un genre qui fait appel à des procédés d’écriture qui lui sont propres. On écrit sur de l’écrit. Mais tous les éléments qui font comprendre au lecteur qu’il s’agit d’une critique littéraire (surtitres, vocabulaire, etc.) sont bien présents, jusque dans l’avant-dernière phrase : « Élisabeth Benoit a écrit le roman de nos névroses collectives. »
Il n’y a pas d’utilisation de méthodes déloyales dans le recueil des informations. Le grief n’est pas fondé.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 8 juillet 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de respect de l’exactitude et de la vérité, d’offre de réplique ont été respectées et qu’il n’y a pas eu d’utilisation de méthodes déloyales.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus des membres présents.