Avis sur la saisine n° 25-009

Adopté en réunion plénière du 10 juin 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 5 février 2025, M. Jean-Christophe Klein, agissant en qualité de président du groupe Primavista, détenteur de la marque Babyvista, a saisi le CDJM à propos de l’article « Naissance : attention à cette arnaque qui concerne de nombreux parents à la maternité selon 60 millions de consommateurs », publié le 2 janvier 2025 sur le site Aufeminin.

M. Klein estime que « l’article a fait le choix de porter des accusations pénales sans fondement d’une particulière gravité en qualifiant sans réserve ses services d’“arnaque” et en alléguant de l’usage de “pratiques douteuses”, de méthodes “immorales et peu éthiques”, de pratiques “très agressives”, et de “prix souvent astronomique”, sans la moindre réserve ou nuance ». Il dénonce comme « faux » trois passages de l’article.

M. Klein développe également le grief d’absence d’offre de réplique en écrivant que « Babyvista aurait dû être invitée à s’exprimer avant la parution de l’article ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos de l’offre de réplique :

  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).

Réponse du média mis en cause

Le 13 février 2025, le CDJM a adressé à Mme Julie Caron, rédactrice en chef chez Aufeminin avec copie à Mme Laura Willinger, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 10 juin 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause est un texte de 4 535 signes qui reprend pour l’essentiel les éléments d’un article publié par la revue 60 millions de consommateurs. Celle-ci est citée dans le titre et quatre fois dans le corps de l’article de Aufeminin. La journaliste décrit ce qu’elle qualifie de « pratique courante dans les maternités, qui se révèle en réalité être une arnaque » , qui consisterait à « profiter de la faiblesse et la fatigue des nouveaux parents pour leur faire payer des clichés de leurs enfants à un prix souvent astronomique ». Aufeminin cite la société Babyvista, et évoque le « tempérament insistant [de ses] photographes » au point que « de nombreux parents acceptent d’être pris en photo simplement pour qu’on les laisse tranquilles ». Aufeminin rapporte que « plusieurs parents se sont insurgés face à ces méthodes qu’ils jugent immorales et peu éthiques » et interroge : « Ces pratiques sont-elles légales ? »

L’article reprend une déclaration de M. Jean-Christophe Klein, président du groupe Primavista qui détient la société Babyvista, faite à 60 millions de consommateurs. Il y indique que « la présentation de ces photographies s’inscrit dans le respect strict des dispositions du code de la consommation ». L’article se termine par des témoignages, repris sur le réseau social Reddit ou dans 60 millions de consommateurs, sur les difficultés de parents à se faire rembourser.

Au pied de cet article figure, dans la version enregistrée à le 5 février 2025 à 18 h 51 par le CDJM, un droit de réponse de M. Klein. Le dirigeant de Babyvista déplore « la stigmatisation de son activité par cet article, dès le titre, comme “une arnaque” ». Il insiste sur « le professionnalisme » de sa société, les conditions tarifaires et juridiques de son activité, et détaille les consignes données aux photographes, en ajoutant qu’en 2024 « quinze sanctions ont été prononcées à la suite de comportements inappropriés ». Ce droit de réponse est long de 2 041 signes, équivalent à près de la moitié (45 %) de l’article incriminé.

L’existence de ce droit de réponse publié a posteriori n’exonère pas le média de l’obligation de se conformer aux bonnes pratiques journalistiques dès la production de l’article en vue de publication.

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Klein, au nom de Primavista, écrit que « l’article a fait le choix de porter des accusations pénales sans fondement d’une particulière gravité en qualifiant sans réserve ses services d’“arnaque” dès son titre, puis à nouveau dans le corps de l’article, et en alléguant de l’usage de “pratiques douteuses”, de méthodes “immorales et peu éthiques”, de pratiques “très agressives”, et de “prix souvent astronomiques”, sans la moindre réserve ou nuance ».

Le CDJM constate que l’article mis en cause se base essentiellement sur des informations de seconde main reprises de la revue 60 millions de consommateurs, à l’exception des commentaires repris sur le site Reddit et ne semble pas avoir été l’occasion d’une enquête approfondie par la rédaction de Aufeminin.

➔ Le terme « arnaque » ne figure pas dans l’article de 60 millions de consommateurs. Ce mot choisi par la journaliste de Aufeminin renvoie à une forme d’illégalité (« Vol, escroquerie, duperie » selon le dictionnaire Larousse). Il est inapproprié, faute d’une démonstration de ce qui pourrait entraîner une qualification pénale des faits.

➔ Concernant les termes de « pratiques douteuses » et de méthodes « immorales et peu éthiques », ils sont corroborés par les témoignages retranscrits dans l’article (« Cette façon de mettre la pression en sortant des photos déjà développées qu’on n’a pas choisies et en jouant sur la fibre émotionnelle maternelle est vraiment dérangeante », « Il jouait à fond sur les émotions en cherchant à nous faire culpabiliser de ne pas prendre le petit livre souvenir pour les grands-parents », « La photographe est devenue désagréable, et a déchiré en miettes ces photos-là devant ma femme, qui était atterrée »).

Les expressions « techniques très agressives », et « prix souvent astronomique » sont des citations. Le choix de ces mots n’est donc pas le fait de la rédactrice de l’article. Au vu des techniques décrites et du prix mentionné de 600 euros, ces expressions ne paraissent pas excessives et ne constituent pas des accusations sans fondement.

➔ M. Klein affirme qu’il est faux d’écrire que « les photographes débarquent dans les chambres sans qu’ils y soient invités » car, précise-t-il, « l’accès aux chambres est conditionné par l’accord express du personnel médical ».

Or l’article se place du point de vue des patientes. L’autorisation de l’hôpital ne suffit pas pour entrer dans leurs chambres, et le fait qu’elles n’aient pas invité les photographes à venir est ici manifeste, comme l’indique l’article : « Face au tempérament insistant des photographes, de nombreux parents acceptent d’être pris en photo simplement pour qu’on les laisse tranquilles. »

➔ M. Klein écrit que la phrase « une photographe s’est présentée à plusieurs reprises dans sa chambre pour proposer des photos gratuites, gratuites au premier abord » suggère que les photos ne sont pas gratuites « ce qui est faux puisqu’une photo, gratuite, est automatiquement délivrée sans obligation d’achat ».

L’article souligne en effet – comme le reprend le requérant – que la photographe s’invite « pour proposer des photos, gratuites au premier abord » ; à partir du moment où une seule photo est gratuite, ce n’est pas une accusation sans fondement de suggérer ainsi qu’elles ne le sont pas toutes.

➔ M. Klein note que « l’article conclut péremptoirement qu’il “est possible de poursuivre la société en justice […] lorsqu’un paiement est exigé sans respecter le délai de rétractation”, ce qui est faux puisque le délai de rétractation mentionné est inapplicable s’agissant de contrats conclus lors d’une réunion à domicile, organisée après acceptation préalable et expresse du consommateur pour que la vente se déroule à son domicile ».

M. Klein se réfère ici à l’article 221-10 du code de la consommation, qui prévoit que les dispositions légales sur le délai de rétractation ne s’appliquent pas si « les contrats conclus au cours de réunions organisées par le vendeur à son domicile ou au domicile d’un consommateur ayant préalablement et expressément accepté que cette opération se déroule à son domicile ». Ce point est précisé dans les conditions générales de vente de la société Primavista. De fait, seules les commandes passées à la maternité bénéficient des dispositions protectrices du code de la consommation, mais lorsque les parents acceptent le rendez-vous à domicile, la vente est régulée par les dispositions de « réunion organisée » et ces protections ne s’appliquent plus. La présentation faite dans l’article de Aufeminin est imprécise, et de ce fait erronée.

➔ Le grief d’inexactitude est fondé sur deux points, l’usage du mot « arnaque » et la question du «  délai de rétractation ».

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

➔ Le président du groupe Primavista, détenteur de la marque Babyvista, estime que cette société « aurait dû être invitée à s’exprimer avant la parution de l’article ». Il note que « l’article se contente de reproduire de précédentes déclarations à d’autres médias » et estime cela « insuffisant compte tenu de la gravité des accusations portées sans réserve (“arnaque”) et des faits nouveaux allégués (intrusion des photographes dans les chambres, photographies toutes payantes) ».

On constate effectivement que, même si cela n’est pas explicitement mentionné dans l’article – ce qui dénote un manque de précision dans les sources –, les citations de M. Jean-Christophe Klein dans l’article de Aufeminin sont un copié-collé de celles qui figurent dans l’article de 60 millions de consommateurs – qui n’est pas crédité de cette citation. Au vu des faits rapportés et des accusations portées par Aufeminin, une offre de réplique était légitime.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 10 juin 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’offre de réplique n’a pas été respectée par Aufeminin, et que celle d’exactitude et de véracité ne l’a pas été dans deux des cas soulevés par le requérant.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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