Avis sur la saisine n° 25-001

Adopté en réunion plénière du 13 mai 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 7 janvier 2025, Mme Anthéa Mariani a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 3 janvier 2025 sur le site du Journal du dimanche et titré « Grenoble : un Tunisien en France depuis 2 mois tabasse une femme enceinte et une adolescente en pleine rue ».

Mme Mariani estime que cet article contribue à nourrir la haine et les préjugés. Elle estime que titrer l’article « en faisant mention de la nationalité de l’agresseur et de son temps de séjour en France » revient à « [imputer] un lien de causalité entre son origine et les faits qui lui sont reprochés ». Elle interroge : « La question de l’origine des victimes ne se pose à aucun moment, donc pourquoi celle de l’agresseur est-elle mise en avant ? »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos de la propagation de haine ou de discrimination :

  • Il veille « à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés » et fait son possible « pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 9).
  • Lire également la recommandation du CDJM sur le traitement des faits divers

Réponse du média mis en cause

Le 10 janvier 2025, le CDJM a adressé à M. Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du Journal du dimanche, avec copie à M. William Guime, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 13 mai 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause fait le récit d’un fait divers survenu le 30 décembre 2024 à Grenoble. Un jeune homme de 23 ans, visiblement ivre, a agressé trois femmes qui attendaient le tramway. Il a notamment frappé l’une d’elle, enceinte, d’un coup de pied au visage. Il a été condamné le 2 janvier 2025 à cinq mois de prison ferme et à cinq ans d’interdiction de séjour en France. Il est en effet tunisien, et est arrivé en France deux mois avant les faits.

➔ La requérante estime que l’article revêt un caractère raciste dans la mesure où il est fait mention dans le titre de la nationalité de l’agresseur et de son temps de présence en France. Selon elle, ces deux mentions imputent un lien de causalité entre son origine et les faits qui lui sont reprochés, que rien ne justifie. Elle considère que « le fait de préciser son temps de séjour en France suggère de surcroît une présence “anormale” sur le territoire. Or l’agresseur ne se trouve pas sous une OQTF [obligation de quitter le territoire français, ndlr], rien ne justifie de préciser la longueur de la période passée sur le territoire français. Si l’agresseur avait été d’une autre nationalité mais européenne, son temps de séjour sur le territoire n’aurait probablement pas été mis en cause. Ces “deux mois” ajoutent donc au biais raciste se référant à l’agresseur. »

➔ L’article en cause est un simple démarquage d’un article du Dauphiné libéré, qui est cité comme source par Le Journal du dimanche. Il relate les faits sans rien ajouter à la publication de son confrère. Mais la présentation qu’en fait le média dans son titre, « un Tunisien en France depuis deux mois tabasse une femme enceinte et une adolescente en pleine rue », met l’accent sur la nationalité de l’agresseur et la durée de son séjour en France. Le chapô (texte introductif) reprend : « Un homme ivre a attaqué une femme enceinte et sa sœur âgée de 15 ans. L’individu, un Tunisien, était arrivé en France deux mois auparavant. »

La mention de la nationalité de l’agresseur se justifie pour la compréhension de la peine d’interdiction de séjour prononcée par le tribunal correctionnel. Cependant, préciser dans le titre et insister dans le corps du texte depuis quand cet homme était en France – au total, cette indication est répétée quatre fois – n’est pas nécessaire à la compréhension des faits.

La mise en avant de ces deux éléments dans le titre apparaît contraire à la prudence à laquelle appellent les textes déontologiques auxquels se réfère le CDJM, à savoir veiller « à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés  [et] la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques ».

Comme le note la recommandation du CDJM sur le traitement des faits divers, « l’assimilation de tout un groupe à une personne impliquée dans un événement revient à favoriser les amalgames ou les préjugés », et le risque de biaiser l’information « est accru dans la rédaction des titres, des messages brefs sur les réseaux sociaux ».

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 mai 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de veiller à ne pas inciter à la propagation de haine ou de discrimination n’a pas été respectée.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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