Avis sur la saisine n° 24-214

Adopté en réunion plénière du 13 mai 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 24 décembre 2024, M. Pierre Walrafen a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 17 novembre 2024 par Le Figaro sur son site et titré « “On se heurte à un mur” : ces grands perdants du vaccin Covid-19 qui luttent pour la reconnaissance d’effets indésirables ».

M. Walrafen estime que l’obligation d’exactitude et de véracité n’est pas respectée lorsque « Le Figaro fait état “de 200 000 effets indésirables” alors, qu’il s’agit, suivant l’enquête ANSM, d’événements indésirables, pas d’effets » recensés après une vaccination contre le Covid.

M. Walrafen considère que « l’article évoque l’errance médicale en laissant penser qu’elle est liée à une “omerta” sur les supposés effets secondaires, propos rapportés d’un témoin sans être autrement discutés, et en particulier sans demander à un médecin si une telle errance diagnostique est classique dans les pathologies en question ».

Recevabilité

M. Walrafen, qui saisit le CDJM pour cet article, incrimine également un message sur le réseau social LinkedIn. Le CDJM a considéré cette incrimination supplémentaire irrecevable. Comme le précise son règlement intérieur, une saisine doit porter sur un acte journalistique identifié par la date et, le cas échéant, l’édition, l’heure de sa publication ou de sa diffusion. Or, un message sur LinkedIn ou d’autres réseaux sociaux est un acte journalistique en soi, souvent rédigé par des équipes distinctes de la rédaction principale et qui doit faire l’objet d’une saisine spécifique.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 10 janvier 2025, le CDJM a adressé à M. Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro avec copie à Mme Elisabeth Pierson, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 13 mai 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause est publié dans la rubrique “santé” du Figaro. Son chapô (texte introductif) en indique l’angle : « Des malades qui ont vu apparaître des symptômes graves dans la foulée d’une injection, racontent au Figaro leur bataille pour faire reconnaître un lien de causalité, disant se heurter à une “omerta” médicale. »

La journaliste, Mme Elisabeth Pierson, précise que « dès 2021, dans le cadre du dispositif de pharmacovigilance, l’ANSM a déclaré des signaux “rares mais potentiellement sérieux” de “myocardites” et de “péricardites”, ainsi que de syndrome de Guillain-Barré, comme effets possibles des vaccins à ARN messager, Pfizer et Moderna ». Elle ajoute que « dans les témoignages que Le Figaro a recueillis, tous se défendent d’être antivax. Ils disent avoir reçu l’injection de bon cœur, et ils ne remettent pas en cause son utilité. Mais certains ont tout perdu. »

Six cas de personnes qui affirment avoir souffert de graves affections à la suite de la vaccination contre le Covid-19 – myocardites, neuropathies et maladies neurodégénératives telles que la maladie de Charcot – sont décrits. L’article raconte les différentes expertises auxquelles ont dû se soumettre des malades en vue d’une indemnisation et évoque « des victimes [qui] disent avoir le sentiment d’une “immense omerta” » du corps médical. Il donne la parole à un avocat spécialiste de ces dossiers qui agit pour établir juridiquement l’imputabilité du vaccin, et à des experts des maladies en cause qui doutent du lien avec la vaccination.

Sur le grief d’inexactitude concernant le nombre de cas signalés

➔ M. Pierre Walrafen fonde ce grief sur une phrase du troisième paragraphe de l’article du Figaro, relatif au premier cas particulier présenté : « Au sein des 200 000 cas d’effets indésirables signalés à la pharmacovigilance en France (sans preuve que cela soit imputable au vaccin), Franck est catégorisé “cas grave”. »

Il s’agit, selon M. Walrafen, d’une erreur due à la « confusion entre événements indésirables, qui se produisent après la vaccination mais n’ont pas nécessairement un lien avec elle, et effets indésirables, qui par définition sont bien liés au vaccin ».

Le CDJM observe que Mme Pierson prend des précautions pour ne pas conduire le lecteur à conclure que tous les cas recensés sont dus à la vaccination. Expliquer que des malades luttent « pour la reconnaissance d’effets indésirables » ne signifie pas que ces effets sont avérés, mais que ces personnes demandent à ce qu’ils soient reconnus comme tels. Dans la phrase relevée par le requérant, la donnée sur ces cas est immédiatement précisée par une précision entre parenthèses : « sans preuve que cela soit imputable au vaccin ». La légende de la photo qui accompagne l’article du Figaro prend la même précaution : on lit « 200 000 cas d’effets indésirables ont été signalés à la pharmacovigilance (sans preuve que cela soit imputable au vaccin). ». Cette précision apportée par la journaliste n’est pas la distinction rigoureuse des chercheurs entre « événements indésirables » et « effets indésirables », mais a le mérite de dire de façon claire pour le grand public que le vaccin ne peut être tenu pour responsable de tous les cas recensés.

On peut déplorer que cette précaution ne figure pas dans le message sur LinkedIn signalé par le requérant, mais le CDJM n’était pas saisi précisément sur ce message (lire ci-dessus).

Le grief n’est pas fondé.

Sur les autres griefs d’inexactitude

➔ M. Walrafen fait par ailleurs plusieurs commentaires qui expriment sa perception de l’article plus qu’ils ne constituent des accusations d’inexactitude.

Il estime ainsi que la mention dans l’article que « les cas graves sont une “catégorie au nombre imprécis” [laisse] ainsi penser que le suivi est laxiste » et se réfère à une publication de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de 2023 sur le suivi des cas d’effets indésirables des vaccins Covid-19 qui rapporte précisément la proportion de cas graves. La phrase exacte de l’article du Figaro est, à propos des « cas graves » : « Une catégorie au nombre imprécis, mais qui reste très minoritaire au vu des quelque 157 millions d’injections réalisées en France. » Le reproche d’une accusation induite de « suivi laxiste » est infondé, il est une déduction subjective du requérant.

➔ M. Walrafen considère également que « l’article évoque l’errance médicale en laissant penser qu’elle est liée à une “omerta” sur les supposés effets secondaires » et que le titre sur les « grands perdants du vaccin » amplifie les doutes sur la vaccination.

Le mot “omerta” est clairement attribué à des témoins rencontrés par Mme Pierson :

  • Une première fois dans le chapô où on lit que « des malades qui ont vu apparaître des symptômes graves dans la foulée d’une injection, racontent au Figaro leur bataille pour faire reconnaître un lien de causalité, disant se heurter à une “omerta” médicale ».
  • Une seconde fois dans le texte, où la phrase citée par M. Walrafen dans sa saisine (« des médecins ne veulent pas ou ne peuvent pas croire pas qu’il y ait autant d’effets secondaires au vaccin et cela ralentit les diagnostics ») est clairement attribuée, entre guillemets, au fondateur d’une association d’aide aux victimes du Covid long et de l’injection anti-Covid.

Ces citations ne constituent pas des entorses à la déontologie : le propos d’un témoin n’a pas à être remis en question systématiquement s’il n’y pas d’inexactitudes formelles et si des contrepoints sont faits par ailleurs. Or, Mme Pierson cite, comme autant de contrepoints, un rapport médical qui ne valide pas les propos d’un de ces témoins, et un peu plus loin, deux experts qui démentent tout lien entre vaccin anti-Covid et maladie de Charcot.

Le reproche sur le titre évoquant les « grands perdants du vaccin » qui, selon M. Walrafen, « amplifie les doutes sur la vaccination, bien au-delà du factuellement raisonnable » est une appréciation légitime du requérant. Mais l’article précise sans ambiguité que les cas évoqués sont « très minoritaire[s] au vu des quelque 157 millions d’injections réalisées en France ». Et cette expression est un choix rédactionnel en cohérence avec l’angle retenu pour l’article de Mme Pierson : rapporter le vécu de personnes souffrant d’effets secondaires du vaccin, même si elles sont peu nombreuses, et de celles qui disent souffrir des suites du Covid ou de la vaccination.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 mai 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par Le Figaro.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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