Adopté en réunion plénière du 13 mai 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 1er décembre 2024, M. Hugo Morel a saisi le CDJM à propos d’un reportage diffusé le 24 novembre 2024 dans le journal télévisé de 13 h de France 2 et titré « Agriculture : le coup de gueule des producteurs de noisettes français ».
M. Morel estime que le reportage est inexact quand il est dit qu’il y a un « lien [entre l’interdiction des] néonicotinoïdes dans la culture de noisettes et […] une mauvaise récolte ». Selon lui, « d’autres facteurs peuvent expliquer une baisse de la récolte [de noisettes], comme le changement climatique […] et l’Italie rencontre des problèmes similaires de récoltes, alors qu’elle peut utiliser les néonicotinoïdes que réclament les Français ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
Réponse du média mis en cause
Le 16 décembre 2024, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copies à M. Philippe Denis, rédacteur en chef, M. David Basier et Mme Marie-Pierre Cassignard, journalistes, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 13 mai 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ Le reportage en cause, d’une durée de 1 min 57 s, ouvre sur le témoignage d’un producteur de noisettes dont les cultures ont été ravagées par des insectes depuis, dit le commentaire off, « que la législation française interdit les néonicotinoïdes qu’il utilisait pour lutter contre ces ravageurs, des produits toujours autorisés par l’Union européenne ». Le reportage se poursuit dans une coopérative où « beaucoup de noisettes récoltées s’avèrent impropres à la consommation ». Puis est montrée une rencontre entre deux députés du Tarn-et-Garonne et le président des producteurs de noisettes, qui, explique le journaliste, « demande à pouvoir utiliser à nouveau les néonicotinoïdes, interdits en France pour protéger les abeilles ».
M. Thierry Descazeau, président de la coopérative Unicoque, argumente ainsi : « Je ne vois pas pourquoi, nous Français, nous serions les seuls au monde à ne pas avoir cette molécule et à pouvoir combattre à armes égales comme nos amis et collègues producteurs de noisettes européens. Sans cette molécule, nous sommes morts. » Le journaliste conclut en indiquant que « les producteurs de noisettes français cherchent aussi une parade biologique » mais qu’« il faudra cinq à dix ans pour mettre au point une méthode de lutte ».
Sur le grief d’inexactitude
➔ M. Morel résume ainsi son grief : « Le focus que fait France 2 sur les néonicotinoïdes n’est pas fidèle à la réalité, d’autres facteurs peuvent expliquer une baisse de la récolte [de noisettes], comme le changement climatique ; d’autre part les ravageurs peuvent jouer un rôle, mais les néonicotinoïdes ne sont pas forcément une solution, ainsi que l’illustrent les problèmes en Italie. » Il reproche aux journalistes de France 2 de « [reprendre] les arguments des producteurs de noisettes sans les questionner. » Pour lui, le lien entre l’interdiction des néonicotinoïdes dans la culture de noisettes et la mauvaise récolte n’est pas étayé : « L’Italie rencontre des problèmes similaires de récoltes, écrit-il, alors qu’elle peut utiliser les néonicotinoïdes que réclament les Français. » Il déplore que « sur un sujet scientifique comme celui-là, aucun scientifique n’ait été sollicité » et estime que « le fait de présenter les néonicotinoïdes comme néfaste pour les abeilles est réducteur et trompeur » car « ce sont en fait de grandes parties du vivant qui sont affectées par les néonicotinoïdes ».
➔ Le sujet de France 2 est centré sur les difficultés des producteurs de noisettes à l’occasion d’une mobilisation de ces derniers. Cela est clairement indiqué dans le lancement du sujet par le présentateur du journal télévisé, M. Julien Benedetto : « Les agriculteurs en colère ont prévu de nouvelles actions cette semaine partout en France. Ils dénoncent notamment, vous le savez, la concurrence déloyale. »
L’objet du reportage exposé, les faits présentés sont exacts. La récolte 2024 de noisettes se caractérise par une moindre quantité de noisettes commercialisables, situation dont les producteurs devront supporter les conséquences économiques. Il est exact que les attaques de deux ravageurs sur les vergers ont été particulièrement fortes en 2024, et que l’absence d’autorisation de molécules insecticides, autrefois utilisées en France et qui restent autorisées dans le reste de l’Union européenne, constitue une distorsion de concurrence : le prix des noisettes françaises ne pourra pas être augmenté en rayon en proportion de leur rareté, les noisettes concurrentes seront moins chères.
Il n’est pas dit que la récolte aurait été bonne sans ces deux ravageurs, ni que la récolte a été extraordinaire en Italie, ni que la différence relève uniquement de l’usage des insecticides. En fin de reportage, un éclairage est donné sur de nouvelles pratiques et des produits agri-environnementaux sur lesquels travaille la recherche française.
La brièveté du reportage ne permet pas de traiter la question sous tous ses aspects – par exemple, les différentes causes des difficultés rencontrées par les producteurs italiens. Les journalistes n’ont pas non plus l’ambition de faire une enquête exhaustive sur un sujet scientifique comme la nocivité réelle ou supposée des néonicotinoïdes sur l’ensemble du vivant. Le CDJM considère (cf. son avis 24-125) qu’il n’existe aucune norme journalistique obligeant un éditeur à donner la parole dans un article ou une émission à tous les partisans et opposants sur un sujet de société particulier.
Le grief n’est pas fondé.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 13 mai 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par France 2.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.