Avis sur la saisine n° 24-193 et similaires

Adopté en réunion plénière du 13 mai 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Les 25 et 27 novembre 2024, MM. Jean-François Vincent (saisine 24-193), Xavier Guittel (saisine 24-194), Mme Florence Rouch (saisine 24-195) ainsi que M. Benjamin Monod-Broca (saisine 24-197) ont saisi le CDJM, en des termes identiques, à propos d’une émission « C à vous » diffusée le 21 novembre 2024 sur France 5.

Les requérants estiment que « des informations erronées ont été présentées, induisant le public en erreur, à la fois sur la date d’interdiction de l’insecticide acétamipride, sur les impacts de l’acétamipride sur les écosystèmes ainsi que sur les causes des difficultés de la filière noisettes ».

Ils formulent le grief d’inexactitude à l’encontre de la journaliste animant cette émission, Mme Anne-Élisabeth Lemoine, à propos de la date d’interdiction de l’acétamipride. Ils mettent également en cause des propos de Mme Géraldine Woessner, qui est interrogée dans l’émission en tant que rédactrice en chef du pôle Société au Point et auteure du livre Les illusionnistes – Climat, agriculture, nucléaire, OGM : enquête inédite sur les dérives de l’écologie politique (éditions Robert Laffont).

Ils lui reprochent d’abord « une caricature du principe de précaution », estiment ensuite qu’elle laisse entendre qu’il n’y a pas « de preuves d’une nocivité de l’acétamipride pour les écosystèmes », et remettent enfin en cause son analyse des « difficultés rencontrées [par les producteurs de noisettes français qui] seraient imputables à l’interdiction de l’acétamipride », laquelle inclut une comparaison avec la situation de leurs homologues en Italie.

Recevabilité

Lors d’un entretien, ce sont les journalistes auteurs de l’acte journalistique et responsables de son contenu et de sa diffusion qui sont tenus de respecter la déontologie journalistique, pas leurs interlocuteurs. Dans le cas présent, Mme Géraldine Woessner, mise en cause par les requérants, n’est pas l’auteure principale de l’acte journalistique objet de la saisine. Elle intervient comme invitée dans l’émission de France 5.

Cependant, elle est présentée à l’antenne, oralement et dans un bandeau en bas d’écran, comme « rédactrice en chef du pôle Environnement du magazine “Le Point” » – il s’agit en fait du pôle Société, qui inclut l’environnement, comme Mme Woessner le rappellera dans son courrier au CDJM. Elle présente son analyse comme le résultat d’une enquête journalistique appuyée sur des faits.

Le CDJM a donc considéré que, même si Mme Woessner n’est pas responsable de l’émission objet de la saisine, sa mise en cause par les requérants pour non-respect de la déontologie journalistique était recevable.

Par ailleurs, les quatre saisines reçues par le CDJM sont identiques – à  l’exception, pour la première reçue, du résumé en quatre lignes de son motif. Cela n’entraîne pas leur irrecevabilité.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).Il respecte…

Réponse du média mis en cause

Le 6 décembre 2025, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copies à Mmes Anne-Elisabeth Lemoine, journaliste, et Géraldine Woessner, journaliste au Point, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 6 décembre 2025, Mme Woessner a longuement répondu au CDJM. Elle fait d’abord remarquer que le texte envoyé par les requérants a été rédigé par une tierce personne, active sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de Factsory. Elle note que ce dernier a publié sur son site les éléments qui ont été repris ensuite par les quatre requérants dans leur saisine. « Les gens qui ont relayé son appel n’ont probablement pas vu l’émission “C à vous” dont il est ici question », affirme-t-elle aussi. Elle y voit l’action de « groupuscules militants qui utilisent ensuite [les avis du CDJM] pour bâillonner et discréditer les journalistes qui leur déplaisent ».

Le CDJM rappelle qu’il refuse les saisines anonymes (ou sous pseudonyme), comme le prévoit l’article 1.5 de son règlement intérieur. Les quatre saisines reçues ne le sont pas, même si elles relèvent d’une démarche concertée. Le CDJM condamne par ailleurs toutes les campagnes de harcèlement sur les réseaux sociaux, en particulier quand elles visent des journalistes.

Sur le fond, Mme Woessner explique pourquoi selon elle « les propos d’Élisabeth Lemoine [en fait Anne-Élisabeth Lemoine, ndlr] dans son émission [sur la date d’interdiction de l’acétamipride] sont exacts ». Elle répond ensuite aux griefs sur la comparaison des conditions de production des noisettes en France et en Italie. Elle explique enfin que la phrase qu’elle a prononcée sur France 5 – « “le principe de précaution, c’est qu’on va interdire un produit même sans preuve scientifique”, reflète la stricte réalité, telle que la notion a été introduite en droit français, et telle que l’a façonnée la jurisprudence ces vingt dernières années ». Elle joint en guise d’argumentaire une copie du chapitre du livre qu’elle « été invitée à présenter dans “C à vous” » et qui, écrit-elle, « reflète le consensus juridique ».

Analyse du CDJM

➔ L’émission de « C à vous » qui est l’objet de cette saisine, diffusée le 21 novembre 2024, revient sur le déroulement et les causes de la crise agricole. Après un reportage qui montre une responsable de la Coordination rurale, cernée par les caméras, en conversation téléphonique avec le Premier ministre d’alors, M. Michel Barnier, la présentatrice Mme Anne-Élisabeth Lemoine présente ainsi son invitée :

« Bonsoir Géraldine Woessner… Vous êtes rédactrice en chef du pôle environnement au Point, vous publiez avec Erwann Seznec Les Illusionnistes, cette enquête inédite sur les dérives de l’écologie politique, on y revient dans un instant… »

Elle commence par interroger Mme Woessner sur les conditions de la mobilisation des exploitants et de la relative bienveillance dont elle bénéficie de la part des politiques. Puis la journaliste invitée s’exprime sur les difficultés de l’agriculture française face à la concurrence étrangère, revenant notamment sur ce qu’elle appelle « surtransposition » des textes européens en dénonçant la tendance de la France à imposer des normes environnementales plus strictes que celles appliquées au reste de l’Union européenne.

« Un exemple de cette perte de compétitivité et de rentabilité de l’agriculture française, lance alors Mme Lemoine, la collecte des noisettes. Faute de l’utilisation des pesticides, définitivement interdite en France en 2023…

– Non, en 2016, la coupe un invité en plateau invisible à l’écran.

– En 2023, définitivement, avant, ce n’était pas définitif, le reprend Mme Lemoine. Cinquante pour cent de la récolte des noisettes de l’Hexagone a été détruite par des attaques massives de deux insectes, le balanin et la punaise diabolique. »

Une interview de « Xavier Mas, producteur de noisettes » est alors diffusée. Il explique qu’« une loi française [interdit] l’acétamipride, une matière active qui nous permettrait de lutter de manière efficace contre ces ravageurs ». Il ajoute que « nos homologues italiens, par exemple, y ont accès ». Il termine en évoquant les dégâts « considérables » sur les récoltes et le risque de « dépôt de bilan de beaucoup d’exploitations ».

L’échange reprend alors en plateau :

« La France, commence Mme Lemoine, qui se retrouve d’ores et déjà à importer des noisettes de Turquie, pays qui autorise lui plus de 200 pesticides… C’est quoi la solution ? C’est de réintroduire un pesticide qui est quand même jugé dangereux pour les abeilles par les autorités françaises, de la fameuse classe des néonicotinoïdes ?

– Non, corrige Mme Woessner, pas par les autorités françaises, et c’est bien tout le problème. D’ailleurs, vous disiez la Turquie, pas seulement… Typiquement, les noisettes, le troisième exportateur, le fournisseur de la France, c’est l’Italie. C’est l’Italie qui, elle, a le droit de continuer d’utiliser l’acétamipride.

Le problème, c’est qu’on a mis en application de façon autoritaire, enfin dogmatique, un principe de précaution. Le principe de précaution, c’est joli sur le papier, dans les faits, ça se transforme en un principe de la trouille. On dit, on va interdire un produit, même sans preuve scientifique. C’est ça, le concept du principe de précaution. Il y a cinq néonicotinoïdes qu’on a interdits. La toxicité de ces molécules n’est pas la même d’une molécule à l’autre. Pourquoi l’Europe a interdit, elle aussi, après nous, les quatre autres néonicotinoïdes qu’on utilisait…

– Et pas celui-là, l’interrompt Mme Lemoine.

– Pas celui-là, parce que justement, les études scientifiques ont montré qu’il était moins toxique par contact que les autres. Donc, il reste autorisé jusqu’en 2033, d’ailleurs on verra s’il est prolongé plus tard, mais il reste autorisé ailleurs en Europe. »

Mme Woessner termine son propos en évoquant « le Karateka », un insecticide autorisé « en catastrophe » pour remplacer le produit interdit, et qui était, selon elle, « bien pire » pour l’environnement.

À propos de la date d’interdiction de l’acétamipride

Les requérants estiment que l’animatrice de l’émission, la journaliste Mme Anne-Élisabeth Lemoine, tient un propos inexact quand elle affirme que l’acétamipride aurait été interdit en 2023 pour la culture des noisettes : « La dérogation pour la culture des noisettes s’est arrêtée en juillet 2020 », expliquent-ils, s’appuyant sur l’article premier d’un arrêté du 7 mai 2019 : « L’utilisation de produits phytopharmaceutiques à base d’acétamipride bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché en vigueur pour l’usage considéré est autorisée jusqu’au 1er juillet 2020 », prévoit ce texte, avant de lister les utilisations concernées, dont « la lutte contre le balanin de la noisette ».

Pour les requérants, « l’erreur peut paraître minime mais elle est importante » : « Si l’on pense que l’interdiction date de 2023, il n’est pas surprenant que le problème de la noisette ne soit soulevé que maintenant. Or, l’interdiction datant de 2020, un problème qui n’émergerait que maintenant étonne davantage. » Cela indiquerait, selon eux, que les difficultés récentes de la filière ne seraient pas liées (ou pas uniquement liées) à l’abandon de l’acétamipride.

Dans sa réponse au CDJM, Mme Woessner commence par rappeler que les insecticides de la famille des néonicotinoïdes, dont fait partie l’acétamipride, ont fait l’objet de mesures d’interdiction progressives en France et dans l’Union européenne, parce qu’elles sont « soupçonnées de jouer un rôle dans le déclin constaté en Europe des colonies d’abeilles ». Elle rappelle qu’en 2015, le gouvernement fait voter une loi prohibant « toutes les substances de la famille des néonicotinoïdes alors utilisées en France, sans considération pour leurs toxicités respectives ». « L’interdiction prend effet en 2018, poursuit-elle, avec possibilité de déroger au bannissement sous certaines circonstances, jusqu’en 2020. » Plus loin, elle explique aussi que « les cultivateurs de noisettes redoutent chaque année, depuis 2020, l’attaque de punaises diaboliques ».

Selon Mme Woessner, les dégâts sur les récoltes constatés après que l’interdiction est entrée totalement en vigueur ont incité le ministère de l’Agriculture à accorder « une dérogation [permettant] l’utilisation des néonicotinoïdes pour les seuls betteraviers, pour une durée de trois ans, à charge pour les scientifiques de trouver des alternatives pour lutter contre les ravageurs ». Une mesure qui prévoit « un accompagnement strict ».

Elle explique ensuite que cette dérogation ayant été contestée en justice par « des ONG anti-pesticides » qui ont eu gain de cause en 2023, « les betteraviers, qui pouvaient encore utiliser de l’acétamipride par dérogation, sont empêchés de le faire à partir de cette date ». Elle ajoute qu’à cette date également, « les noisetiers, qui auraient pu espérer de nouvelles dérogations en usage foliaire, comme leurs voisins européens, perdent tout espoir d’en obtenir ». Pour Mme Woessner, cet enchaînement montre que « les propos d’Élisabeth Lemoine [en fait, Anne-Élisabeth Lemoine, ndlr] dans son émission sont donc exacts ».

Le CDJM constate que Mme Woessner, comme les requérants, font remonter à 2020 l’interdiction de l’utilisation de l’acétamipride pour la culture de noisettes. Il considère que dans le contexte de ce passage de l’émission, centré sur l’exemple de cette filière, c’est bien cette date qui aurait dû être retenue, et non celle de 2023, qui ne concernait que le délai supplémentaire accordé aux betteraviers, et à eux seuls.

Sur ce point, le grief d’inexactitude est fondé.

À propos de la présentation du principe de précaution

Les requérants estiment que dans son intervention, Mme Woessner fait une présentation erronée du principe de précaution, qu’elle décrit ainsi :

« Le problème, c’est qu’on a mis en application de façon autoritaire, enfin dogmatique, un principe de précaution. Le principe de précaution, c’est joli sur le papier, dans les faits, ça se transforme en un principe de la trouille. On dit, on va interdire un produit, même sans preuve scientifique. C’est ça, le concept du principe de précaution. »

Pour les requérants, il s’agit d’une « caricature » du principe de précaution. « Ainsi, dans la déclaration de Rio de 1992, il s’agit de prendre des mesures en l’absence de pleine certitude, pas sans preuve scientifique. »

Dans sa réponse au CDJM, Mme Woessner estime que « la phrase : “le principe de précaution, c’est qu’on va interdire un produit même sans preuve scientifique”, reflète la stricte réalité, telle que la notion a été introduite en droit français, et telle que l’a façonnée la jurisprudence ces vingt dernières années ». Elle renvoie également au chapitre de son livre Les Illusionnistes sur le sujet.

Le CDJM constate que le principe de précaution est une notion juridique complexe, qui a fait l’objet de plusieurs définitions aux niveaux international, européen et français : dans la déclaration adoptée par l’ONU à Rio de Janeiro en 1992, dans le traité de Maastricht signé la même année, dans la loi Barnier de 1995 ou encore dans la Charte de l’environnement adjointe en 2005 à la Constitution de la Ve République.

Son interprétation par les tribunaux a donné lieu à toute une jurisprudence, qui a fait elle-même l’objet de nombreuses analyses. Quand elle prononce la phrase pointée par les requérants – « Le principe de précaution […] dans les faits, ça se transforme en un principe de la trouille. On dit, on va interdire un produit, même sans preuve scientifique. » –, la journaliste ne décrit pas le principe de précaution tel qu’il est défini, en théorie, dans les textes qui s’en réclament, mais bien comment, selon elle, il est appliqué « dans les faits ». Elle donne son opinion à propos des décisions rendues sur ce fondement et de leurs conséquences, comme l’induit aussi l’utilisation de l’expression « principe de la trouille ».

Sur ce point, le grief d’inexactitude n’est pas fondé.

À propos de la dangerosité de l’acétamipride

Pour les requérants, la présentation par Mme Woessner du principe de précaution – « on va interdire un produit, même sans preuve scientifique » – dans le contexte de l’interdiction de l’acétamipride, est une façon de suggérer « qu’aucune preuve scientifique ne justifierait son interdiction ». Or, avancent-ils, « l’expertise collective de l’Inrae indique divers dommages imputables à l’acétamipride. De plus, il existe des preuves d’un effet de synergie entre l’acétamipride et d’autres pesticides. » Ils citent en référence le rapport « Impact des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques », travail collectif de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), un article de la revue scientifique Ecotoxicology et un autre tirée d’Ecotoxicology and Environmental Safety.

Ils considèrent en outre que le fait qu’une substance soit autorisée par une agence sanitaire « n’est pas du tout une garantie d’innocuité », expliquant par exemple que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ne prend pas en compte pour décider des autorisations les risques liés aux « effets de synergie ». Ils concluent : « Que ces preuves suffisent à une interdiction, c’est un débat qu’il est légitime d’avoir, mais il convient de ne pas déformer la réalité des connaissances scientifiques sur le sujet : au contraire de ce que suggère Mme Woessner, il existe des preuves d’une nocivité de l’acétamipride pour les écosystèmes. »

Le CDJM rappelle d’une part que son rôle se limite à se prononcer sur le respect des règles de déontologie journalistique figurant dans les chartes dont la profession s’est dotée. En particulier, il ne retient pas les saisines visant à « trancher une controverse, notamment scientifique », comme le prévoit son règlement intérieur.

Il ajoute d’autre part que, si Mme Woessner conteste dans son intervention la décision d’interdire l’utilisation de l’acétamipride, qu’elle considère insuffisamment basée sur les connaissances scientifiques, elle ne dit pas non plus que ce produit n’est pas dangereux pour l’environnement. Ainsi, elle dit : « La toxicité de ces molécules [les néonicotinoïdes, ndlr] n’est pas la même d’une molécule à l’autre. » Et, peu après : « Les études scientifiques ont montré qu’il [l’acétamipride] était moins toxique par contact que les autres. » Moins toxique ne veut pas dire dénué de toxicité. On ne peut considérer, comme le fait le requérant, qu’elle aurait nié dans son intervention le fait qu’« il existe des preuves d’une nocivité de l’acétamipride pour les écosystèmes ».

Sur ce point, le grief d’inexactitude n’est pas fondé.

À propos de l’impact de l’interdiction de l’acétamipride

Pour les requérants, la journaliste « prétend que les difficultés rencontrées par la France seraient imputables à l’interdiction de l’acétamipride qui, à l’inverse est autorisé en Italie ». Ils considèrent que ce constat est faux, s’appuyant sur les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO en anglais) : « Il en ressort que les rendements sont plus élevés en France qu’en Italie. Il en ressort également qu’en France, comme en Italie, les rendements ont baissé ces dernières années. » Ils citent aussi un article du site RomaToday, qui évoque les difficultés de la filière en Italie : « Les causes mises en avant sont le changement climatique ainsi que les parasites. »

Ils en concluent qu’il y a « une désinformation » de la part de Mme Woessner : « L’Italie présentant des difficultés très similaires, et ses rendements étant moindres, il n’y a aucune raison valable de mettre en cause l’interdiction de l’acétamipride. »

Dans sa réponse au CDJM, Mme Woessner maintient que l’interdiction de l’acétamipride en France et son autorisation en Italie crée une distorsion de concurrence favorisant la filière transalpine. Elle reconnaît qu’en 2024, « la mauvaise météo a plombé la récolte » dans les deux pays, mais ajoute qu’en France, « la punaise diabolique a rendu impropres à la consommation 2 000 tonnes de noisettes supplémentaires, comme l’a rapporté le ministère de l’Agriculture, repris par l’ensemble des médias ». Elle met également en avant des conséquences à long terme : « L’arrachage de vergers [en France] est une réalité. […] En Italie, les vergers demeurent, car les noisetiers savent que leurs concurrents directs seront soumis aux mêmes aléas météo qu’eux, mais aussi qu’ils pourront protéger leur culture en cas d’attaque parasite. En France, les cultivateurs sont dans l’incertitude. Cette incertitude entraîne à terme l’abandon de la culture. »

Le CDJM constate que la comparaison entre les filières françaises et italiennes de production de noisettes n’est pas au cœur de ce passage de l’émission, centré sur les problèmes rencontrés par les cultivateurs de noisette installés en France.

Le parallèle avec l’Italie revient à deux reprises, d’abord dans l’interview de M. Mas : « Nos homologues italiens, par exemple, […] ont accès [à l’acétamipride] », ensuite dans l’intervention de Mme Woessner : « […] le troisième exportateur, le fournisseur de la France, c’est l’Italie. C’est l’Italie qui, elle, a le droit de continuer d’utiliser l’acétamipride ».

Le CDJM considère qu’en disant que « l’Italie […] a le droit de continuer d’utiliser l’acétamipride », semblant considérer que cette différence crée un contexte économiquement plus favorable aux cultivateurs italiens, Mme Woessner ne dit rien de faux. Les requérants peuvent regretter qu’elles ne détaillent pas davantage la comparaison entre les deux pays afin de nuancer son propos, mais elle n’omet pas un élément essentiel à la compréhension de l’information.

Sur ce point, le grief d’inexactitude n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 mai 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de respecter l’exactitude et la véracité a été enfreinte pour l’un des points soulevés par les requérants, et respectée pour les trois autres points.

Les saisines sont déclarées partiellement fondées.

Cet avis a été adopté par consensus.

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