Adopté en réunion plénière du 28 janvier 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 10 septembre 2024, M. Thomas Aonzo a saisi le CDJM à propos d’un message publié le 3 septembre 2024 sur le réseau social X (ex-Twitter) par M. Mohammed Sifaoui.
Ce message évoque des « liens avérés » entre « des milieux fréristes » et un conseiller de M. Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et dont le nom circule alors comme possible Premier ministre. M. Aonzo saisit le CDJM pour non-respect de l’exactitude et de la véracité et accusation sans preuve. Il estime que ce message, en « véhiculant des accusations non fondées et en stigmatisant une personne publiquement », relaie « clairement une information non vérifiée, attribuant des liens et des positions à une personne sans enquête approfondie ».
Recevabilité
M. Mohamed Sifaoui a travaillé pour des médias algériens, publié des articles dans des médias français (notamment l’hebdomadaire Marianne) et remporté des prix de journalisme. Il se présente sur son compte X comme « Journaliste & Écrivain ». Le message qu’il publie sur ce réseau se veut informatif : c’est un acte journalistique qui doit être conforme aux règles professionnelles figurant dans les textes déontologiques.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
Réponse du média mis en cause
Le 26 septembre 2024, le CDJM a adressé à M. Mohammed Sifaoui un courriel l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 28 janvier 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ En préambule, le CDJM indique que le requérant, M. Thomas Aonzo, est membre du Conseil économique social et environnemental (Cese), et que les personnes concernées par l’acte journalistique en cause sont aussi en lien avec cette institution : M. Thierry Beaudet en est le président, et M. Nassim Larfa est son conseiller.
➔ Le message mis en ligne sur X par M. Mohamed Sifaoui le 3 septembre 2024 est le suivant :
« Je n’ai pas eu le temps de tout vérifier. Mais depuis hier, plusieurs sources me parlent de “liens avérés” entre Nassim Larfa, conseiller de @thierrybaudet et des milieux fréristes. On sait que ce dernier a publiquement apporté un soutien à Rima Hassan et qu’il est proche de certains milieux fréristes. Quoi qu’il en soit, il ne serait pas admissible que @EmmanuelMacron nomme au poste de Premier ministre quiconque n’ayant pas une position claire à l’égard du #Hamas, de l’#antisémitisme, des luttes antiracistes en général, du conflit israélo-palestinien, etc. Il faut une clarification. »
M. Sifaoui écrit cela en repostant un message de Mme Caroline Yadan, députée Renaissance de la 8e circonscription des Français établis hors de France, dans lequel on peut lire : « Si cette information est avérée, @EmmanuelMacron ne peut nommer @thierrybaudet au poste de Premier ministre. » L’information à laquelle fait allusion la parlementaire figure dans un message qu’elle reposte elle-même du compte Sword Of Salomon, tenu par un activiste anonyme qui dit combattre l’antisémitisme en pratiquant le name and shame – Décideurs Magazine a fait son portrait. On y lit sur le sur le message reposté :
« RÉVÉLATIONS : Les liens douteux de @ThierryBeaudet, pressenti pour le poste de Premier ministre : Ami intime de @JPLabille, chef des mutualités du Parti socialiste belge, connu pour ses propos antisémites. Un an avant que Beaudet devienne président du CESE, Labille lui a organisé un voyage dans les territoires palestiniens De plus, @Nassim_Larfa, conseiller de Beaudet au Cese, serait proche des Frères musulmans et soutien de@RimaHas. Beaudet a également appelé à manifester contre la loi immigration. D’autres informations risquent d’émerger dans la soirée. »
Sur le grief de non-respect de l’exactitude
➔ M. Aonzo écrit dans sa saisine que « les propos tenus relaient clairement une information non vérifiée, attribuant des liens et des positions à une personne sans enquête approfondie. Cette approche contribue à attiser la haine et va à l’encontre des principes d’exactitude et de véracité attendus d’un journaliste ».
M. Mohamed Sifaoui se présente comme journaliste sur son compte X. Il est donc concerné par les chartes de déontologie et se doit de vérifier les informations qu’il diffuse. Or, il reprend un post clairement accusateur, post qui lui- même reprenait un message d’un compte anonyme. La précision « je n’ai pas eu le temps de tout vérifier » ne dégage en rien la responsabilité du journaliste. On ne peut publier une mise en cause sans enquêter et vérifier (y compris l’orthographe des noms propres, M. Sifaoui écrivant, comme la députée Mme Caroline Yadan, « Baudet » et non « Beaudet »). Un journaliste ne peut diffuser des informations sur un réseau social en s’exonérant des règles de bonnes pratiques de son métier. Le grief de non-respect de l’exactitude est fondé.
Sur le grief d’accusation sans preuve
Pour le requérant, « les propos tenus dans ce tweet manquent de respect envers la dignité humaine en véhiculant des accusations non fondées et en stigmatisant une personne publiquement ».
Aucune information recoupée ne corrobore, à la connaissance du CDJM, les accusations de lien avec les milieux « fréristes » concernant M. Nassim Larfa, qui a bénéficié d’une certaine exposition médiatique puisqu’il figure dans « le classement des 35 jeunes leaders positifs de moins de 35 ans » établi par le journal Les Échos et par Positive Planet en janvier 2023. M. Larfa a publié un post sur compte LinkedIn pour répondre à ces accusations dans lequel il les qualifie de « propos aussi calomnieux que clichés, mais surtout strictement infondés… »
Le message sur X de M. Sifaoui vise également M. Thierry Beaudet en précisant qu’« il ne serait pas admissible que @EmmanuelMacron nomme au poste de Premier ministre quiconque n’ayant pas une position claire à l’égard du #Hamas, de l’#antisémitisme, des luttes antiracistes en général, du conflit israélo-palestinien, etc. ».
Cette affirmation vague sur l’absence de « position claire » sur le racisme et l’antisémitisme, qui sont pénalement condamnables, est une accusation sans preuve, et pourrait relever des tribunaux, l’article 29 de la loi 1881 stipulant que « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».
Conclusion
Le CDJM, réuni le 28 janvier 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude, de véracité et de ne pas formuler d’accusation sans preuve n’ont pas été respectées par M. Sifaoui.
La saisine est déclarée fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.